Livres 13 juin   

13 juin 2025

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Livres 13 juin  

par

Roman politique, satellites, Afrique, frontières et prudence. Aperçu des livres de la semaine.

Hélène Raveau, Une Reine et rien d’autre, Ovadia, 22 €

Écrire pareil roman tient de la folie ou de l’inconscience, peut-être de la grâce, en tout cas d’une sacrée liberté. On se demande comment Hélène Raveau a pu y croire au point de mener à terme, dans l’époque cynique qui est la nôtre, un incroyable destin de reine accouché des soubresauts de l’élection présidentielle de 2017. Et de donner pour titre à son œuvre ce bulletin de vote lancé à la tête des dirigeants d’aujourd’hui :

Une Reine et rien d’autre !

Tout commence sur les remparts de Saint-Malo, dans un jeu d’enfants défiant l’océan, avec une fillette juchée sur un engin extraordinaire que tous les autres lui envient. Tout est déjà contenu dans ce chapitre d’ouverture : la joie et la cruauté. Car le lecteur comprend vite que la petite Henriette Martin est handicapée.

Ce n’est pas le moindre des défis de ce roman que de s’être attelé, sans complaisance ni pitié dangereuse, à évoquer une enfance atteinte de myopathie, le bouleversement d’une famille, et toutes les questions dites « sociétales » qu’affrontent ces existences-là. Roman d’apprentissage, il nous entraîne, à la suite de son héroïne, dans les études, dans « la passion de la connaissance », dans l’admiration pour les grands professeurs. Née dans une famille courageuse, Henriette Martin vit chaque jour comme une conquête.

Mais le défi suprême est politique. On sort de la lecture stupéfait d’y avoir cru. Oui, par un renversement inouï de l’Histoire, les élections présidentielles de 2017 ont bien mené à l’élection d’une jeune reine handicapée qui, par voie de référendum, réclame et obtient le droit d’être sacrée à Notre-Dame de Paris : une parmi d’autres des grandes scènes extraordinaires d’une œuvre qui n’a rien oublié des fastes et des grandeurs.

En réponse à Sire de Jean Raspail, dont il constitue le pendant féminin, le roman d’Hélène Raveau hésite entre épopée et conte de fée, conte politique et apologue. Les réflexions sur une « royauté pauvre » interpellent et arrêtent.  Il s’agit bien d’abord d’un roman enthousiaste aux personnages vivants, rieurs, multiples, toutes générations mêlées. Mais quelque chose de l’ordre du surnaturel agit là-dedans.  Il y a dans ces lignes, mené avec un entrain, une détermination et un entêtement irrésistibles, un combat hardi contre le mal sous toutes ses formes actuelles.

Marc Ruggeri

Frediano Finucci, La Guerre des satellites, au cœur de tous les conflits d’aujourd’hui, L’Artilleur, 2025, 17,90 €

Le 24 février 2022, la Russie de Vladimir Poutine envahit l’Ukraine. Il était prévu que ce soit un conflit « éclair », où la capitale ukrainienne tomberait rapidement entre les mains des russes. Le monde sait désormais qu’il n’en a rien été. Trois ans plus tard, les négociations de paix peinent à avancer. Si la résistance aussi héroïque qu’inattendue des forces armées ukrainiennes, soutenues par l’Occident, l’explique partiellement, il y a un autre facteur qui entre en compte. Ce sont les satellites. Les plus récents, civils comme militaires, ont pu fournir des renseignements vitaux à l’Ukraine. Et ça leur a été salvateur.

Ce récit s’attache à afficher l’espace comme un espace indispensable à l’autonomie stratégique des États. En effet, le monde est devenu dépendant des satellites, sans parfois le savoir. Conquérir les cieux est donc l’objectif ouvertement affiché de certains Etats, qui cherchent coute-que-coute à affirmer leur puissance dans un monde dominé par Washington et Pékin. Mais là où sont des intérêts vont également les risques et les tentations humaines et étatiques. L’espace s’est transformé en un nouveau terrain d’affrontements commerciaux et militaires. Et concernant cela, l’auteur offre une vision nouvelle et éclairée des futurs conflits spatiaux qui, s’il faut indiscutablement les éviter, sont plus que plausibles.

Frediano Finucci livre là, à travers son œil acéré de journaliste, une enquête vivante démontrant la transformation d’un outil, initialement optionnel, en une arme devenue indispensable. Un ouvrage qui permet aux néophytes de comprendre l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle.

Serge Éric Menye, L’Afrique sera-t-elle la catastrophe du XXIe siècle ? L’incroyable déni de l’afro-optimisme, 2025, 12,80€

Une question existentielle que Serge Éric Menye pose, tout en offrant des clés de réponse. Dans cet essai, l’auteur d’origine camerounaise tente de démythifier l’Afrique, perçue comme le nouvel Eldorado par certaines élites occidentales déconnectées de la réalité. C’est ainsi qu’est présenté le continent africain au lendemain de la période coloniale : des ressources naturelles abondantes, une démographie florissante offrant une jeunesse éclatante, des conférences et aides internationales, des opportunités infinies.

