<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’omniprésent Monsieur Witkoff

26 mars 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Steve Witkoff, March 19, 2025, in Washington. (AP Photo/Mark Schiefelbein)/DCMS103/25078476593575//2503191545

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L’omniprésent Monsieur Witkoff

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Depuis l’annonce de sa désignation comme envoyé spécial pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff n’a cessé de voir ses attributions s’accroître, au point d’investir bientôt d’autres terrains, comme celui de l’Ukraine. Enquête sur un homme de l’ombre au rôle essentiel.

Né en 1957, dans une famille juive du Bronx, Steven Charles Witkoff a commencé sa vie professionnelle comme avocat spécialisé dans les questions immobilières, au sein du cabinet Dreyer & Traub, où il est resté deux ans. Donald Trump en fut client à la fin des années 1980. Trump et Witkoff se lièrent à l’occasion d’une discussion d’affaires. Le futur président était alors confronté à la banqueroute de ses casinos d’Atlantic City, tandis que Witkoff, qui, en 1985, avait créé l’entreprise de gestion immobilière Stellar Management, faisait l’acquisition, à Manhattan, d’immeubles de bureau.

Les secrets ressorts d’une amitié née dans le secteur immobilier

À la fin des années 1990, celui-ci fonda le groupe Witkoff, qui possède de nos jours quelque cinquante ensembles immobiliers aux États-Unis et à l’étranger. La fortune de son dirigeant est estimée à 1 milliard de dollars, soit environ à un sixième de celle de l’actuel président.

L’amitié de trente ans de Donald Trump et de son alter ego a donc comme terreau la similarité de leurs parcours. La proximité de ces deux partenaires de golf, qui se retrouvent volontiers en Floride, où ils sont installés, a trouvé dans la politique un nouveau terrain où s’épanouir.

La loyauté politique de Steve Witkoff

Steve Witkoff a soutenu Donald Trump dès sa première campagne présidentielle.

En 2020, il devint membre des Great American Economic Revival Industry Groups, dont l’objectif était de remédier à l’impact économique de l’épidémie de COVID-19. Il se distingua durant la campagne présidentielle de 2024, comme orateur lors de la convention nationale républicaine de juillet, où il décrivit la compassion dont Trump avait fait preuve à l’égard de sa famille, après la mort d’une surdose d’opioïdes de son fils Andrew, survenue en 2011. Witkoff intervint de nouveau, lors de la réunion publique tenue par Trump en octobre, au Madison Square Garden. C’est aussi avec lui que Donald Trump disputait une partie de golf, à West Palm Beach, lorsqu’en septembre, il fut la cible d’une seconde tentative d’assassinat.

Witkoff contribua également à la réconciliation de Donald Trump avec le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, organisant leur rencontre au golf de Shell Bay Club, dont il est propriétaire.

Après son élection, Donald Trump confia à Steve Witkoff la coprésidence du comité d’inauguration de son second mandat et annonça sa nomination comme envoyé spécial au Moyen-Orient, fonctions dans lesquelles cet homme d’affaires devait illustrer l’idée qu’il se fait de la diplomatie.

L’incarnation du transactionalisme trumpien

Présenté par Donald Trump, sur Truth Social, comme « une voix implacable en faveur de la paix« , Steve Witkoff n’attendit pas pour agir.

Dès janvier 2025, il se lança dans la négociation d’un accord entre Israël et le Hamas en vue de la cessation des opérations militaires à Gaza et de la libération des otages israéliens. Il fit preuve, à cette fin, d’un style volontiers directif, exigeant, par exemple, du Premier ministre israélien, après être passé par Doha, de le rencontrer en plein shabbat, le samedi 11 janvier. L’accord de cessez-le-feu obtenu permit l’échange de 33 otages israéliens contre la libération de prisonniers palestiniens. Le Times of Israël put affirmer que « l’envoyé de Trump a[vait] davantage influencé Netanyahu en une réunion que Biden en 15 mois[1]« .

