Lula et le piège vénézuélien (2). Le compère brésilien du dictateur

21 août 2024

Temps de lecture : 17 minutes

Photo : Des soutiens du gouvernement de Nicolas Maduro à Caracas au Venezuela, le 23 janvier 2020 EFE/ Miguel Gutierrez//EFE_20200123-637153956304035682/2001231717/Credit:Miguel Gutierrez/EFE/SIPA/2001231722

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Lula et le piège vénézuélien (2). Le compère brésilien du dictateur

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Nicolas Maduro a toujours pu compter sur le soutien de Lula. Mais le président du Brésil est en train de revoir sa position, tout en continuant de soutenir les potentats de Caracas.

Article original paru sur le site IstoéBrésil.

Après la farce électorale du 28 juillet dernier au Venezuela, le dictateur Maduro se retrouve un peu plus isolé en Amérique du Sud. Le gouvernent brésilien hésite. Il ne reconnaît pas officiellement le résultat mais ne le rejette pas comme l’ont fait sept pays de la région. Le Président Lula dit vouloir maintenir un lien avec le potentat de Caracas. Les amis occidentaux de Lula voient là une posture diplomatique subtile qui permettrait tôt ou tard de ramener Maduro à la raison. La thèse ne tient pas debout. Le gouvernement Lula et les forces politiques de gauche qui l’appuient sont des acteurs se-condaires de la tragédie vénézuélienne. Lula n’est pas un médiateur. Il n’a jamais cessé d’être le compère bienveillant du régime chaviste, sa caution morale. Si le palais du Planalto (siège de la Présidence) n’a pas reconnu deux semaines après le scrutin du 28 juillet la victoire du candidat de l’opposition Edmundo Gonzàles Urrutia (comme l’ont fait les Etats-Unis, l’Argentine, l’Uruguay et le Pérou), ce n’est pas parce Brasilia serait en train de concocter un plan sophistiqué de sortie de crise. C’est parce que les dirigeants actuels du Brésil font partie de la distribution de la pièce montée par Maduro pour rester au pouvoir.

Si Lula admettait la fraude électorale de son compère vénézuélien, il reconnaîtrait alors automatiquement ce qu’il n’a pas cessé de nier depuis des années : la démocratie n’existe plus au Venezuela et cela n’a pas commencé le 28 juillet 2024, lorsque les représentants de l’opposition ont été empêchés d’assister aux dépouillements. Voici plus d’une décennie que les Vénézuéliens ne savent plus ce qu’est une démocratie. A partir de 2017, le régime a connu un relatif isolement en Amérique latine. Pendant les quatre années du mandat de Jair Bolsonaro (2019-2022), le Brésil a suspendu les relations diplomatiques avec le pays voisin [1]. Cet isolement va être rompu à partir de la fin 2022. Plusieurs pays du sous-continent sont à nouveau dirigés par des élus de gauche (Colombie, Chili). La guerre en Ukraine a fait du Venezuela un pays incontournable pour la livraison de pétrole, même mal raffiné. Les Etats-Unis ont mis en bémol leur condamnation du régime chaviste [2].

A partir du début de 2023, en Amérique latine, le gouvernement Lula va être le premier acteur d’une opération visant à redonner au régime chaviste l’image d’un pouvoir injustement maltraité par la propagande vénéneuse de l’Occident. Celle d’un pays persécuté dont la souveraineté serait attaquée depuis des lustres, celle d’un système politique dont les déboires économiques seraient exclusivement dûs au châtiment imposé par la puissance nord-américaine. Il n’y aurait pas de dictature au Venezuela, pas de répression, pas de pouvoir arbitraire. Tout ce qui avait été dit et se dit sur le pouvoir chaviste relèverait de la propagande idéologique de forces réactionnaires.