Finalement, rien ne semblait manquer au berceau de l’humanité pour se transformer en puissance économique incontournable. Et pourtant, pendant que l’Asie décollait, l’Afrique, elle, s’enlisait. L’auteur de l’ouvrage voit en l’Afrique l’épicentre du terrorisme, symbole d’un décalage flagrant entre les perspectives dorées du continent noir et la réalité actuelle. Et malgré tout cela, certains continuent à connaitre un engouement particulier pour ces terres. C’est ce que l’essayiste appelle « l’afro-optimisme ». Optimistes. Mais irréaliste en même temps. Et cela gêne. En effet, il déplore la peine dont font preuve les États à mettre les mots sur ce qui mérite d’être dit, qui font ainsi vivre un fantasme déraisonné sur ce qu’est l’Afrique. Le spécialiste sur les questions de missions de conseil en Afrique vient donc déconstruire ces fausses images. Il revient sur les origines de la pauvreté endémique de l’Afrique, pour mettre les mots ensuite sur ceux responsables d’un tel désastre. Et enfin, car il ne sert à rien de faire de constats sans proposer de solutions, il évoque les options pour le continent africain qui lui permettraient de se rebâtir et d’être à la hauteur de la merveille qu’il est. L’Afrique n’a donc pas dit son dernier mot. Et l’auteur de l’ouvrage s’efforce à le démontrer.

David Périer et Jean-Baptiste Veber, Tracer des frontières : dix histoires de cartes au cœur des conflits contemporains, Novice, 2025, 21,90€

Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de 1754, explique que « le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ». Pour David Périer et Jean-Baptiste Veber, il en va de même pour les États. Le premier à avoir osé tracer des frontières fut le vrai fondateur de la géopolitique et des relations parfois tumultueuses entre les États. Il gravit à jamais son nom dans l’histoire. Pour le meilleur…et pour le pire.

Les deux professeurs de géographie se penchent, avec une clarté salutaire pour un sujet si complexe, sur dix histoires de cartes actuellement au cœur des conflits contemporains. Ils reviennent sur un principe selon lequel les cartes et leurs frontières sont les langues véritables de l’histoire. Les auteurs ne décryptent pas simplement leur naissance. Ils se plongent également dans la difficile mission de faire comprendre l’essence d’une frontière et ce qu’elle engendre. Elle peut parfois être imposée de force par une puissance tierce sans pour autant être rejetée par les populations locales. Et si les écrivains le prouvent à travers le cas de la bordure occidentale de l’Asie, ils témoignent également de la rareté d’une telle hypothèse. Plus souvent en effet, le tracé des frontières engendre des tensions. L’ouvrage tente donc d’expliquer en quoi les divisions territoriales d’hier alimentent les tensions géopolitiques d’aujourd’hui. Effectivement, la contestation de frontières peut se transformer en guerre. Le cas de la Thaïlande et du Cambodge en est une illustration frappante. L’œuvre produite par des mains d’experts propose donc un tour d’horizon riche et complet de dix conflits frontaliers majeurs de notre temps. Un objectif : faire réfléchir ses lecteurs sur la pertinence des frontières dans un avenir plus ou moins proche.

Les auteurs de Conflits publient

Catherine Van Offelen, Risquer la prudence, Une pratique de la sagesse antique, Gallimard, 2025, 20€

Comment prendre une décision, et savoir que nous ne nous sommes pas trompés ? Comment faire le juste choix ? Ce sont là des questions universelles et  récurrentes. C’est ce que Catherine Van Offelen appelle l’incertitude du monde. Mais qui pour nous aider ? « Qui pour déchirer les brumes, orienter le compas et désigner le port » ? C’est vers les Grecs que se tourne l’auteur dans son ouvrage, en réinterprétant le concept de phronésis, c’est-à-dire de prudence. Une vertue essentielle pour le jugement et donc pour l’action.

Issue de la pensée d’Aristote, elle était la plus haute vertu, l’aboutissement d’une sagesse sans nom. Aujourd’hui, ce trésor a été traduit par la « prudence ». Mais selon l’auteur, c’est une traduction non seulement maladroite mais surtout trompeur et faux. D’un côté, la phronésis désigne la parfaite symbiose entre la raison et l’intuition, le corps et l’esprit, la morale et la ruse. Elle permet d’accepter le risque sans courir aveuglement vers le danger. C’est un appel à l’action, à l’adaptation dans les circonstances, à la vivacité d’esprit. Au contraire, la prudence, elle, désigne la tiédeur, la retenue, l’inaction presque. Au nom de la prudence, l’homme ne sait plus agir, il est tétanisé. C’est la précaution enseignée et voulue par les temps modernes. Être prévoyant c’est bien. Mais c’est être trop rationnel et délaisser l’intuition. D’où l’appel à la phronésis grecque. C’est elle qui a civilisé le monde et cela oblige. Elle oblige notre société à réapprendre à la connaitre et à l’aimer. Car devant l’incertitude et la folie du monde, elle peut être notre phare. Et Catherine Van Offelen nous l’offre généreusement, sans trembler.

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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

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