Sélection de quelques livres lus à Rome : histoire, géopolitique, atlas.
Sélectionner quatre livres parus en Italie est une gageure tant la production intellectuelle et éditoriale est grande. Le choix est donc éminemment subjectif : à prendre comme des coups de cœur.
Limes, L’Ordine del caos, 1/2025.
Le dernier numéro de Limes, bien sûr, revue indispensable pour tous ceux qui aiment la géopolitique. C’est dense, c’est sérieux, la mise en page est sans fioriture. Les textes sont profonds, problématisés, offrant de véritables analyses sur la situation géopolitique. Le premier numéro de 2025 est consacré à « l’ordre dans le chaos ». La Guerra Grande est un concept que Limes a forgé il y a déjà quelques numéros pour désigner la guerre multiple qui se joue aujourd’hui. Une Grande guerre qui crée du chaos, mais aussi une nouvelle forme d’unification du monde. Et c’est ce que ce numéro étudie.
L’une des grandes forces de Limes, c’est de forger des concepts qui sont réellement pertinents pour penser et comprendre le monde ; des concepts qui ne sont pas des bullshits ou des sculptures de fumée, comme la science politique et les études des relations internationales le font trop souvent en France. Limes est à lire, pour comprendre que la géopolitique ne se limite pas aux auteurs anglo-saxons ni aux centres de recherche français liés aux structures étatiques. L’indépendance de la rédaction et des auteurs est essentielle et c’est ce qui permet à Limes d’être l’une des meilleures revues de géopolitique en Europe.
Anthony Majanlahti, The families who made Rome. A history and a guide, Pimlico, 2005.
Mettre dans la liste un ouvrage paru en anglais, en 2005, écrit par un historien canadien peut sembler incongru. Mais les livres lus à Rome ne sont pas nécessairement des livres en italien. Celui-ci était sur un présentoir de la Feltrinelli et il a retenu mon attention pour l’angle du sujet traité.
C’est une histoire de Rome, mais à travers ses grandes familles. Ou, pour le dire autrement, une histoire des familles aristocratiques romaines qui ont façonné Rome. Comme les Médicis ont forgé Florence, les Sforza, Milan, les Bourbons, Naples. L’ouvrage écrit l’histoire de ces familles, tout en montrant comment elles ont contribué à façonner l’architecture et la politique de la ville. Partie originale et bienvenue, des cartes présentent l’itinéraire des familles, permettant de découvrir et s’arrêter devant les bâtiments qu’elles ont forgés.
On trouve ainsi les Colonna, les Della Rovere, les Farnese, les Borghèse, les Barberini, les Pamphilj et les Chigi ; l’ouvrage se limitant aux familles de l’époque moderne. On découvre ainsi les rivalités, les mariages, les unions, les guerres. Nombreuses sont ces familles à avoir fourni des cardinaux et des papes qui, à leur tour, ont façonné Rome.
Un livre essentiel pour ceux qui aiment la Ville et qui veulent la découvrir autrement, qui veulent approfondir ses rues et ses monuments. Mais l’ouvrage évoque aussi un point fondamental : ce sont les grandes familles, politiques, économiques, culturelles, qui façonnent les pays, non les masses, comme le pensent les marxistes, non les idées, comme le croient les historiens idéalistes. En France, la Révolution a voulu effacer les familles, si bien qu’une telle approche de l’histoire semble incongrue. Il est pourtant essentiel d’écrire le même type de livre pour Paris et pour le pays.
Graphic design, 1890 – today, Taschen, 2022
Là aussi, ce n’est pas à proprement parler un livre italien, même si l’ouvrage est trilingue (espagnol, anglais, italien). Mais il aborde un sujet essentiel, avec le sérieux et la qualité des éditions Taschen. Une histoire du siècle écoulé par les affiches. Des affiches de propagande, d’autres de publicité. Des voyages, des tubes de dentifrice, des films, des événements politiques. Et des styles qui évoluent selon les décennies. L’ouvrage démontre le pouvoir des images, des slogans, des visuels.
Il résonne beaucoup à Conflits. Dès que j’ai repris la direction de la revue (2019), j’ai voulu intégrer la tradition des dessins de presse pour élever la beauté des numéros et renouer avec les grandes affiches et la puissance du visuel. Des souvenirs d’écolier devant les Une du Petit Journal et les dessins humoristiques des dessinateurs de presse. Raison pour laquelle nous travaillons avec Croquis sartoriaux, mais aussi d’autres dessinateurs. Notre inspiration puise dans les tableaux classiques, les couvertures des BD, les affiches de propagande et les publicités. Ce livre est donc une mine d’inspiration et de rêves, en plus d’être un fabuleux voyage dans l’histoire des dernières décennies.
Pierrick Bourgault, Atlante dei vini insoliti, Edizioni Jonglez, 2024
Une couverture cartonnée, un beau papier, dense et doux, qu’il est agréable de toucher, de superbes photographies, qui nous plongent dans la géographie du vin et une idée remarquable : dresser un atlas des vins insolites.
J’ai pour habitude de toujours rapporter des atlas ou des cartes des pays étrangers que je visite. La carte n’est jamais neutre : elle dit une pensée, une histoire, une vision du monde ; et elle est belle. Tapisser un mur de cartes signe autant de fenêtres sur le monde.
Dans cet atlas, l’auteur nous conduit sur les routes du vin, à la découverte de vignerons et de vignobles insolites. Vin de Pompéi et de Géorgie, vin de Gobi et d’Irak, vin des Açores et de Taïwan, vin de Montmartre sont quelques-uns des vignobles visités, permettant à l’auteur de tisser sa cartographie amoureuse et personnelle des vignobles du monde. L’occasion de comprendre que, là où il y a le vin, il y a une civilisation ; là où il y a le vin, il y a une part du christianisme et de l’Occident. Cette géographie viticole est aussi celle d’une diffusion culturelle tout autant que culturale, qui tisse ses lianes tout autour du monde. Un atlas pour rêver et pour découvrir la beauté des lieux.