Dès son investiture en janvier 2023, Lula rétablit les relations diplomatiques avec le Venezuela. En mars suivant, son conseiller spécial aux affaires internationales, l’ancien ministre Celso Amorim, est reçu par Maduro à Caracas. Il rencontre aussi des représentants de l’opposition. A l’issue de sa visite, Amorim déclare avoir perçu « un climat favorable à la démocratie »… En mai 2023, Maduro est reçu avec tous les honneurs en visite officielle à Brasilia à l’occasion d’une conférence des chefs d’Etat d’Amérique du Sud organisée par le Président brésilien. Le dictateur de Caracas sera le seul participant de la conférence à avoir un entretien bilatéral avec Lula. Dès le début de la rencontre, Lula qualifie l’évènement d’historique. Les premiers échanges sont chaleureux : deux vieux amis se retrouvent enfin. Pourtant, Lula sait. Il sait que depuis plus d’une décennie le pouvoir de la dictature a été renforcé, que la répression est féroce dans le pays voisin, que ce régime dit socialiste est avant tout un pouvoir mafieux. Il sait encore que Maduro est à la tête d’un narco-Etat qui joue un rôle croissant dans le commerce transamazonien des drogues, qu’il soigne son armée pour qu’elle lui reste fidèle en laissant les hauts gradés contrôler toutes sortes d’activités illicites [3].

Ce Président informé aurait pu choisir de se taire et d’éviter les effusions. Pourtant, il se lâche et s’affiche comme un complice bienveillant de son hôte. Il lui recommande de ne plus tarder à réagir à ce qu’il présente comme de la propagande mensongère. Lula interpelle son homologue : « Camarade Maduro, vous devez être conscient du récit qui a été construit contre le Venezuela, de l’anti-démocratie, de l’autoritarisme ». Et d’ajouter une phrase lourde de sens : « C’est à vous, camarade, de construire votre propre récit et de changer la donne pour que nous puissions vaincre définitivement et que le Venezuela redevienne un pays souverain où seul le peuple, grâce à une élection libre, puisse dire qui va gouverner ce pays. C’est cela qui doit être fait. Et après cela, nos adversaires devront s’excuser pour tous les dommages qu’ils ont causés au Venezuela… »[4].

Un mois après « l’évènement historique » de mai. Lula est interrogé par la presse brésilienne sur les raisons qui le conduisent à traiter le régime de Maduro comme s’il s’agissait d’une démocratie. Le Président brésilien avance alors une théorie baroque de la démocratie qui serait un concept relatif dont le sens varierait d’un pays à l’autre. Pour justifier cette vision surprenante, Lula ajoute que le Venezuela a connu plus d’élections que le Brésil au cours des années écoulées. Dénonçant les ingérences étrangères qu’auraient constitué les soutiens occidentaux à l’opposant Juan Guaidó [5], Lula évoquera ensuite le scrutin présidentiel prévu pour le second semestre de 2024. « Que ceux qui veulent vaincre Maduro le fassent lors des prochaines élections. S’ils gagnent, ils assumeront le pouvoir. Et nous serons là pour contrôler le bon déroulement de la consultation. Si celle-ci n’est pas régulière, nous le dirons »….

Le double-jeu de Lula.

Des pourparlers entre le pouvoir de Caracas et son opposition ont lieu depuis 2021 sous les auspices. Ces discussions sont suivies par des représentants de l’Union européenne, de la France, de l’Argentine, des Pays-Bas, de la Russie et du Mexique. Lula va donc utili-ser ses talents de caméléon. Il sait que le scrutin présidentiel prévu pour 2024 devra à la fois assurer la victoire de son « camarade » et répondre (au moins en partie) aux attentes d’une communauté internationale de plus en plus exaspérée par le régime chaviste. Il faut jouer sur les deux registres et conforter ainsi l’image d’intermédiaire international influent, de pacificateur talentueux que le Brésilien cultive.

