<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Lützen (16 novembre 1632). Le Lion est mort ce soir

4 avril 2024

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Bataille de Lutzen (c) Oscar Nitsch
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Lützen (16 novembre 1632). Le Lion est mort ce soir

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Surnommé « le Lion du Nord », même par ses ennemis, Gustave II Adolphe conduisit peu de batailles, mais fut presque toujours victorieux, y compris dans le combat qui lui fut fatal, livré près de la ville saxonne de Lützen.

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

Monté sur le trône de Suède à moins de 17 ans, contesté par son cousin Sigismond, roi de Pologne, écarté du trône suédois, parce que catholique, il fit de son pays la puissance dominante de la Baltique. Il devint alors le champion des protestants menacés par la Reconquista catholique en s’engageant dans le conflit qui déchire l’Europe au début du xviie siècle : la guerre de Trente Ans (1618-1648), dont la bataille de Lützen constitue la bissectrice. 

Une révolution militaire ?  

Gustave Adolphe a hérité de ses prédécesseurs la première armée « nationale », fondée sur une conscription généralisée : tous les Suédois et Finlandais de 15 à 18 ans s’inscrivaient sur des listes d’où était retenu un homme sur dix pour un service militaire de trente ans dans l’infanterie, les nobles étant astreints au service dans la cavalerie en échange d’une exemption d’impôt. Entre 1626 et 1630, les milices fournirent ainsi près de 50 000 fantassins, enrôlés dans des régiments régionaux ; seule la garde royale restait composée de mercenaires, allemands d’abord, suédois ensuite. Gustave Adolphe réforme le système pour qu’il soit mieux accepté, tout en renforçant la discipline – notamment pour limiter les exactions contre les civils – et l’esprit de corps, grâce à un étroit encadrement religieux et à un discours nationaliste adossé au « gothicisme » – conviction que les Suédois modernes descendaient des Goths antiques et médiévaux. La Suède a aussi introduit les uniformes, les unités s’identifiant par des couleurs visibles sur les drapeaux, sinon sur les habits. 

Le roi-soldat reste surtout associé à des innovations tactiques typiques de la « révolution militaire », dont il n’a peut-être pas la paternité intégrale, mais dont il sut faire une efficace synthèse. Ainsi, du rôle offensif de la cavalerie, qui, appuyée par des mousquetaires, redevient une arme de choc ; ou bien de l’augmentation de la proportion des tireurs (arquebusiers, mousquetaires) dans l’infanterie, avec diminution corrélative des piquiers et préférence pour l’ordre mince, linéaire, dans le déploiement, pour maximiser l’effet du tir, que les fantassins étaient entraînés à déclencher en salve et le plus tard possible. Soucieux de favoriser la mobilité et la puissance de feu de son armée, Gustave Adolphe débarrasse ses piquiers de leur cuirasse et introduit les cartouches pour les mousquets ; il dote ses bataillons d’infanterie de canons légers de quatre livres, très maniables, dont la fabrication stimule fortement l’industrie suédoise. 

Dix ans après la seconde « défenestration de Prague » (1618), qui a déclenché la guerre, la situation des États protestants allemands est devenue critique, du fait du retrait du Danemark, ce qui détermine la Suède à intervenir, poussée par la France, pourtant catholique. Débarqué avec 13 000 hommes le 6 juillet 1630 à Pennemünde, en Poméranie, Gustave Adolphe consolide d’abord sa tête de pont, puis entreprend en 1631 une campagne éclair qui lui fait traverser l’Allemagne du nord-est au sud-ouest jusqu’au confluent du Main et du Rhin. Cette marche triomphale culmine avec la prise de Mayence, ville dont le prince-archevêque est un des sept Électeurs décidant de l’attribution du trône impérial. Au passage, Gustave Adolphe remporte une retentissante victoire à Breitenfeld (17 septembre 1631), au nord-ouest de Leipzig, sur une armée impériale pourtant commandée par le vénérable Tilly, prestigieux vainqueur de la Montagne blanche (1620). 

