Nouvelle-Calédonie : après Bougival, un point sur la situation institutionnelle

22 décembre 2025

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Elysee Palace in Paris, France, Saturday, July 12, 2025. (Tom Nicholson/Pool Photo via AP)/MEU101/25193626314012/POOL PHOTO/2507121935

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Nouvelle-Calédonie : après Bougival, un point sur la situation institutionnelle

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Six mois plus tard, l’accord que l’on croyait avoir trouvé en juillet 2025, à Bougival, pour succéder à l’accord de Nouméa, et permettre ainsi à la Nouvelle-Calédonie de retrouver une stabilité institutionnelle au sein de la France (après trois non à l’indépendance), n’est plus. De rebondissement en rebondissement, depuis juillet, plus personne ne semble comprendre où nous en sommes et encore moins où nous allons. Eric Descheemaeker, un des meilleurs connaisseurs du dossier, fait le point.

Après l’annonce de l’abandon de l’idée d’une consultation anticipée sur le projet d’accord de Bougival, il paraît particulièrement utile de faire un « point de situation » sur le statut institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Le statu quo

Le premier point à noter est que toute l’architecture institutionnelle issue de l’accord de Nouméa et de sa transcription juridique dans le Titre XIII de la Constitution et la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie (LONC) du 19 mars 1999 reste pour l’instant en place. Nous savons qu’il faudra bien à un moment en changer, puisque les dispositions du Titre XIII sont décrites comme « transitoires », mais elles n’ont pas de date d’expiration particulière. Tant qu’elles n’ont pas été modifiées, par définition, elles restent en place : notamment le congrès, le gouvernement pluraliste, mais aussi tous les transferts de compétence effectués depuis 1998.

Deux remarques importantes s’imposent à cet égard :

D’une part, il n’y a plus de référendum d’autodétermination prévu, et il faudrait une modification de la Constitution pour en organiser un. En ce sens, la Calédonie est juridiquement à l’abri de l’indépendance. Tant qu’aucune réforme constitutionnelle n’a abouti, on en reste à cette situation temporaire. Le fait qu’elle s’éternise chaque jour un peu plus n’est certes pas dans l’esprit des textes, mais cela ne les empêche pas de continuer à s’appliquer.

D’autre part, ce temporaire qui s’éternise s’applique également à la détermination du corps électoral pour les élections provinciales. Le « gel » effectué par la réforme de 2007 continue de s’appliquer, là encore jusqu’à ce qu’une modification intervienne. Comme le savent ceux qui suivent l’actualité, la constitutionnalité de la mesure a été récemment confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 septembre 2025 (Décision n° 2025-1163/1167 QPC, Association Un cœur, une voix).

Ce que prévoyait Bougival

Comme là encore, chacun le sait, l’accord de Bougival est très fortement contesté, à la fois sur sa valeur juridique et son opportunité politique. Ce texte prévoyait une réforme constitutionnelle, d’abord fixée à décembre 2025, permettant d’organiser une consultation référendaire des « populations intéressées » de Nouvelle-Calédonie. En cas d’agrément, la LONC aurait pu être remplacée par une nouvelle loi organique (dite « spéciale ») du parlement national, elle-même complétée par une « loi fondamentale » du congrès de Nouvelle-Calédonie. En cas de refus, la texte prévoyait que le nouveau titre XIII de la Constitution prévu par la réforme (et intitulé « De l’Etat de la Nouvelle-Calédonie ») ne serait pas entré en vigueur : on en serait donc resté, là encore, au statu quo actuel.

Il est toutefois devenu apparent qu’il n’y avait pas de majorité pour voter cette réforme constitutionnelle, qui aurait dû réunir 3/5èmes des députés et sénateurs. Pour des raisons diverses sur lesquelles il n’est pas besoin d’élaborer ici, tant le RN que LFI, puis le PS et peut-être même LR, s’y opposaient. C’est de là qu’est née l’idée – pourtant en conflit avec le texte même de Bougival – d’organiser une consultation des mêmes « populations intéressées » de Nouvelle-Calédonie avant toute réforme constitutionnelle, l’espoir étant qu’un vote favorable sur l’archipel contraindrait, moralement du moins, le parlement français à s’aligner. Mais cette consultation, selon l’avis des juristes consultés, manquait de base constitutionnelle ; et il n’était de toute façon pas possible de ne convoquer aux urnes, par une loi simple, qu’une partie des électeurs. Étant devenu clair que ce projet de loi ordinaire manquait, lui aussi, d’une majorité pour être voté au Palais Bourbon, il a été retiré[1].