Pour Maduro, il s’agit d’obtenir la levée des sanctions économiques américaines et la libération de personnalités chavistes condamnées et emprisonnées aux Etats-Unis. Pour l’opposition et tous les pays qui parrainent les pourparlers, il faut que le pouvoir de Caracas s’engage à organiser un scrutin présidentiel régulier et libre en 2024. Ces parrains savent que Maduro n’est pas un ange. Face à ce tyran affaibli, la plus grande prudence est de mise. Ils ont pourtant choisi d’appuyer des tractations qui doivent conduire à un accord dont ils seront les garants. Ils sont conscients qu’une fois l’accord signé, il faudra maintenir la pression sur Caracas pour que les garanties électorales soient effectivement mises en œuvre. Sur ce plan, ils croient pouvoir compter sur les interventions de Lula et de son conseiller spécial. Les deux compères ont maintenu depuis des lustres un canal de communication avec Caracas et semblent désormais convenir de la nécessité d’organiser des élections régulières au Venezuela.

Lula et son conseiller diplomatique doivent donc apparaître comme des arbitres mais ces arbitres ne sont pas neutres, loin de là. Connaissant bien le dictateur, le système politique qu’il dirige et les avantages qu’apporteraient une levée des sanctions économiques, ils estiment que Maduro doit souscrire à un accord formel définissant des règles pour le scrutin de 2024. L’application des clauses assurant des élections libres et régulières laissera au dictateur de solides marges de manœuvre sur le plan intérieur. La levée des sanctions peut améliorer la situation économique intérieure et raffermir le camp chaviste. L’opposition n’est pas encore une force unie.  Le dictateur de Caracas n’a pas cessé depuis des années de susciter des divisions en son sein. S’il persiste et parvient à ses fins, il peut vaincre une opposition fracturée en 2024. Ensuite, Maduro pourra reprendre la recette qui a si bien marché en 2018. A force de créer des obstacles de toutes sortes (adaptations permanentes des règles électorales, intimidations, arrestations, répression) il était parvenu alors à dissuader plusieurs formations d’opposition de participer au scrutin. Ces formations avaient appelé leurs sympathisants à l’abstention…

Deux mois après avoir reçu Maduro en grandes pompes à Brasilia, Lula se retrouve à Bruxelles pour un sommet réunissant les représentants des pays membres de la Celac (Communauté des Etats Latino-Américains et de la Caraïbe) et de l’Union Européenne. A cette occasion, le compère brésilien multiplie les propos rassurants sur le Venezuela auprès ses homologues du vieux continent (dont le Président Macron) et plusieurs leaders latino-américains. A l’issue du sommet, tout ce monde se fend d’un communiqué demandant qu’un processus électoral juste et transparent soit organisé au Venezuela, selon les normes et les traités internationaux en vigueur….

Duperie à La Barbade.

Le 17 octobre 2023, le gouvernement de Maduro et un groupe de partis d’opposition (connu sous le nom de Plateforme unitaire) signent à la Barbade un accord destiné à assurer des élections libres et régulières lors du scrutin présidentiel de 2024. La signature entraîne plusieurs conséquences immédiates. Il y a un échange de prisonniers entre Caracas et Washington. Surtout, les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis au Venezuela sont allégées. Les Américains peuvent désormais importer du pétrole, du gaz et de l’or fournis par le régime chaviste.

L’accord contient plusieurs dispositions concernant l’organisation des prochaines élections présidentielles. Le gouvernement de Caracas s’est engagé à proposer au Conseil National Electoral (CNE) l’organisation de scrutin au cours du second semestre de 2024. Il doit aussi assurer la mise à jour complète des listes électorales, une question négligée à dessein sur le passé récent. Cette mise à jour concerne les jeunes (depuis des années, près de 3 millions de nouveaux électeurs n’ont pas pu s’inscrire). Elle concerne aussi l’inscription d’électeurs vivant à l’étranger (un détail essentiel pour un pays dont le quart de la population – environ 8 millions de personnes – s’est exilé et réfugié dans diverses régions du monde). Le texte de la Barbade répond aussi à deux préoccupations essentielles de l’opposition. Il établit d’abord que le CNE invitera des missions d’observateurs étrangers (notamment de l’Union européenne, des Nations-unies, de l’Union africaine et de la Fondation Carter [6]. Cette fondation reconnue a déjà une solide expérience de suivi des scrutins au Venezuela.

