Madagascar : quand défense rime avec développement

15 février 2021

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : SOCHI, RUSSIA - OCTOBER 22, 2019: Andry Rajoelina en 2019.
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Madagascar : quand défense rime avec développement

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Corolaires des réformes du gouvernement, les derniers chiffres attestant d’une baisse des trafics et des violences témoignent de réels progrès dans la politique de sécurité de la Grande-Île. Ces progrès illustrent aussi bien la pertinence de cette réforme qu’un début d’assainissement de l’administration et le retour de l’État.

 

Madagascar semble donner des signes de reprise en main de son territoire après une longue période de quasi-faillite de l’État. Il en résulte une pauvreté extrême, une insécurité croissante et la prolifération de trafics illégaux (faune endémique, bois de rose, zébus, ressources halieutiques…). Pour l’État malagasy, cette situation implique une fuite non maîtrisée de ressources et de capitaux, entretenant le cercle vicieux qui empêche le pays de sortir de l’ornière. S’y ajoute un phénomène de « baronisation » locale, entretenu par les revenus de la contrebande.

 

Les chiffres annoncés pour le Nouvel an 2021 par le Président témoignent d’une diminution depuis 2017 des trafics tout comme de l’insécurité (banditisme, agressions, enlèvements…) qui y sont associés, deux traductions concrètes de la réforme du secteur de la sécurité. Cette dernière, qui comprend trois axes : restructuration, redéploiement et renforcement capacitaire des armées a été cadrés par la nouvelle doctrine d’emploi de l’armée malagasy adoptée en 2019. Ces résultats témoignent également d’un début d’assainissement de la sphère politique et de l’administration, jusqu’ici particulièrement commises dans les filières de trafics illégaux, rendant floue la distinction entre économie légale et illégale.

Nouvelles doctrines

Lorsqu’Andry Rajoelina est élu en 2018, Madagascar est dans un état de délabrement avancé : pauvreté extrême (92% de la population), corruption d’un bout à l’autre de la chaîne décisionnelle et insécurité latente. Sous son gouvernement, la réforme du secteur de la sécurité va s’accélérer, notamment dans son volet militaire.

Cette réforme s’appuie sur des concepts renouvelés d’emploi des forces pour l’armée malagasy. Prenant acte du faible risque d’agression militaire étrangère, les autorités malgaches ont alors défini la mission des forces armées avant tout comme un support au développement du pays.  Dans cette optique, l’emploi des forces a été réorienté vers la sécurité intérieure (contre-banditisme), la lutte contre les trafics, le soutien à la cohésion nationale et le retour de l’État. Il s’agit là de la prise en compte de la contestation de la légitimité étatique par plusieurs types d’acteurs.

 

L’armée malagasy étant dotée d’un budget très faible (115 millions USD), les réformes n’ont pas privilégié une intégration de capacités matérielles, mais plutôt une restructuration organique (constitution de trois états-majors distincts : terre, air et mer) et infrastructurelle. L’attention portée à l’amélioration de la formation des opérateurs (cadres, pilotes, etc.) mérite également d’être soulignée. Concentrée dans quelques bases avant les réformes, les forces ont depuis été redéployées autour d’un réseau de bases opérationnelles avec un double objectif : reprendre la maîtrise du territoire terrestre comme maritime (surveillance des côtes) et de combattre l’insécurité liée au banditisme des « dahalo », ainsi que les divers trafics. En outre, Madagascar dispose de plusieurs partenariats militaires internationaux dans le cadre de la formation et du transfert d’expériences (France, États-Unis, Corée du Sud…).

Le pays dispose par ailleurs d’un embryon d’industrie de défense via son usine de production de munitions (Angavo). Un atout, en termes d’autonomie stratégique, dont certains pays européens ne peuvent se prévaloir.

Mise en œuvre

 

L’armée malagasy, composée de 13 000 soldats (et 8 500 gendarmes), s’est rapidement redéployée. En mai 2019, le déploiement de 700 hommes des forces armées dans la « zone rurale prioritaire de sécurité Alpha » a été annoncé : un effort important traduisant la volonté politique du gouvernement de reprendre la main. Les zones rurales prioritaires de sécurité font partie des « dispositifs permanents de sécurité » mis en place par le ministère de la Défense nationale. Il s’agit d’un maillage de FOB (bases opérationnelles avancées), telles que l’on peut en voir dans le Sahel, capable d’accueillir des compagnies de combat et un héliport. Ces bases sont prévues pour être déployées dans plusieurs localités telles que Tsaratanana, Morafenobe, Ankilizato, Ambatofinandrahana ou Lakora. Leurs travaux de construction ont commencé dès l’été 2019.

On note à la marge l’intégration de matériels tels que de l’armement individuel (visée nocturne, protections balistiques…), des véhicules de transport ou bien quelques hélicoptères (trois vecteurs à ce stade) tels que des Airbus AS 350 Ecureuils B2. Ces derniers, bien qu’endurants et polyvalents, ne disposent pas dans cette version d’armes cinétiques :  ils devraient donc être dédiés en priorité à des missions ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) en appui aux forces terrestres. L’armée malagasy manque encore cruellement de moyens sur l’ensemble du spectre des missions aériennes : notamment les capacités ISR, d’appui-sol ou de transport tactique malgré l’arrivée de transports aériens Airbus CN 235 CASA. Face aux premiers progrès enregistrés, le gouvernement a pris la décision de créer la première unité parachutiste de l’armée malgache en 2020.