Ce dernier trouve la mort en avril 1632 à la bataille de Rain am Lech, en essayant vainement d’empêcher l’armée suédoise d’attaquer la Bavière, indéfectible et riche alliée de l’empereur. Face aux pertes de soldats confirmés et de son meilleur général, l’empereur Ferdinand rappelle l’entrepreneur de guerre Wallenstein, congédié en 1630. Wallenstein esquive la bataille contre Gustave Adolphe, restant dans une posture défensive – il lui inflige son premier revers à Alte Veste le 3 septembre 1632. Puis il attaque la Saxe, dont le prince-Électeur luthérien, Jean-Georges Ier, a longtemps hésité à s’engager. Leipzig est prise début novembre ; Gustave Adolphe accourt à l’aide de son allié incertain mais, s’estimant trop faible en cavalerie, il se replie sur Naumburg et commence à fortifier ses positions (13 novembre). 

Le génie suédois 

Wallenstein réagit comme Gustave Adolphe l’espérait : pensant que l’ennemi prend ses quartiers d’hiver, il divise son armée pour poursuivre la campagne en Saxe. Il envoie Pappenheim vers Halle, au nord-ouest, et lui-même se retire à Leipzig avec 12 000 hommes. Or dès le 15, Gustave Adolphe reprend sa marche dans l’intention de surprendre les impériaux séparément. L’armée suédoise aligne environ 18 000 hommes, mais elle est retardée dans sa progression au passage du Rippach, défendu par une arrière-garde impériale. Elle n’achève le franchissement que vers 16 heures, qui correspond au crépuscule en cette fin d’automne : elle ne peut donc continuer jusqu’à Lützen, à 7 kilomètres de là, et passe une nuit glaciale en plein air, sans abri et presque sans nourriture, car pour aller plus vite, le roi a réduit le train de bagages au strict minimum. 

Entretemps, Wallenstein a rappelé Pappenheim. Ce dernier part en pleine nuit avec trois régiments de cavalerie, laissant à ses adjoints le soin de prendre la route avec l’infanterie et l’artillerie dès le lever du jour. L’armée impériale s’est déployée à l’est de la ville de Lützen, au carrefour de la route de Halle et de celle reliant Erfurt à Leipzig. Au matin, Gustave Adolphe subit de nouveaux contretemps : un épais brouillard l’empêche de lever le camp dès l’aube et son déploiement est contrarié par un fossé étroit qui coupe son axe de marche et ne peut être franchi que par des ponts, peu nombreux. Ce n’est donc pas avant 10 heures que l’armée suédoise peut lancer ses premières attaques. 

Conscient que sa supériorité numérique ne durera pas, le roi de Suède a ordonné une attaque sur l’ensemble de la ligne de front, sans chercher à contourner les fortifications érigées à la hâte par les impériaux, comme les tranchées et levées de terre le long de la route vers Leipzig. Wallenstein fait même incendier les maisons de la ville, parce qu’il n’a pas assez d’hommes pour la défendre ; la fumée de l’incendie s’ajoutera au brouillard résiduel et à celle des armes à feu pour plonger le champ de bataille dans un chaos crépusculaire. Au début, la fortune sourit plutôt aux assaillants : la cavalerie de l’aile droite, menée par le roi en personne, balaie la faible aile gauche des impériaux, celle de l’aile gauche met aussi ses opposants en fuite et l’infanterie, au centre, malgré de lourdes pertes, emporte les tranchées et la batterie d’artillerie de la première ligne. 

L’armée Suédoise en action

Au milieu du jour se produisent néanmoins plusieurs coups de théâtre : Pappenheim arrive à temps pour enrayer le débordement de l’aile gauche ; mais, menant lui-même les charges, il est blessé et évacué du champ de bataille – il meurt avant d’arriver à Leipzig. Ses régiments victorieux fléchissent moralement. Non loin de là, le roi de Suède, lui aussi à la tête d’une unité de cavalerie, a le bras fracassé par une balle et se retrouve isolé avec sa suite – une dizaine d’hommes à peine – après une contre-attaque impériale. Alors qu’il cherche à se replier, il est surpris par un peloton de cuirassiers masqués par la fumée ; reconnu, il reçoit un coup de pistolet et plusieurs coups d’épée qui transpercent son pourpoint rembourré en cuir d’élan. Comme les Suédois reviennent à son secours, un cavalier l’achève d’un coup de pistolet en pleine tête avant de s’enfuir. 