La seconde préoccupation de l’opposition concerne les conditions de qualification que les candidats devraient respecter pour se présenter. La disposition de l’accord sur ce sujet est très vague. Elle indique que les signataires s’engagent à « autoriser tous les candidats à la présidence et de tous les partis politiques, à condition qu’ils remplissent les conditions requises pour participer, à l’élection présidentielle, conformément aux procédures établies par la loi vénézuélienne ». Dans un pays où la Justice est à la botte du pouvoir, où les principaux leaders de l’opposition ont fait l’objet de condamnations infondées et ont perdu de ce fait le droit de postuler un mandat électif, une telle clause peut empêcher la participation de l’ancienne député María Corina Machado, vainqueur des primaires de l’opposition réalisées juste après la signature de l’accord. La candidate potentielle de la plateforme unitaire a été inculpée de corruption en juin 2023 au terme d’une enquête et d’un procès fantaisistes…

La réunion de signature de l’accord de La Barbade compte parmi les participants attentifs Celso Amorim. Quelques heures après la conclusion des négociations, dans un communiqué, le gouvernement brésilien déclare que « l’entente entre les forces politiques vénézuéliennes montre que le dialogue est capable d’apporter des résultats efficaces ». En réalité, l’accord de la Barbade est un faux semblant, une tromperie. Le gouvernement brésilien a contribué à l’élaboration d’un texte qui ne contraint pas réellement le pouvoir chaviste. Les mesures d’application relèvent du droit et de la Justice vénézuélienne. Très rapidement, le monde saura ce que cela signifie. Le 26 janvier 2024, se référant à sa condamnation pour corruption six mois plus tôt, la Cour Suprême du Venezuela (une instance totalement contrôlée par les chavistes) interdit à María Corina Machado d’occuper des fonctions publiques pendant 15 ans. Avec cette décision, Corina ne pourra pas se présenter aux élections présidentielles. Elle a pourtant remporté haut la main les élections primaires de l’opposition en octobre 2023 pour affronter Maduro….

A l’annonce de cette décision, plusieurs pays d’Amérique du Sud (Argentine, Uruguay, Paraguay, Equateur) protestent et manifestent de sérieuses inquiétudes. La décision d’écarter l’ancienne député de la compétition électorale est aussi condamnée par le groupe Initiative Démocratique de l’Espagne et des Amériques, un rassemblement des anciens Présidents de 37 pays. De leur côté, les Etats-Unis soulignent que la décision contredit l’engagement pris par le pouvoir de Caracas d’organiser des élections présidentielles régulières et équitables. Considérant justement que cet engagement était la contrepartie d’un allègement des sanctions économiques, ils durcissent à nouveau celles-ci. Quant aux compères brésiliens, ils se gardent de tout commentaire désagréable sur les manœuvres des chavistes. Début février, Celso Amorim téléphone au Président de l’Assemblée nationale du Venezuela et représentant du régime. Il échange aussi avec un porte-parole de l’opposition. Il publie ensuite un communiqué dans lequel il indique que le Brésil continue à soutenir l’accord de La Barbade en soulignant que la réalisation d’élections libres doit avoir pour contrepartie la fin de l’embargo des Etats-Unis sur les importations de produits vénézuéliens. A aucun moment, il n’est question de la persé-cution constante que subissent les opposants [7]. En janvier 2024, les autorités ont annoncé plus de 30 arrestations, dont des civils et des militaires, pour cinq conspirations présumées en 2023 et début 2024, impliquant des leaders de l’opposition, des agents du renseignement américain et l’armée colombienne, qui sont les cibles habituelles du gouvernement vénézuélien pour ce type d’accusations.

