<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Occident : le retour de bâton des sanctions économiques

20 mai 2024

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Occident : le retour de bâton des sanctions économiques

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Les sanctions économiques appliquées à la Russie pénalisent l’économie européenne. Les tentatives de blocus mises en place au cours de l’histoire n’ont jamais fonctionné.

En réponse immédiate à l’invasion de la Russie en Ukraine, les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont, dès février 2022, adopté plusieurs paquets de sanctions couvrant tout l’éventail des sanctions économiques internationales : des mesures ciblées (gel des avoirs, interdictions de circulation, etc.) sur certaines personnes physiques ou morales clairement identifiées – que celles-ci relèvent ou non des juridictions des États « condamnateurs » – associées à des mesures collectives portant sur les flux commerciaux et financiers (interdiction des exportations et des importations de certains biens, restrictions bancaires, etc.) aussi bien que sur les réseaux de communication (suspension de chaînes de télévision ou de radio).

Article paru dans Revue Conflits n°51

Après plus de deux ans, un premier bilan, nécessairement provisoire, peut être dressé quant à l’efficacité des sanctions prises à la lumière des objectifs affichés. Ces objectifs, quels étaient-ils – ou quels sont-ils encore ? Affaiblir économiquement la Russie tout en la dissuadant géopolitiquement de poursuivre son entreprise expansionniste. De ce point de vue-là, et au risque de commettre un oxymore, les sanctions économiques apparaissent comme des moyens pacifiques, alternatifs mais prioritaires, de faire la guerre : une guerre sans morts au nom d’un impératif moral. Tel est d’ailleurs, en filigrane, le sens des sanctions économiques quand on lit ensemble les articles 41 et 42 de la Charte des Nations unies[1], le recours à la force armée n’étant envisagé qu’à titre subsidiaire.

L’économie russe a-t-elle été significativement affaiblie par les sanctions occidentales ? Si l’on compare les prévisions de croissance du Fonds monétaire international (FMI) publiées au moment du déclenchement des hostilités, avant donc le déploiement plein et entier des sanctions, avec les résultats réellement enregistrés, la contraction de l’économie russe a été plus prononcée que prévu. Si l’effet cumulé des sanctions sur 2022 et 2023 fut significatif (5 points de PIB environ), il aura cependant été deux fois moins fort qu’attendu. Surtout, les économies états-unienne et européennes semblent avoir elles aussi pâties des sanctions infligées à la Russie, suivant une amplitude largement sous-évaluée par les États à l’origine des sanctions (défavorable aux économies des pays occidentaux, l’écart entre la prévision et la réalisation fut en moyenne de 1 à 5 !).

Le scepticisme quant à l’opportunité et l’efficacité des sanctions économiques croît à plus forte mesure quand on prend en considération leur incidence sur la recomposition de l’ordre international, les alliances et les rapports de force mondiaux. Quand les pays qui sanctionnent (c’est-à-dire les États-Unis et leurs alliés) deviennent moins nombreux que les pays qui sont sanctionnés (c’est-à-dire la Chine, la Russie, l’Iran et finalement plus de 60 % des États membres de l’ONU), les seconds trouvent d’autant plus facilement intérêt à se coaliser pour contourner les sanctions et bâtir un espace économique alternatif au bloc occidental. Ainsi, dans le cas de la Russie et de ses flux commerciaux avec le reste du monde, les pays occidentaux (en l’occurrence, outre l’Union européenne et les pays anglo-saxons, le Japon, la Corée du Sud ou encore la Norvège) ont sans mal été remplacés par la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie ou la Suisse.

Motivées par la volonté de ressouder l’ordre mondial autour des démocraties libérales, les sanctions économiques internationales aboutissent, au moins en partie, à le fragiliser et à accélérer sa fragmentation

[1] La première phrase des articles 41 et 42 de la Charte de San Francisco dispose, respectivement : « Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les membres des Nations unies à appliquer ces mesures. » ; « Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. »

À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Docteur en droit fiscal. Chargé d'étude au Sénat, professeur à l'ICP. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.

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