Il n’y aura donc pas de consultation anticipée. On ne voit pas non plus comment il pourrait jamais y avoir de réforme constitutionnelle, ni maintenant ni plus tard. On l’a dit, il n’y a pas de majorité pour la voter dans l’actuel parlement, qui n’a aucune raison de changer d’avis. Bien sûr, il y aura de nouvelles élections législatives – soit en 2029, soit de manière anticipée en 2027, voire, en cas de nouvelle dissolution avant les présidentielles, 2026 – mais tout porte à croire que ce sont les partis anti-Bougival (le RN et LFI notamment) qui en sortiront renforcés. Politiquement, il est de toute manière très difficile de « réchauffer » un projet de loi constitutionnelle. On peut donc parier que le texte déposé par l’actuel gouvernement ne sera jamais discuté, et encore moins adopté.

Donc pas de consultation anticipée, pas de réforme constitutionnelle, et bien sûr pas non plus de consultation référendaire telle que prévue par le projet d’accord de Bougival. Quant au texte de Bougival lui-même, il demeurera a priori lettre morte : ni approuvé ni rejeté formellement, il restera comme un document publié sous le nom d’« accord », mais sans signataires, au Journal officiel du 6 septembre 2025. En théorie, il pourrait toujours être repris un jour (en 2027, 2028, 2030, 2035…), mais, politiquement, la chose semble parfaitement inimaginable. Un texte aussi contesté, à la fois dans son contenu et son statut, et qui n’a pu recevoir l’approbation ni d’une majorité des Calédoniens, ni d’une majorité des élus du congrès de Nouvelle-Calédonie, ni du parlement français, ni d’une majorité du peuple français, ni de quiconque, au moment de sa conclusion, ne pourra jamais être réchauffé une fois le temps passé. Bougival est donc mort.

Et maintenant ?

Où cela nous laisse-t-il ? La question se pose de manière obsédante sur l’archipel calédonien, et (de manière hélas moins obsédante vu le désintérêt pour les questions ultramarines) en métropole aussi.

On l’a dit : pour l’instant le statu quo continue, sans perspective de changement (ni en mal, comme un nouveau référendum, ni en bien, comme une réouverture du corps électoral). Autrement dit, pour un avenir indéterminé, mais qui devrait a priori durer au moins plusieurs années, on en reste très exactement à la situation qui prévaut depuis le 12 décembre 2021.

La rumeur parisienne bruisse cependant du fait que les discussions convoquées pour janvier par le Président de la République, officiellement pour « apporter des clarifications à l’accord du 12 juillet » et continuer à rechercher un très évanescent consensus politique, pourraient se focaliser sur un – léger – dégel du corps électoral. L’idée serait qu’une modification de la Constitution permette d’ouvrir le vote pour les provinciales aux natifs sans parents citoyens. La mesure étant a priori consensuelle, on peut penser qu’elle serait soutenue par les différents partis politiques ; mais deux questions au moins se posent. D’une part, qu’est-ce que le FLNKS demandera en échange d’une mesure voulue avant tout par les non-indépendantistes ? On peut évidemment penser que ce ne sera pas gratuit… D’autre part, à supposer la meilleure volonté du monde de tous les partenaires politiques – a big if naturellement –, serait-il réaliste d’imaginer que la réforme constitutionnelle soit votée avant les provinciales, dont le Conseil constitutionnel a confirmé qu’elles ne pourraient pas être repoussées au-delà de la mi-2026 ? Cela semble improbable. Bien sûr un vote plus tardif permettrait que les élections suivantes (2031 ?) soient impactées, mais cela constituerait une amélioration quasi-négligeable – si négligeable qu’on peut se demander s’il est de l’intérêt des non-indépendantistes de se battre pour elle.