Au début mars, le Conseil National Electoral annonce que le scrutin initialement prévu pour octobre aura lieu le 28 juillet. Peu après, le dictateur qualifie le parti Vente Venezuela de María Corina Machado d’organisation terroriste. A la fin mars, l’opposition révèle que l’ancienne député frappée d’inégibilité par la Justice chaviste sera remplacée par Corina Yoris, une universitaire de 80 ans, inconnue du grand public. Maduro veut choisir ses rivaux. La nouvelle candidature n’est pas acceptée par le CNE. L’opposition ne désarme pas. Elle parvient finalement à faire enregistrer un candidat à la présidentielle du 28 juillet : Edmundo Gonzalez Urrutia, ancien ambassadeur et politologue. Tous ces rebondissements n’ont suscité aucune critique de la part du partenaire brésilien. Lula et le ministère des Relations extérieures se contentent de faire part de leur attente et préoccupation concernant le scrutin présidentiel à venir. Les messages ne font aucune référence aux noms des candidats récusés par une Justice aux ordres du pouvoir. Au début du mois de mars, lors d’une conférence de presse aux côtés du Premier ministre espagnol, Lula déclare encore qu’il est certain que le Venezuela sait qu’il a besoin d’une élection hautement démocratique ». Il dit alors que le Venezuela sait mais pas que Caracas fera en sorte qu’il en soit ainsi.

La farce électorale annoncée. 

A quatre mois de la date prévue pour l’élection, Lula, est évidemment parfaitement in-formé de la situation dans le pays voisin. Il suit le déroulement de la campagne. Il est conscient que son « camarade » prépare une mascarade. Dès que la date du scrutin a été fixée, le régime a multiplié les attaques contre l’opposition.   Des centaines de personnes proches de Maria Corina Machado ont été arrêtées de manière absolument arbitraire. Les soutiens de la candidate récusée subissent des agressions physiques, reçoivent des menaces sur les réseaux sociaux. De locaux de campagne sont détruits, des sites internet fermés. L’ancienne député et son remplaçant sont contraints de faire campagne en voiture : le pouvoir les a empêchés d’utiliser les compagnies aériennes nationales. Un véhicule de l’équipe de campagne est saboté. Le chef de la sécurité du candidat est arrêté. L’opposition n’a pas accès à la publicité télévisée gratuite. Contrairement aux engagements pris à la Barbade, le pouvoir chaviste ne révise pas les listes électorales tenues dans les consulats à l’étranger. Il va ainsi empêcher 4,5 millions d’exilés – soit environ 21 % de l’ensemble des électeurs – de s’inscrire pour voter. A quelques jours du scrutin, le CNE décide d’installer de nombreux bureaux de votes à l’intérieur de locaux officiels où sont habituellement distribuées les prestations sociales. Le jour du scrutin, les électeurs sont systématiquement soumis à une pression discrète de militants et de miliciens chavistes pour qu’ils votent pour Maduro afin de ne pas perdre les subsides que le régime leur octroie.

Ce ne sont là que quelques-unes des irrégularités et crimes commis par le camp du candidat du pouvoir. L’opposition résiste pourtant. Un mois avant le scrutin, les enquêtes d’opinion menées par des organismes indépendants donnent une large avance au candidat González Urrutia. Au Brésil et ailleurs sur le continent, les observateurs optimistes estiment que Maduro acceptera le résultat des urnes quel qu’il soit. Le conseiller spécial de Lula aux affaires internationales et tous les amis étrangers du régime croient aussi que le dictateur reconnaîtra sans problème un verdict décidé avant le scrutin. Après de nouveaux sondages défavorables, le 17 juillet, Maduro fait une déclaration officielle et menace du pire s’il venait à perdre les élections. Le propos est limpide. « Le destin du Venezuela au XXIe siècle dépend de notre victoire le 28 juillet. Si vous ne voulez pas que le Venezuela tombe dans un bain de sang, dans une guerre civile fratricide, produit des fascistes, garantissons le plus grand succès, la plus grande victoire de l’histoire électorale de notre peuple ». Interrogé sur les menaces proférées par le dictateur, le ministère brésilien des relations extérieures se borne à répondre que les élections vénézuéliennes sont l’affaire des Vénézuéliens et le Brésil ne doit pas s’impliquer, afin qu’il n’y ait pas d’interprétation selon laquelle le Brésil s’immiscerait dans les affaires intérieures d’un autre Etat.

