Michael Collins : l’insurrection comme moyen, la liberté comme destin

18 janvier 2021

Temps de lecture : 10 minutes
Photo : C'est dans les verts paysages irlandais que s'enracine l'histoire de Michael Collins. (c) Unsplash Kelly Kiernan
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Michael Collins : l’insurrection comme moyen, la liberté comme destin

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Pour les Irlandais, il est l’icône de la lutte pour l’indépendance. Si l’on connaît bien les exploits de Daniel O’Connell ou de Charles Stewart Parnell, résistants qui ont connu leurs heures de gloire dans l’Irlande occupée du XIXe siècle, peu savent qui est véritablement Michael Collins. Jeune, idéaliste, révolutionnaire et patriote, il a donné sa vie pour l’Irlande libre. Une existence marquée par le sens du devoir, l’instinct de combattant et l’esprit de sacrifice, trois principes qui animent le destin de ceux qui meurent pour que d’autres vivent.

 

Si, comme le dit Albert Camus, « dans l’art, la rébellion se consume et se perpétue dans l’acte de création réelle, pas dans la critique ou le commentaire », il en va de même dans la politique.

En la matière, l’histoire de France nous propose un exemple aussi récent qu’édifiant : Tom Morel, héros du plateau des Glières, tombé le 10 mars 1944 pour avoir résisté. Avec sa mort, la devise qu’il chérissait tant a pris une valeur plus particulière. « Vivre libre ou mourir » : tels étaient les mots qui l’ont animé, l’ont poussé à rejoindre le maquis et l’ont conduit à donner sa vie pour une cause transcendante. À travers sa figure, c’est celle de tous les résistants à un ordre établi, à une occupation étrangère, qui rejaillit. Parmi eux, le trop peu connu Michael Collins. Figure de l’Irlande libre et indépendante, cet homme se pose également comme l’un des grands initiateurs de la stratégie de la guérilla et de la guerre urbaine. Patriote, Collins a donné sa vie pour la liberté des siens. Révolutionnaire, il l’a été dans sa volonté de renverser le cours des choses en se rebellant, par devoir, contre l’autorité anglaise. Résistant gaélique, il le demeurera dans l’Histoire et dans la mémoire de ceux qui n’oublient pas.

Homme libre, Michael l’est dès sa naissance en voyant le jour en 1890 dans le comté de Cork. Situé au sud-ouest de l’Irlande, ce territoire est, depuis des siècles, le principal lieu de départ de l’émigration. En effet, pour échapper à la tutelle anglaise et à la pauvreté, beaucoup se sont envolés vers le large, vers la liberté, à partir de cette pointe méridionale de l’île. Le rebel county, comme il est surnommé depuis la guerre d’indépendance, porte bien son nom tant il a su transmettre à certains de ses habitants le goût de l’insoumission. C’est son père qui, par son appartenance à l’Irish Republican Brotherhood (IRB), l’éduque dans l’amour du patriotisme et de l’insurrection comme moyen d’action pour recouvrer sa liberté.

 

L’Irlande, entre soumission et indépendance

 

Au XIIe siècle et par un jeu d’alliance stratégique, comme le fit jadis Jules César en Gaule, l’Angleterre prend possession de l’Irlande. Cette colonisation connait un premier revers avec l’apparition de la Réforme qui voit les Irlandais catholiques, donc potentiellement alliés aux royaumes de France ou d’Espagne, se lever face à l’occupant anglais et protestant. C’est par la répression et l’installation de protestants écossais dans le nord de l’île que l’Angleterre parvient ensuite à prendre le contrôle de la région, sous l’impulsion d’Oliver Cromwell. Mais en 1803, la rébellion prend une nouvelle tournure. L’attaque du château de Dublin par les indépendantistes mobilise la population autour de cette cause.