En tous les cas, il convient de comprendre que cette réouverture partielle, si elle avait lieu, serait indépendante du processus de Bougival. On en resterait, comme expliqué, au statu quo de Nouméa (le temporaire qui s’éternise), simplement avec un corps électoral légèrement différent.

Deux options

Reste bien sûr la question de l’après. Nous entrons là dans une problématique beaucoup plus vaste et complexe qu’on ne peut défricher ici qu’à très gros traits.

Les indépendantistes durs (FLNKS) veulent un « accord de Kanaky » avant 2027. Celui-ci n’a pas la moindre chance d’aboutir, sauf à provoquer la guerre civile. Les non-indépendantistes de conviction espèrent, eux, pour la plupart, ressusciter l’accord de Bougival. On l’a dit, la perspective semble tout aussi irréaliste : qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse (voire les deux à la fois ?), Bougival est mort. Quant au ventre mou, il ne semble pas savoir ce qu’il veut, à part que tout le monde soit satisfait.

Alors quoi ? Il n’y a que deux options possibles. L’une est d’essayer de trouver un accord consensuel différent entre les principales forces politiques de l’île. Mais il paraît désormais acquis que cela est impossible. En effet, même si consensuel ne veut pas nécessairement dire unanime, aucun accord ne pourrait avoir de légitimité politique s’il n’inclut pas a minima les héritiers des signataires historiques des accords de Matignon et Nouméa, donc d’un côté les Loyalistes et le Rassemblement (héritiers du RPCR) et de l’autre l’UC-FLNKS et l’UNI-Palika (héritiers du FLNKS « 1.0 »). Or, il suffit de regarder le cœur de leurs revendications respectives pour se rendre compte qu’il n’y a aucun chevauchement entre elles. Les uns veulent l’indépendance, les autres n’en veulent pas. Il y avait bien deux (apparentes) solutions possibles : la première, de repousser le problème d’une génération, comme en 1998 ; la seconde, d’opérer une réconciliation rhétorique des contraires – la France et l’indépendance – par une forme d’indépendance-association. Mais l’une et l’autre option ayant heureusement été retirées de la table, il n’y a plus d’accord possible. Là encore, la question n’est pas de savoir si on s’en réjouit ou si on le regrette, mais simplement d’en faire le constat.

Dans ces conditions, il ne reste mécaniquement qu’une seule solution : un statut décidé directement par Paris, qui jusqu’à preuve du contraire (c’est-à-dire l’indépendance) est le seul souverain en Nouvelle-Calédonie. Celui-ci serait au minimum, dans l’idéal, soumis à la consultation des populations calédoniennes – mais lesquelles ? – et approuvé par celles-ci, encore que cela ne soit pas constitutionnellement obligatoire. Reste évidemment la question de son contenu, mais cela dépasse très largement le cadre de ce point de situation. L’unique objectif était ici de rappeler les fondamentaux d’un imbroglio constitutionnel calédonien qui, pour les raisons expliquées, ne devraient plus bouger significativement pour un certain nombre d’années. Il y a une nécessité désormais impérieuse de mettre ce temps à profit pour réfléchir en profondeur à une sortie véritable de l’accord de Nouméa.

[1] L’avis du Conseil d’Etat sur ce projet de loi n’a pas été rendu public. On peut supposer qu’il est extrêmement sévère. Nous avions, avec d’autres, considéré qu’une censure par le Conseil constitutionnel était inévitable.

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À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker

Eric Descheemaeker

Eric Descheemaeker est professeur de droit. Français de naissance et d’éducation, il a enseigné aux universités d’Oxford, Edimbourg et Melbourne. Il a également encadré pendant de nombreuses années des mémoires de recherche d’officiers saint-cyriens. Le droit de l’outre-mer français, notamment en Nouvelle-Calédonie, et la géopolitique du Pacifique Sud font partie de ses principaux centres d’intérêt.

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