Le conseiller aux affaires internationales de Lula est plus dissert. Dans une interview télévisée, Celso Amorim affirme que ce genre de propos n’est pas souhaitable. Il ajoute qu’il ne croit pas à un bain de sang au Venezuela et précise que Maduro n’a pas envisagé cette perspective dans l’immédiat [8]. Lula perçoit de son côté que le « camarade » Maduro a sans doute dépassé les bornes. Il affiche donc une prudente timide réaction et confie que le chantage de son homologue vénézuélien l’a effrayé. Maduro répond en conseillant à Lula de boire de la camomille pour retrouver sa sérénité, puis de s’occuper avant tout de réformer le système électoral brésilien lui-même (basé sur un système de vote électronique) qui serait un des plus frauduleux au monde…

Le jeudi 18 juillet, la leader de l’opposition Maria Corina Machado révèle que dans la nuit précédente deux véhicules dans lesquels elle se déplaçait avec son équipe pour mener campagne avaient été vandalisés, le carburant vidangé et les freins coupés. Cet attentat est pris très au sérieux par plusieurs anciens présidents de pays voisins qui dénoncent le silence de la communauté internationale et s’inquiètent pour la vie de la leader d’opposition. Ils sollicitent une intervention urgente des parrains de l’accord de La Barbade que sont les Présidents des Etats-Unis, de Colombie et du Brésil… Ces derniers ne réagissent pas. Le Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), organe de l’Organisation des Etats Américains condamne l’agression subie par l’ancienne député, enjoint Caracas d’ouvrir une enquête sur ce crime et demande que l’Etat assure la sécurité de toutes les personnalités politiques…

Deux jours avant la date du scrutin, le conseiller spécial de Lula débarque à Caracas. Il a été désigné par son patron pour suivre sur place le déroulement des élections. A l’exception de la fondation Carter, aucun observateur étranger indépendant et originaire de pays démocratiques n’a finalement été autorisé à surveiller le déroulement de la journée du 28 juillet. A son arrivée, Celso Amorim rencontre le ministre des Relations extérieures du gouvernement chaviste. Il est aussi reçu par Maduro. Amorim est un observateur partial et particulièrement cynique. Il n’est pas à Caracas pour rapporter ce qu’il a vu mais pour annoncer que, quoiqu’il arrive, tout s’est bien passé.

Le jour et le lendemain de la mascarade.

Démonstration est faite dès le 28 juillet au soir. Les représentants de l’opposition ont été écartés des opérations de dépouillement. Il y a eu des violences, des arrestations arbitraires. Dans les quartiers et les régions donnés comme favorables à Maduro, l’abstention a été élevée et les résultats ne sont pas ceux que le pouvoir attendait. Amorim publie pourtant un communiqué où il se réjouit que la « journée se soit déroulée sans incident majeur ». Il précise qu’il n’a pas cessé d’informer Lula. Le conseiller spécial conclut : « Nous attendons les résultats définitifs et espérons que tous les candidats les respecteront ». Il n’aura pas à attendre longtemps et ne sera pas surpris.

Le soir du 28 juillet, le CNE proclame la victoire de Maduro sans fournir d’informations détaillées sur les résultats par circonscriptions et bureaux de vote. Le Conseil aurait été victime d’un piratage informatique. Des opposants et la Fondation Carter estimeront qu’il s’agit-là d’une manœuvre destinée à éviter d’avoir à donner les vrais résultats. Dès le vendredi suivant, le même Conseil ratifie la victoire du Président sortant avec 52% des voix, toujours sans rendre publics les procès-verbaux des bureaux de vote. De son côté, l’opposition a publié les procès-verbaux obtenus par ses scrutateurs. Elle affirme que son candidat a remporté le scrutin avec 67% des suffrages. La fondation Carter confirme: «Même si les deux camps n’étaient pas à armes égales, les Vénézuéliens sont allés voter (…) mais la grande irrégularité du jour du scrutin a été le manque de transparence du CNE et le mépris flagrant de ses propres règles du jeu». La Fondation précise qu’elle a «analysé les chiffres» des procès-verbaux diffusés par l’opposition avec d’autres «organisations et universités» et «confirme qu’Edmundo Gonzalez Urrutia est le vainqueur avec plus de 60% des voix»[9] .

