Nationaliste avant d’être global, le Hamas s’attire la défiance de Daech et d’al-Qaïda

23 juillet 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Nationaliste avant d’être global, le Hamas s’attire la défiance de Daech et d’al-Qaïda

par

Nationaliste avant d’être global, le Hamas s’attire la défiance de Daech et d’al-Qaïda, qui lui reprochent son ancrage territorial et sa participation au jeu politique.

Groupe issu des Frères musulmans, le Hamas présente la particularité d’être un mouvement terroriste dont la doctrine se veut hybride, reposant à la fois sur la volonté de diffuser l’islam politique mais aussi sur le combat pour la « cause palestinienne ». La charte du Hamas reprend cette double orientation en alternant les références à l’islam et à la Palestine, qu’elle évoque parfois de manière conjointe.

A lire également : Retour sur l’empreinte spatio-temporelle du Hamas

Ainsi de l’article 6 qui stipule que le Hamas « fait de l’islam sa règle de vie et œuvre à planter l’étendard de Dieu sur toute parcelle de la Palestine » ou de l’article 11 qui énonce que « La terre de Palestine est une terre islamique pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection ». Cette dualité d’objectifs lui vaut l’hostilité affichée des acteurs majeurs du terrorisme islamiste international qui placent le jihad au-dessus de toute autre considération, y compris la question palestinienne.

De profondes divergences idéologiques

Dans des propos confiés au quotidien libanais L’Orient-Le Jour, Oliver Roy, spécialiste de l’islam politique, expliquait que le Hamas ne fait pas partie du jihad global[1]. Ce dernier n’a par ailleurs jamais perpétré d’attentats en dehors du théâtre israélo-palestinien au contraire d’organisations comme Daech qui privilégient un jihadisme global, pouvant frapper aussi bien au Moyen-Orient qu’en Occident. L’auteur souligne également que le mouvement palestinien trouve une résonance parmi les étudiants occidentaux et la classe moyenne alors que Daech effectue la majorité de son recrutement parmi les classes populaires.

Les différences qu’entretiennent le Hamas et les organisations comme Daech ou al-Qaïda sont profondes et tiennent à leurs idéologies respectives. Au lendemain des attentats du 7 octobre, seul al-Qaïda réagissait en félicitant le Hamas, Daech préférant garder le silence. Si cette retenue peut paraître surprenante, elle est le résultat d’une inimitié constante entre ces organisations terroristes. Un antagonisme qui trouve sa source dans la place qu’occupe l’islam au sein de ces différents groupes et qui ne se limite pas à Daech.

A lire également : FLN / Hamas : la stratégie de la terreur

Le concept même de jihad revêt des interprétations distinctes aux yeux des diverses organisations qui le revendiquent. Pour les membres du Hamas, ce « combat sacré » ne peut être dissocié de la question palestinienne. Alors que le jihad est mentionné dans plusieurs versets coraniques, le cheick Ahmed Yassine, fondateur du groupe terroriste, reprenait un passage où la question palestinienne trouvait un écho particulier. Selon le verset en question, « ceux qui ont été attaqués » et « ceux qui ont été expulsés de leur demeure » sont légitimes à se défendre[2]. Le choix de ce verset par le cheick Yassine n’a rien d’anodin eu égard à la connotation territoriale de celui-ci. Les jihadistes de Daech et d’al-Qaïda, quant à eux, considèrent la lutte contre les « infidèles » et les « apostats » comme vitale et entretiennent une conception de l’islam politique plus radicale que celle du mouvement palestinien. L’établissement d’un califat reprenant les usages de l’islam originel fait figure d’unique objectif pour leurs militants.

Le Hamas, indésirable au sein du jihad global

Comme le rapporte le magazine Foreign Affairs, Oussama Ben Laden avait d’emblée condamné le Hamas lors de sa victoire électorale de 2006, lui reprochant de s’inscrire dans la continuité du système politique en place et fustigeant la nature polythéiste de la démocratie en rappelant « l’interdiction de participer à toute assemblée polythéiste ». La séparation des branches politique et militaire du groupe palestinien n’a par ailleurs jamais été acceptée par al-Qaïda, le groupe estimant que « quiconque est tué sur le chemin de la démocratie et au soutien d’un groupe qui n’applique pas la charia et choisit la démocratie n’est pas un martyr ; c’est plutôt un cadavre » [3].