C’est aussi le moment où deux unités de vétérans de l’infanterie suédoise, les brigades Jaune – assimilée à une garde royale – et Bleue sont bloquées par la deuxième ligne impériale, plus expérimentée et supérieure en nombre, et chargées sur les flancs par des cavaliers postés en retrait ; défendant leurs positions avec acharnement, ces deux unités sont quasiment anéanties, les deux tiers de leur effectif étant tués ou blessés. Enfin, l’attaque de l’aile gauche est elle aussi mise en échec par la principale batterie d’artillerie impériale et les mousquetaires en embuscade dans les vergers autour de Lützen. 

L’étrange victoire 

Vers 15 heures, la bataille marque une pause sur une situation paradoxale : la gauche impériale a virtuellement cessé d’exister, mais le centre suédois est béant et la gauche fortement ébranlée par l’échec de son double assaut. Les deux adversaires chancellent, mais le sang-froid des chefs rétablit la situation. La deuxième ligne suédoise, commandée avec lucidité par Knyphausen, comble les vides au centre et conserve les positions acquises depuis le début du combat, tandis qu’à gauche, l’insistance de Bernard de Saxe-Weimar, nouveau commandant en chef, permet d’emporter la dernière batterie – mais les Suédois se replient par crainte d’une contre-attaque nocturne. 

À la nuit tombée, les deux armées ont regagné peu ou prou leurs positions initiales. Les impériaux peuvent estimer avoir remporté un succès tactique : même s’ils n’ont pas une idée précise des pertes humaines, ils comptent plus de 30 drapeaux pris à l’ennemi, alors qu’ils n’en ont perdu qu’une dizaine, issus pour beaucoup d’une même unité, déroutée en début de bataille. Avec des réserves de munitions encore bien garnies et l’infanterie wallonne de Pappenheim, qui déboule à partir de 18 heures, ils peuvent espérer un succès décisif le lendemain. Or, contre l’avis unanime de ses subordonnés, Wallenstein décide de se retirer à Leipzig. 

Les Suédois prévoyaient aussi de battre en retraite, du fait de leurs lourdes pertes, quantitativement (36 % de leurs effectifs initiaux en moyenne) et qualitativement, même si la mort de Gustave Adolphe n’est officialisée qu’une fois l’armée revenue à Weissenfels. Malgré la découverte du repli impérial, qui leur permet de rester maîtres du terrain et de l’artillerie ennemie, si chèrement conquis, leur logistique précaire pousse Saxe-Weimar à maintenir l’ordre de retraite. Ce recul ne modifie pas l’attitude des impériaux qui, pour prendre leurs quartiers d’hiver, et protéger la Bohême, vont jusqu’à évacuer Leipzig le 18, puis la Saxe ; la boucherie incertaine de Lützen se transforme donc en succès stratégique pour les Suédois, qui ont sauvé leur principal allié continental. 

La mort de Gustave Adolphe se révélera pourtant catastrophique pour les protestants, qui perdent l’élan moral et l’ascendant psychologique que le Lion du Nord leur avait donnés. Son chancelier, et un des artisans de ses réformes, Axel Oxenstierna, tentera bien de prolonger la coalition en créant en avril 1633 la ligue de Heilbronn avec les États protestants d’Allemagne, mais les deux plus puissants, le Brandebourg et la Saxe, refusent d’y adhérer ; le versatile Jean-Georges se préparait déjà à renouer avec l’empereur, ce qui lui permettra de conclure une paix séparée en 1635, après la lourde défaite suédoise à Nordlingen (septembre 1634). Face au délitement du camp protestant, la France devra alors s’engager directement dans le conflit pour porter le coup de grâce aux impériaux grâce à Condé et Turenne, émules du roi suédois. 

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À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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