Ainsi et à l’heure du « printemps des peuples » en Europe, un vent de liberté souffle également sur l’Irlande. Prenant sa source dans la Révolution française, la pensée et le vocabulaire indépendantistes qui accompagnent les insurrections s’appuient sur les concepts d’ « État-nation », d’ « autodétermination » et de « république ». Un élément qui montre à quel point la fin du XVIIIe siècle français demeure la nouvelle source d’inspiration d’une Europe alors en ébullition et d’une Irlande en pleine recomposition. En 1848 le mouvement « jeune Irlande » est créé, prémices de ce qui devient, une décennie plus tard, l’Irish Republican Brotherhood. La révolte prenant une certaine ampleur, la Home Rule League, créée en 1873 pour lutter en faveur de l’autonomie, arrache une relative indépendance à l’Angleterre en 1912. Le Parliement Act se portant garant d’une certaine liberté politique irlandaise est ratifié en septembre 1914 par le roi George V, mais son application est remise à l’issue de la Première Guerre mondiale. Une mise en place d’autant plus complexe à entreprendre, car l’Irlande du Nord, la province de l’Ulster, demeure profondément protestante. Sous l’impulsion de son leader Edward Carson, elle se veut fermement attachée à l’union avec la couronne britannique et n’entend en aucun cas lutter pour la souveraineté et l’indépendance de l’île. L’Angleterre apparaît donc, en ce début de XXe siècle, comme une puissance coloniale, réglant les problèmes internes de manière radicale, par des méthodes de lutte rationalisée qu’elle avait par ailleurs expérimentées contre la rébellion écossaise au XVIIIe siècle.

 

La lutte pour l’indépendance

 

Et c’est dans cette situation qu’en 1916, les catholiques irlandais relancent la lutte pour l’indépendance. Patrick Pearse, cité par Jean Mabire, explique les raisons de cette rébellion : « Si les Irlandais ne sont pas libres, c’est qu’ils n’ont pas mérité de l’être… Il n’est pas raisonnable de compter sur le Tout-Puissant pour annuler les lois temporelles qui nous brident. Seuls des hommes armés briseront les chaînes que des hommes armés ont forgées pour nous. »[1]

En 1909, alors qu’il n’a que 19 ans, le jeune Michael intègre l’IRB. Le Home Rule de 1912 n’étant pas respecté, les rebelles irlandais profitent du fait que le colonisateur anglais soit empêtré dans la boue et le sang des tranchées du nord de la France pour prendre les armes. Comme le montre la formule « England difficulty is Ireland opportunity », les rebelles profitent donc des circonstances de la Première Guerre mondiale pour se soulever. L’Irish citizen army et l’Irish volunters force, sous la houlette du catholique Patrick Pearce, du marxiste James Connely, mais également de Thomas Clarke, de Sean Mac Diarmada, de Thomas Mac Donagh, d’Eamonn Ceannt, de Joseph Plunkett et d’Eamon De Valera, constituent les ferments d’une armée de la résistance. Malheureux de ne pas avoir reçu les armes que l’Allemagne, par une stratégie d’alliance de revers avec les nationalistes, entendait leur livrer, les indépendantistes passent tout de même à l’action le 24 avril 1916, le lundi de Pâques. Alors conseiller financier du nationaliste comte Plunkett, père d’un des leaders de la rébellion, Michael Collins prend part à la révolte. C’est une victoire. Le drapeau irlandais est hissé sur la poste de Dublin, lieu symbolique, car centralisant une partie des communications anglaises dans le pays.

Comme pour concrétiser la défaite de l’Angleterre, Patrick Pearce proclame l’indépendance par ces mots : « Au nom de Dieu et des générations mortes dont elle reçoit la vieille tradition nationale, l’Irlande, par notre voix, appelle ses enfants à son drapeau. Soutenus par nos frères exilés en Amérique, nous déclarons que le droit du peuple irlandais à la propriété de l’Irlande et à la libre détermination de sa destinée est libre et imprescriptible. »

Mais les 16 000 soldats de l’armée anglaise eurent raison des rebelles. Après six jours de combats, les nationalistes sont contraints de se rendre. Condamnés pour rébellion à l’autorité et rapprochement avec le Kayser, Patrick Pearce et James Connely sont exécutés. Eamon De Valera, du fait de sa nationalité américaine, échappe à la mort. Collins est envoyé en prison. Cet épisode reste, dans le cœur des Irlandais, comme la « Pâque sanglante ».

Interné au camp de Frongosh au Pays-de-Galles, celui que l’on surnomme désormais « big fellow », ce qui veut dire « grand gars », et qui n’est autre que Michael Collins, devient un des leaders du Sinn Féin. En prenant la tête de ceux qui ne veulent pas plier le genou devant l’occupant, il se distingue comme le nouveau chef de la résistance qu’il organise en prison. Amnistié deux ans plus tard, il rejoint l’armée de l’ombre avec un seul et unique objectif : organiser le mouvement.

Afin de mener au mieux la rébellion, il prend note des erreurs commises lors de la Pâque 1916, desquelles il entend tirer leçon. Pour lui, les deux fautes principales furent de ne pas avoir pris le château de Dublin, centre des communications britanniques et d’avoir attaqué de front une armée supérieure en nombre et en logistique.