Daech, dont l’établissement d’un état islamique est l’objectif absolu, ne tolère pas la prévalence de l’enjeu nationaliste chez les dirigeants du Hamas[4]. Lors de la guerre civile syrienne, leur but fut temporairement atteint et un califat physique fut établi dans la ville de Raqqa le 29 juin 2014 avant d’être démantelé par les kurdes des Forces démocratiques syriennes avec l’appui de la coalition internationale en octobre 2017. Par ailleurs, Daech et le Hamas ont pu rentrer en confrontation directe lorsque les militants de l’organisation palestinienne ont réprimé les jihadistes dans la bande de Gaza ou quand le camp palestinien de Yarmouk situé en Syrie a été pris d’assaut par l’État islamique.

En avril 2015, Daech a attaqué une milice locale affiliée au Hamas avant de prendre le contrôle d’une partie du camp[5]. L’État islamique ira même jusqu’à menacer de s’en prendre à l’enclave palestinienne en ces termes : « La loi de la charia sera mise en œuvre dans la bande de Gaza, malgré vous. Nous jurons que ce qui se passe aujourd’hui au Levant, et en particulier dans le camp de Yarmouk se passera dans la bande de Gaza »[6].

L’hostilité entre le Hamas et Daech est manifeste quand on se penche sur les prises de position du groupe jihadiste sur la question palestinienne. Ce dernier estime en effet que le fait que le Hamas en fasse une priorité relève de l’« idolâtrie », interdite en islam[7]. Daech considère ainsi qu’aucune terre ni cause ne doit être placée au-dessus du jihad, une contradiction fondamentale avec le Hamas dont la charte fondatrice gravite autour de la question palestinienne.

A lire également : « Le Hamas n’admet pas la présence d’Israël ». Entretien avec Ayman Chanaa

[1] https://www.lorientlejour.com/article/1357750/olivier-roy-le-hamas-na-jamais-fait-partie-du-jihad-global.html

[2] Sourate 22, Al-Hajj (Le Pélerinage), versets 39 – 40.

[3] https://www.foreignaffairs.com/middle-east/gaza-and-global-jihad

[4] https://www.ifri.org/fr/presse-contenus-repris-sur-le-site/entre-daech-et-le-hamas-les-differences-sont-majeures

[5] https://www.liberation.fr/planete/2015/07/02/l-etat-islamique-vise-l-egypte-et-gaza_1341820/?redirected=1

[6] https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/daech-menace-de-renverser-le-hamas-gaza

[7] https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/10/hamas-isis-war-in-gaza/675786/

Mots-clefs :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !
À propos de l’auteur
Edouard Chaplault-Maestracci

Edouard Chaplault-Maestracci

Voir aussi

Les terroristes et les incendies. Entretien avec Daniel Dory

Allumer des feux de forêt pour semer la terreur. Incendier des cinémas et des magasins. L’action terroriste a souvent recours au feu. Mais cela s’effectue toujours de façon diffuse et multiple. Analyse des incendies de forêt terroriste avec Daniel Dory Propos recueillis par Louis du...

Les vestiges retrouvés de la basilique du Saint-Sépulcre

La vieille ville de Jérusalem attend de renouer avec le flux touristique d’avant le 7 octobre 2023. Cette désertion est mise à profit par les archéologues qui s’activent dans son monument-phare qui accueille d’habitude plus d’un million de visiteurs par an : la basilique du...

La présence militaire américaine au Moyen-Orient

Bases américaines au Moyen-Orient : instruments de puissance et lignes de fracture stratégique Par-delà les discours officiels sur la stabilité régionale ou la lutte contre le terrorisme, la présence militaire américaine au Moyen-Orient s’inscrit dans une logique de projection de...