Le lundi 29 juillet, le Ministère brésilien des Relations Extérieures déclare qu’il attend la publication par le CNE de données détaillées par bureau de vote pour se positionner quant aux résultats. Le Ministère, le Président Lula et son clan feignent de ne pas savoir ce qui se passe. Des manifestations d’opposants révoltés sont en cours. Dix personnes sont tuées par la police et les milices sur le seul lundi. Le 30 juillet, le procureur général du Venezuela annonce que 749 manifestants de l’opposition ont été arrêtés. Il s’agirait de terroristes !  Ce même procureur ajoute qu’il prépare l’arrestation et l’inculpation de Maria Corina Machado et de deux autres leaders de l’opposition qui seraient les responsables de l’attaque informatique dont aurait victime le CNE.

L’exécutif brésilien et son chef vont désormais adopter une posture de complicité prudente avec le pouvoir chaviste. Pour que ce dernier ne doute à aucun instant de la solidité des liens d’amitié, Lula laisse son parti exprimer sans attendre une complicité enthousiaste. Dans un communiqué publié dès le lendemain de la mascarade électorale orchestrée par le pouvoir chaviste, le Parti des Travailleurs salue la « victoire » du leader chaviste et qualifie le scrutin comme un processus « pacifique, démocratique et souverain »... Un ton et un contenu proche de ceux des messages envoyés à Maduro par les potentats du Nicaragua, de Cuba, de Chine, de Russie ou d’Iran. Les résultats officiels du scrutin seront dénoncés par les États-Unis, l’Union européenne, l’Argentine, le Pérou, l’Equateur ou le Costa Rica. Les ambassadeurs de ces derniers pays seront expulsés rapidement du Venezuela.

Au Brésil, Lula croit encore qu’il peut persister dans le double jeu. Le leader brésilien a une très longue expérience du régime chaviste. Il connaît tous les ressorts des mises en scène de ce pouvoir autoritaire devenu dictatorial. Le Président brésilien a décidé à l’issue de la farce tragique jouée sur la scène du pays voisin d’afficher un cynisme total. Dès le 30 juillet, il déclare contre toute évidence qu’il n’a rien vu « rien de grave, rien d’anormal » dans l’élection vénézuélienne. Il y aurait simplement un différend entre le pouvoir et son opposition, un différend qui doit bien entendu être arbitré par la Justice Et d’ajouter qu’il est convaincu qu’il s’agit au Venezuela d’un processus électoral normal et tranquille…Lula annoncera ensuite qu’il attend la publication par le CNE des fameux procès-verbaux. Il sait très bien que cette publication n’aura jamais lieu [10].

Le 31 juillet le conseil permanent de l’Organisation des États américains (OEA) n’est pas parvenu, à une voix près, à approuver une résolution exigeant que le CNE vénézuélien présente les procès-verbaux complets du scrutin réalisé trois jours avant. Le conseil permanent avait besoin de 18 voix pour approuver la résolution, qui demandait également que les données soient vérifiées par des observateurs internationaux afin de garantir la transparence, la crédibilité et la légitimité des résultats de l’élection. Il y a eu 17 votes en faveur de la résolution, aucun contre, 11 abstentions et 5 absences (dont le Mexique). Parmi les abstentions figurent deux gouvernements proches du régime chaviste : la Colombie de l’ancien guérillero Gustavo Petro….et le Brésil.

Lula et son parti abandonneront-ils un jour cette complicité cynique avec le pouvoir dictatorial de Caracas ? Une rupture idéologique tardive doit être écartée. Le compère pourrait pourtant prendre ses distances, assurer ses arrières, si deman Maduro en venait à mettre à exécution ses sinistres menaces (le bain de sang). Le coût politique de la complicité maintenue serait alors considérable pour Lula à l’intérieur du Brésil. Comment réagirait le Congrès où il a déjà du mal à trouver des majorités de soutien ? Comment se comporterait sa propre équipe gouvernementale dont plusieurs membres (dont Marina Silva, ministre de l’Environnement) ont déjà dénoncé la mascarade vénézuélienne. C’est tout l’avenir du troisième mandat qui serait en jeu. Les dinosaures savent bouger lorsqu’ils font face à un danger vital….