 

Sur le volet maritime, les forces se réduisent à trois patrouilleurs côtiers, sept vedettes et un chaland de débarquement. Des capacités très insuffisantes pour la surveillance maritime de 5 000km de côte et d’une vaste ZEE (Zone économique exclusive située dans un des secteurs les plus traversés par les flux de marchandises internationaux. Le gouvernement à cependant annoncé la dotation prochaine de cinq avions de patrouille maritime légers Cesna – mais on en sait peu sur le type de capteurs embarqués-, et Madagascar peut s’appuyer sur son partenariat militaire avec les forces armées françaises dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) portant sur l’entraînement des forces et le ravitaillement en mer. De plus, les FAZOI offrent un appui important à Madagascar dans la lutte contre les trafics illégaux et travaillent à l’installation du réseau de sémaphores malgache (surveillance et coordination en mer).

 

Le renseignement fait également défaut malgré l’installation du centre régional de fusion des informations maritimes, à l’initiative de l’Union européenne. Si une partie des populations fournissent du renseignement d’origine humaine (rohum) aux forces, le renseignement technique reste encore embryonnaire autant dans la collecte que dans les capacités de fusion. Si l’armée malgache poursuit sa montée en puissance, l’intégration de capacité supplémentaire dans ce domaine sera envisageable.

 

Gagner les cœurs

 

La réforme du secteur de la sécurité et les opérations comportent une dimension duale civilo-militaire conformément aux concepts d’emploi des forces armées malagasy. Dans leur dimension opérationnelle, militaires et gendarmes sont chargés de traquer les « dahalos » et les trafiquants afin de permettre à l’État de regagner sa légitimité. Les missions de  « combat » s’articulent avec des missions d’aide aux populations et d’aménagement du territoire : réfection des routes, construction de centrales solaires, adduction d’eau, etc. Il s’agit d’aides fondamentales dans les régions sudistes très pauvres et marquées par des épisodes de sécheresse récurrents. Les missions civilo-militaires sont le premier palier de soutien aux populations destiné à convaincre ces dernières de la présence de l’État et de sa légitimité. Par corollaire, le retour des services publics facilite l’abandon des trafics ou pousse les populations à se désolidariser de leurs opérateurs.

 

L’inauguration en août et octobre 2020 des nouvelles directions régionales de la santé publique (Vakinankaratra et Anôsy) fut un palier supplémentaire franchi vers le retour de l’État. À terme, le pays devrait compter 21 structures de ce genre. Dépendants des forces de police, elles comporteront des services de renseignement, de police judiciaire, mais aussi de protection des mineurs. Ce type de structure est fondamentale afin de s’articuler avec l’action militaire sur le terrain.  C’est aussi une nécessité pour faciliter le retour en force d’une activité économique légale.

 

Les déplacements du Président malgache sur le terrain comportent une dimension fortement symbolique. Sa tournée d’octobre 2020 dans le sud du pays, en pleine disette, illustrait la volonté du retour de l’État dans les régions les plus reculées. Ces visites comportent des volets très concrets : distribution de fournitures aux collectivités, de matériel aux armées.  La dernière tournée fut d’ailleurs marquée par l’inauguration de nouvelles institutions civiles non sécuritaires telle que la Chambre de commerce de la région d’Androy.

 

Embellie sécuritaire

 

Difficile de contester les résultats de cette politique au vu des chiffres officiels : les statistiques partagées lors des vœux présidentiels sont particulièrement éloquentes. Les vols de zébus par les dahalos auraient diminué de 50%, passant de près de 58 000 bêtes volées en 2018 à environ 25 500 en 2020, selon les données de la gendarmerie nationale. La circulation d’armes illégales et leur restitution aux armées a également connu une forte hausse, passant de 149 armes saisies à 1 498 dans l’intervalle. On constate la même tendance concernant les enlèvements. S’il est difficile de ne pas y voir un impact direct de la réforme entreprise ces dernières années, ces succès sont aussi un indicateur de l’amélioration de la gouvernance du pays, notamment sur le plan de la lutte contre la corruption.

 

Alors que de nombreux trafics illégaux ou issus de l’économie informelle sont traditionnellement contrôlés par une partie de la classe politique, les alternances sont l’occasion de redistribuer ces divers trafics sur une base clientéliste, conformément aux modalités du « pacte élitaire » défini par Mathieu Pellerin, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Ce « pacte » régit historiquement les rapports économiques et politiques des élites du pays et parasite de facto les tentatives, locales ou nationales, d’endiguer les trafics et les violences qui en découlent.

 

La réduction du volume des trafics, notamment les vols de zébus, indique-elle alors réellement une reprise en main par l’État de sa propre classe politico-administrative ? On serait tenté de le penser, d’autant que la lutte contre d’autres trafics très lucratifs, comme le bois de rose ou l’or, semblent s’intensifier également. S’il faudra encore attendre encore quelques années pour en faire une analyse plus définitive, reste que la tendance actuelle autorise l’optimisme pour la suite du développement civil et militaire de Madagascar. Sur ce dernier point, il s’agit d’un enjeu international si l’on prend en compte le rôle géostratégique particulier de la Grande-Île dans la zone Indo-Pacifique.

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À propos de l’auteur
Yannick Smaldore

Yannick Smaldore

Journaliste Défense
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