Livres de la semaine

7 janvier 2022

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Livres de la semaine Bibliothèque de Sorbonne (c) Wikicommons
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Livres de la semaine

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Démocratie et terrorisme, France et Corse, christianisme et modernité, quelques uns des thèmes des livres de la semaine de la rédaction de Conflits.

État de droit

Alexis Deprau, Le droit face à la terreur, Le Cerf, 2021, 24€.

Pour lutter contre le terrorisme, le législateur n’a cessé de faire évoluer le droit, invoquant la nécessité de cette évolution pour s’adapter aux nouvelles méthodes terroristes et pour y répondre. Au nom de la défense de la sécurité, c’est l’appareil législatif français qui a été bouleversé, modifiant parfois la structure de l’état de droit. Loi renseignement, écoutes, filatures, organisation des services, c’est toute une évolution juridique qui transforme autant la pratique que la philosophie du droit. Mais si cela est fait pour défendre la démocratie, est-ce que l’esprit de la démocratie est maintenu quand la loi devient de plus en plus intrusive et que recule la vie privée ? Jusqu’où peut-on aller dans l’évolution législative pour lutter contre le terrorisme ? Il faut bien, en matière de droit aussi, fixer des limites et interroger l’efficacité réelle de ces mesures. Le risque en effet est de perdre son âme et de perdre la démocratie, tout en prenant des mesures législatives qui se révèlent inutiles. Et une fois l’appareil législatif mis en place, qui peut garantir que celui-ci sera bien utilisé dans la lutte contre le terrorisme et non pas pour d’autres fins ? Un concept du terrorisme qui est par ailleurs de schéma variable et qui peut s’étendre à l’infini. Le terrorisme politique n’autoriserait-il pas la mise sur écoute et le contrôle d’adversaires politiques ? C’est toute la réflexion que porte Alexis Deprau dans cet ouvrage, tiré en partie de sa thèse de doctorat. L’auteur nous fait entrer dans le fonctionnement des services de renseignement, dans l’organisation de la police, dans la fabrication de la loi et dans les limites du juridique pour protéger les sociétés. Et si, au nom de la défense de notre modèle de société et de notre civilisation, nous en venions à nous détruire nous-mêmes par l’adoption d’une législation répressive et attentatoire aux libertés fondamentales ? C’est toute la question de la philosophie du droit qui est ici posée.

JBN

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France et Corse

Paul-Francois Paoli, France-Corse, Je t’aime moi non plus, Éditions de l’observatoire, 15€.

Des mots pour prévenir des maux, tel est en quelque sorte l’objectif que s’est donné Paul-Francois Paoli par son ouvrage France-Corse, Je t’aime moi non plus. Plus précisément, le dessein de l’auteur insulaire est de comprendre les relations, complexes qu’entretient aujourd’hui la Corse avec le Continent. Pour cela, un réflexe qui, hélas, devient de plus en plus rare : l’auteur essaie d’abord de comprendre l’histoire de la Corse. Il en tire de riches instructions et une conclusion : la Corse n’a jamais été colonisée. Elle adhère volontairement à la France en 1790, elle devient politiquement française avec Napoléon Ier et, culturellement, avec Napoléon III. Ce n’est donc pas la Troisième République qui a conquis le cœur des Corses, mais l’Empire. Les Corses qui écrivaient en italien au milieu du XIXesiècle cessent alors de regarder vers l’Italie. Trois moments de puissance française. Pour Paul-Francois Paoli : « Les Corses ont aimé la France impériale à laquelle ils se sont identifiés, car, à travers elle, ils ont pu vivre une aventure qui les grandissait. »  Il y en aura un quatrième, lui extérieur, à savoir l’Empire colonial au service duquel les insulaires se sont illustrés et qui fut un moyen d’élection important. Partant de ces rappels historiques, l’auteur en déduit que si justement l’île n’est pas devenue indépendante, c’est bien parce qu’elle n’a jamais été colonisée, mais seulement francisée culturellement. Cela n’empêche pourtant pas un phénomène de dissociation identitaire entre « la France et la Corse » qui ne cesserait de s’accentuer, et dont l’étude est l’objet de la seconde partie de l’ouvrage. Une dissociation qui est la finalité de l’ouvrage, et que l’auteur date de la fin de la période gaullienne, avec la « banalisation de la France ».

ABF

Catholicisme et modernité

George Weigel, L’ironie du catholicisme moderne, DDB, 2022, 21.90€.

Ami de Jean-Paul II et grand connaisseur de l’histoire du catholicisme, l’Américain George Weigel entreprend ici une étude des plus intéressantes. De Grégoire XVI à François 1er, il étudie comment le catholicisme a agi face à la modernité, allant de défaites en victoires, pour finalement la revivifier. Telle est en effet la thèse originale de l’auteur. Alors que beaucoup voient une lutte à mort et une incompatibilité entre le catholicisme et la modernité, Weigel démontre que si les premiers papes du XIXe siècle, notamment Grégoire XVI et Pie IX ont eu quelques réticences, l’Église s’engage résolument dans l’acceptation du monde moderne et sa tentative de transformation à partir de Léon XIII. Déjà, le concile Vatican I reconnaissait l’union de la foi et de la raison. Mais Léon XIII alla plus loin en abandonnant l’attitude défensive à l’égard de la modernité pour opter pour une position offensive. Rédigeant un grand nombre d’encycliques sur la liberté, la philosophie politique, la société, il fut celui qui comprit le monde moderne, ses espoirs et ses failles. Cette « révolution léonine » comme l’appelle l’auteur, a remis l’Église au cœur de l’histoire. Ce n’est pas le moindre des intérêts de l’ouvrage que de faire redécouvrir Léon XIII et l’immensité de son apport philosophique et théorique. Il fut le pape qui encouragea notamment la recherche philosophique, les fouilles archéologiques et l’herméneutique de la Bible. À sa suite, Benoit XV puis Pie XII reprirent ce dialogue avec la modernité. Weigel revisite complètement le pontificat de Pie XII en démontrant que celui-ci avait pleinement compris la société dans laquelle il évoluait et avait su adapter le message de l’Église pour lui parler des choses de toujours, mais différemment. Une stratégie reprise et complétée par Jean XXIII puis Paul VI, en dépit des troubles de l’après-Concile. Enfin, il revint à Jean-Paul II et Benoît XVI d’opérer un quatrième acte des rapports complexes de l’Église avec le monde moderne. En insistant sur les liens entre la foi et la raison, sur la nécessité de la défense de la loi naturelle, sur le respect du droit, les deux papes comprirent que le rôle de l’Église était désormais de sauver la modernité en sauvant la personne humaine, dont la nature est oubliée par un grand nombre de nos contemporains. L’auteur se montre plus sceptique sur le pontificat actuel, voyant le pape Bergoglio comme un anti-moderne. Un jugement qui pourra surprendre le lecteur mais dont la démonstration se montre assez convaincante.

Porté par une belle plume, même si la traduction a du mal à rendre compte de certains jeux de mots, l’ouvrage apporte un regard neuf sur l’histoire des deux derniers siècles de l’Église et propose une réflexion et une synthèse à la fois stimulante et bien menée. La thèse de l’auteur renverse quelques idées reçues sur les liens entre modernité et catholicisme, et elle n’est pas sans rappeler certains chapitres de Tocqueville consacrés aux remèdes des maux de la démocratie.

JBN

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