[1] L’ancien Président brésilien avait même déclaré Maduro persona non grata au Brésil.

[2] Nicolás Maduro a repris ses déplacements notamment au Mexique au mois de septembre 2021 pour la réunion de la communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, mais aussi au mois de novembre 2022 à la réunion de la COP-27 à Charm-el-Cheikh en Egypte. Maduro a alors une brève entrevue avec le Président français E. Macron et plusieurs échanges avec Lula. Officiellement, le Brésilien et le Vénézuélien ont traité d’un projet de lutte coordonnée contre la destruction de la forêt amazonienne.

 [3] Lula sait aussi que la répression subie par le peuple vénézuélien n’est pas seulement le fait des polices et de l’armée régulière mais aussi et surtout de milices tristement connues dans ce pays, les colectivos, des groupes de miliciens organisés par le régime.  Il n’ignore pas que les personnes qui refusent de payer l’impôt des réseaux mafieux (la vacuna, vaccin en espagnol)  qu’entretient le régime sont persécutées ou tout simplement éliminées.

[4] Source : O Estado de São Paulo, diverses éditions.

[5] Leader politique de l’opposition au régime chaviste, Guaido est élu président de l’Assemblée nationale le 5 janvier 2019. Alors que l’investiture de Nicolás Maduro pour un second mandat est contestée, invoquant la Constitution, il s’autoproclame président de la République par intérim le 23 janvier suivant, sans toutefois posséder de pouvoir effectif. Cette crise présidentielle provoque une série de manifestations et de conflits. Il reçoit la reconnaissance de l’Assemblée nationale et d’une cinquantaine de pays.

[6] La question était essentielle pour l’opposition, qui considérait la présence d’observateurs internationaux comme un frein ou une modération possible aux abus du gouvernement, en particulier le jour des élections. En juin 2023, le régime de Maduro était encore opposé à la présence d’observateurs de l’Union Européenne aux élections. Il a donc apparemment changé de position. L’accord de la Barbade précise cependant que les missions d’observation seront « techniques », ce qui vise à éviter une mission d’observation de l’Union européenne, qui a généralement une composante politique et publique.

[7] Maduro fait alors écho au conseiller spécial de Lula en affirmant qu’il considère que l’accord de la Barbade est moribond. Un peu plus tôt, dans une déclaration qui a jeté un sérieux doute sur l’engagement de Caracas, le président du Parlement, Jorge Rodríguez, avait déclaré qu’il y aurait des élections en 2024 « avec ou sans l’accord de la Barbade ». De son côté, le chef de l’Etat a invoqué le projet qu’aurait l’opposition de le liquider. Les accusations de tentative d’assassinat du chef de l’Etat sont fréquentes de la part du camp chaviste.

[8] Percevant qu’il s’égare, l’ambassadeur brésilien cherchera à atténuer son commentaire. « Je ne vais pas chercher à justifier le propos (de Maduro) parce que je pense qu’il est vraiment déplacé. On ne parle pas de sang en période électorale. , Au cours d’une campagne, on parle de votes, on ne parle pas de sang ». Par la suite, le conseiller de Lula cédera finalement à la tentation de défendre Maduro : « Mais j’ai l’impression, étant, disons, peut-être un peu compréhensif, qu’il faisait référence au long terme, à la lutte des classes, à des choses comme ça, dont, de toute façon, il ne devrait pas parler. »

[9] Lien de la déclaration de la Fondation : Carter Center Statement on Venezuela Election

[10] Début août, le faux semblant est encore de mise. La Colombie, le Brésil et le Mexique suggèrent une « vérification impartiale des résultats ». La proposition est jugée irréaliste par la Fondation Carter. Ses représentants à Caracas savent que quelques jours après le scrutin les procès-verbaux de bureaux de vote ne pourront pas être analysés.

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Carfantan

Jean-Yves Carfantan

Né en 1949, Jean-Yves Carfantan est diplômé de sciences économiques et de philosophie. Spécialiste du commerce international des produits agro-alimentaires, il réside au Brésil depuis 2002.

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