En octobre 1917, Collins devient membre de l’exécutif du Sinn Féin et prend la direction de l’Organisation des Irish Volunteers. L’année suivante, il est l’un des soixante-treize députés souverainistes (sur 107 élus irlandais au total) élu au Parlement de Westminster. Refusant d’y siéger par principe, l’honneur n’ayant pas de limite, il constitue à Dublin, le 21 janvier 1919, un parlement irlandais qui proclame l’indépendance de l’île. Balayé par le Sinn Féin, le parti nationaliste irlandais, alors autonomiste, apparaît comme trop modéré pour un peuple désireux de recouvrer sa pleine souveraineté. La guerre d’indépendance est désormais à l’ordre du jour.

 

Une stratégie de guérilla

 

À l’été 1919, Collins est élu président de l’IRB et en septembre, il devient le directeur des services de renseignement de l’Irish Republican Army (IRA). Nommé également ministre des Finances par De Valera, qu’il a par ailleurs fait libérer de prison, ce poste lui donne l’opportunité de mettre en place une collecte massive de fonds afin de financer les forces vives de la République d’Irlande.

Comme l’entend le philosophe Henri Bergson, la pensée équilibre le mouvement. À ce titre, Michael Collins devient l’icône du nationalisme irlandais tant par le rôle politique qu’il a pu jouer que par sa capacité à organiser, de manière rationnelle et pragmatique, la résistance. Sa stratégie repose sur la guerre urbaine, les attaques éclairs et les colonnes mobiles. En s’imposant comme nouveau stratège de la guérilla, et comme l’indique l’historien et spécialiste de la question Pierre Jouannon, « Michael Collins est l’inventeur de la guerre révolutionnaire. » Sa vision du combat est en effet celle du conflit asymétrique, fondé sur l’attaque continuelle des centres vitaux du pouvoir en place. Pour parvenir à des résultats probants, il crée des groupes de combattants spécialisés, comme celui des « Douze apôtres », chargé d’effectuer des missions secrètes et sensibles au profit de l’IRA. Avec ses colonnes volantes qui sillonnent les provinces, et leurs corolaires en ville, les Active Service United, Michael Collins atteint rapidement ses objectifs, ce qui mobilise chaque jour davantage de nouveaux volontaires. Nombreux sont ceux qui, refusant la conscription imposée par l’occupant en avril 1918, rejoignent les rangs de l’indépendance. En 1921, L’IRA comptera désormais près de 115 000 hommes quand l’Angleterre n’en dispose que de 85 000.

En ce sens, la vraie victoire de Collins est sans nul doute d’avoir su fédérer les nationalistes d’une part, en les plaçant sous un commandement unique d’autre part. Les morts devenant des martyrs et les combattants, des héros, la rébellion devient populaire. Fini le temps où, en avril 1916, le peuple de Dublin applaudissait l’armée anglaise quand un patriote se faisait exécuter. En plaçant les Irlandais face à leur destin, Collins a su entretenir et unifier la flamme vacillante d’une résistance que nombre de gaéliques ont rejoint. Par un effort de centralisation des décisions, et cherchant à tout savoir et tout comprendre, il s’est imposé comme l’un des chefs incontestés d’un mouvement désormais organisé et discipliné.

Le deuxième pan de la stratégie érigée par Michael Collins est la guerre du renseignement. Il veut lire l’ensemble de la presse afin de maîtriser l’information, véritable nerf de la guerre et multiplicateur des forces. Pour se faire, il organise la collecte et le traitement de ces mêmes informations, ce qui lui permet d’anticiper les mouvements ennemis, de mieux appréhender l’adversaire et d’établir des cibles précises. Étant familier du milieu de la communication, car il a travaillé de 1906 à 1916 à la Poste de Londres, Collins sait tirer profit de son expérience passée.

Afin de diminuer le nombre des forces adverses, l’IRA vise, en priorité, les traitres et les informateurs. En asséchant ainsi les Britanniques de sources locales, donc d’informations, Michael Collins entend également raviver la flamme du patriotisme en chaque Irlandais. Le choix est simple : être avec ou contre lui. C’est ainsi que les indépendantistes noyautent et détruisent, peu à peu, l’organisation anglaise et en particulier les services secrets (G-division) et la police (Royal Irish Constabulary). En définitive et comme l’écrit Pierre Joannon, citant Michael Collins, « nous nous battons pour gagner (…) pas pour ajouter une dizaine de vers pleurnichards dans les manuels de littérature et quelques noms de plus dans la liste interminable des martyrs de la vieille Irlande.[2] »