L’action au Moyen-Orient du pragmatique Witkoff venait faire équilibre à la nomination comme ambassadeur en Israël de Mike Huckabee, pasteur baptiste favorable à la colonisation de la Cisjordanie.

En février, le président Trump décida d’étendre le mandat de Witkoff en le chargeant d' »établir un canal de négociation avec les Russes[2]« . Le général Keith Kellogg, initialement désigné comme envoyé pour l’Ukraine et la Russie, s’en trouvait mécaniquement relégué. Dès le 11 février, Steve Witkoff se rendit à Moscou pour s’entretenir pendant trois heures avec Vladimir Poutine, ouvrant la voie à l’échange téléphonique que ce dernier eut avec Donald Trump le lendemain.

L’efficacité dont est crédité Witkoff tient à la confiance que lui accorde le président Trump. Witkoff apparaît ainsi comme le relais visible, pressant et écouté du chef d’État américain. C’est cette confiance qui permet à l’homme d’affaires, que certains médias décrivent comme « inexpérimenté« , de s’imposer comme l’interlocuteur principal des autorités russes. C’est la même confiance qui l’a conduit à tenir, devant Tucker Carlson, des propos très directs et controversés, décrivant le président russe comme « super intelligent » et se demandant, sans circonlocutions, si le contrôle de facto des oblasts de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijia et de Kherson par les troupes russes n’allait pas conduire le monde à reconnaître in fine leur annexion[3]. Insensible au retentissement polémique de telles déclarations, Witkoff semble surtout résolu à hâter, si possible, la normalisation de la relation américano-russe, pour éloigner Moscou de Pékin, obtenir, à terme, un nouvel accord de limitation des armements stratégiques[4] et consolider la prééminence des États-Unis face à la Chine.

Jumeau stratégique de Donald Trump, Steve Witkoff s’est imposé comme le principal artisan de la politique internationale de la nouvelle administration. Directif et pragmatique, il en épouse et en traduit les priorités et se montre prêt à accepter des concessions de taille, parfois jugées excessives, pour obtenir les résultats attendus de lui. Tandis qu’Elbridge Colby apparaît comme le cerveau de la nouvelle administration[5], Steve Witkoff en est manifestement le bras.

[1]Jacob Magid, « L’envoyé de Trump a[vait] davantage influencé Netanyahu en une réunion que Biden en 15 mois », Times of Israël, 15 janvier 2025 ; https://fr.timesofisrael.com/lenvoye-de-trump-a-davantage-influence-netanyahu-en-une-reunion-que-biden-en-15-mois-officiel-arabe/

[2]Anna Berezina, Kateryna Shkarlat, « Who is Steven Witkoff, Trump’s other envoy on war in Ukraine who traveled to Moscow », RBC-Ukraine, 12 février 2025 ; https://newsukraine.rbc.ua/news/who-is-steven-witkoff-trump-s-other-envoy-1739392544.html

[3]Cybele Mayes-Osterman, « Trump envoy blasted over ‘insane’ Putin comments in Tucker Carlson interview », USA Today, 24 mars 2025 ; https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2025/03/24/seth-moulton-witkoff-trump-putin-interview/82635715007/

[4]Olivier Chantriaux, « L’agenda nucléaire de Donald Trump », Conflits, 19 mars 2025 ; https://www.revueconflits.com/lagenda-nucleaire-de-donald-trump/

[5]Olivier Chantriaux, « Elbridge Colby, le vrai visage de la stratégie Trump ? », Conflits, 2 janvier 2025 ; https://www.revueconflits.com/elbridge-colby-le-vrai-visage-de-la-strategie-trump/

À propos de l’auteur
Olivier Chantriaux

Olivier Chantriaux

Docteur en histoire des relations internationales et diplômé de l'Institut d'études politiques de Bordeaux.

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