<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Les murs ne servent à rien » mais tout le monde en construit !

1 septembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Le 17 juillet 2019, des migrants qui sont parvenus à échapper à la gade mexicaine, marchent le long du mur qui fait la frontière avec les Etats-Unis © Christian Chavez/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22393703_000001
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« Les murs ne servent à rien » mais tout le monde en construit !

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Le discours officiel et médiatique en Europe est presque unanime à souligner l’inutilité des murs et autres barrières érigés pour renforcer les frontières et nous avons, en France, de nombreux exemples d’avis définitifs, appuyés en outre par un « modèle » historique en la matière : la ligne Maginot !

Le discours officiel du mur inutile

Une des formulations les plus simples revient à Philippe Leclerc, représentant en France du HCR, dans une interview au Monde du 28 septembre 2015 : « Les murs et les barbelés ne servent à rien. » Nous étions alors au plus fort de la « crise des migrants » en Europe. Plus récemment, lors d’une réunion publique à Évry le 4 février, le président Macron répétait : « Je ne crois pas du tout aux gens qui font des murs. Ça ne marche pas. » Une autorité encore supérieure, moralement parlant, va dans le même sens : « La question des migrants ne se résoudra pas avec des barrières » a déclaré le pape François le 29 mars lors d’un voyage au Maroc où a été signé cet été le « pacte de Marrakech ». On ne peut d’ailleurs que souscrire à l’analyse qui sous-tend la sentence pontificale : les causes des migrations internationales sont multiples, profondes et nécessitent des politiques de long terme menées tant au Sud qu’au Nord, donc les murs ne peuvent aucunement traiter le problème.

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Le paradoxe : la construction de nombreux murs

Pour autant, sont-ils inutiles ? Cela ne semble pas l’avis général, puisque les murs ont fleuri depuis le début du millénaire, voire avant : l’Espagne protège ainsi ses enclaves de Ceuta et Melilla situées en Afrique, la Grèce, la Bulgarie et surtout la Hongrie, suivies de quelques autres, ont érigé des barbelés aux points de franchissement les plus ouverts, les États-Unis, bien avant Donald Trump, ont renforcé un tiers de leur frontière avec le Mexique… Et en France, le « mur de Calais », sur quelque 70 km, complique depuis 2016 la tâche des migrants tentant d’accéder aux camions en partance pour la Grande-Bretagne. L’ampleur du phénomène est controversée : la chercheuse canadienne Élisabeth Vallet recense 70 murs courant sur près de 40 000 km, soit environ un sixième des 250 000 km de frontières terrestres, quand Michel Foucher se limite à 10 dispositifs pour seulement 6 % des frontières.

Quelle efficacité pour le mur ? 

Il est bien sûr possible que tout le monde s’illusionne sur l’efficacité de tels barrages, mais leur bilan est plutôt convaincant : les 700 km de murs construits par Israël après 2003 ont mis fin aux attentats-suicides (73 entre 2000 et 2003), le Hamas en étant aujourd’hui réduit à des tirs de roquettes bien plus aléatoires et repérables. Et en Europe, aurait-on oublié le mur de Berlin ? Entre 1949 et 1961, de 2,5 à 3,5 millions d’Allemands de l’Est étaient passés à l’Ouest, tandis qu’après août 1961, le nombre de passages réussis se compte à peine en dizaines, dont beaucoup entre août et la fin de l’année, quand la construction n’était pas achevée. Certes, l’exemple est cruel pour la mémoire des Européens, mais parce que ce mur était destiné à empêcher de sortir, et non d’entrer, et symbolisait pour cette raison, comme le dira John F. Kennedy en 1963, « l’échec du communisme ».

Un rapport de la Banque mondiale de juin 2018 (1), recommandant pourtant de faciliter les migrations internationales pour aider à lutter contre la pauvreté, identifie comme freins majeurs le problème de langue et l’écart culturel, les distances et… l’effet dissuasif des frontières nationales. La présence d’un « mur » augmente évidemment cet effet dissuasif, même s’il est impossible à quantifier puisqu’on ne peut dénombrer ceux qui ne sont pas venus ou qui sont repartis, contrairement à ceux qui entrent quand même.

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Du reste, le terme de « mur » est bien souvent exagéré et l’on peut préférer parler de « clôtures ». Mais ce glissement sémantique mobilise les humanistes… ou, à l’inverse, satisfait les populations inquiètes de « l’insécurité culturelle » identifiée par Christophe Guilluy. N’est-ce pas là qu’il faut chercher la première cause du succès des « populistes » ?

 


  1. Moving for Prosperity : Global Migration and Labor Markets ; voir http://www.worldbank.org/en/research/publication/moving-for-prosperity
À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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