Rapidement, les ambitions internes vont faire imploser l’insurrection. En 1921, une paix est envisagée par les parties au conflit. De Valera, tête politique de l’insurrection, nomme une équipe de délégués plénipotentiaires, dirigée par le fondateur du Sinn Féin, Arthur Griffith, pour signer un traité avec l’Angleterre. Michael Collins y prend part. Il est décidé que le sud de l’île devienne indépendant sous la forme de « l’État libre d’Irlande ». Le Nord sera un dominion au sein du Commonwealth. Mais le roi restant le chef d’État en titre, il n’est pas représenté par un ambassadeur, mais par un « gouverneur général » chargé entre autres de désigner le Premier ministre au nom du monarque après les élections. De même, la marine britannique conserve la défense côtière de l’Irlande pendant cinq ans. Enfin, une citoyenneté commune est maintenue entre la Grande-Bretagne et l’État Libre et les membres du gouvernement et du parlement prêteront allégeance à la couronne britannique, serment qui indique : « Je jure solennellement une véritable fidélité et allégeance à la Constitution de l’État libre d’Irlande telle qu’établie par la loi, et que je serai fidèle à Sa Majesté le roi George V, à ses héritiers et successeurs selon la loi, en vertu de la citoyenneté commune de l’Irlande et de la Grande-Bretagne et de son adhésion au groupe des nations composant le Commonwealth britannique des nations. » La paix est donc signée, l’Irlande est libre, Collins a vaincu.

 

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Indépendance mais division

 

Mais cette nouvelle Irlande reste divisée entre un Sud catholique et libre et un Nord intégré au Royaume-Uni et protestant. La guerre civile, ajoutée aux conflits d’intérêts opposant les nationalistes du nouvel « État libre », fait naitre des dissensions. D’un côté, De Valera s’oppose au traité qu’il juge néfaste à une véritable indépendance irlandaise. Face à lui, Collins et Griffith se portent garants de son effectivité et prennent la tête du gouvernement provisoire de l’État libre. À la moitié de l’année 1922, Michael Collins abandonne ses responsabilités et devient le commandant en chef de l’armée nationale.

Mais la victoire fut de courte durée. La même année, en visite dans son comté natal, Michael tombe dans une embuscade à Béal na mBláth. Nous sommes le 22 août 1922. Piégé sans nul doute par les hommes de De Valera, il est touché et meurt sur le coup. Il avait seulement 31 ans. Après s’être battu pour l’indépendance de l’Irlande, il est mort d’une balle irlandaise, ce qui confirme, s’il fallait encore l’illustrer, la réalité d’une guerre fratricide.

Selon Michel Déon, « dans le panier de crabes des révolutions, il faut un tempérament de fer, un mépris total de la mort. Michael Collins possédait quelque chose de plus : la force intérieure que rien ne peut entamer.[3] » C’est sans doute cela qui a permis à cet homme de devenir la figure de proue de l’insurrection irlandaise. Comme pour chanter l’action de ce résistant tombé pour la liberté des siens, les premiers mots du refrain de l’hymne de la République d’Irlande, l’Amhrán na bhFiann ou Soldiers Song, rappellent le souvenir des patriotes : « Soldiers are we whose lives are pledged to Ireland », ce qui signifie : « Soldats sommes-nous, dont la vie est promise à l’Irlande. » En imposant ses règles aux Anglais et à la tête d’une armée invisible, Michael Collins a su mettre à genoux le plus puissant empire de l’époque. Mais la raison du plus fort étant toujours la meilleure, le droit à l’autodétermination des peuples, imposé par le président Wilson à l’issue de la Première Guerre mondiale, ne s’appliqua pas aux Irlandais. La lutte ne faisait, en effet, que commencer.

Comme lui écrivait Eamon De Valera : « la République irlandaise n’est plus un rêve, elle est scellée chaque jour par le sang de ceux qui l’ont proclamé. » Collins en est l’un d’eux. Son caveau, aujourd’hui au cimetière de Glasnevin à Dublin, entretient la mémoire de ce résistant gaélique. Des pierres pour se souvenir et ne jamais oublier qu’un jour, un jeune homme d’une trentaine d’années, sillonnant l’Irlande à vélo et combattant sans soucis des blessures, a donné sa vie à l’insurrection pour que l’Irlande puisse goûter, un jour, à la liberté. Une vie donnée ? Non, une vie offerte.

 

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[1] Patrick Pearse, Une vie pour l’Irlande, éditions Terre et Peuple, 1998.

[2] Pierre Jouannon, Michael Collins : une biographie, La Table ronde, 1997, 297 p.

[3] Ibid, préface.

 

 

À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste
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