Parade nuptiale entre le Maroc et le Royaume-Uni

30 mai 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Centre historique de la ville de Rabat au Maroc. Wiki Commons

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Parade nuptiale entre le Maroc et le Royaume-Uni

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Ces derniers mois, Londres et Rabat ont confirmé leur proximité diplomatique. Le résultat d’un rapprochement opéré entre les deux pays depuis quelques années. Bien que la relation avec le royaume chérifien ne soit pas nouvelle, elle semble avoir bénéficié d’un renforcement au prorata du refroidissement des relations franco-marocaines. 

En janvier dernier, lors de la 4e session du Dialogue Stratégique Maroc-Royaume-Uni à Rabat, la Grande-Bretagne a exprimé son soutien aux grandes réformes menées par le Maroc. Dans un communiqué du 9 mai dernier, Rabat confirme ses bonnes relations avec Londres. Le royaume chérifien est satisfait d’être considéré par les Britanniques comme « un partenaire régional et international crédible et écouté qui joue un rôle incontournable et qui constitue un relai déterminant pour la stabilité1 ».

Les premières relations officielles remontent au XIIIe siècle, lorsque Jean d’Angleterre envoie une ambassade au sultan al-Maha Muhammad al-Nassir. Excommunié et menacé d’invasion par la France, le roi Jean demande alors un soutien militaire au sultan, qui va jusqu’à proposer de se convertir à l’islam2. Quelques siècles plus tard, en 1600, c’est le Maroc qui vient demander une alliance contre l’Espagne. La reine Elisabeth refuse, mais a établi les premières relations commerciales entre les deux royaumes. Les relations prennent un nouveau tournant lors du mariage de Catherine de Bragance avec le roi Charles II en 1661, plaçant Tanger provisoirement sous souveraineté britannique.  Plus tard, le 23 janvier 1721, le premier traité commercial entre les deux pays est signé à Fès.

Londres l’Africaine

Depuis 2019, les liens entre le royaume de Mohammed VI et Charles III se renforcent via la signature d’un accord d’association3. Signé cinq jours avant la mise en œuvre effective du Brexit et entré en vigueur en janvier 2021, ce nouvel accord revêt une importance stratégique pour le Royaume-Uni. Comme l’explique dans Jeune Afrique Hamza Mjahed, chercheur en relations internationales au sein du Policy Center for the New South (PCNS), l’élargissement des partenariats commerciaux est devenu un impératif stratégique et le Maroc y occupe une place centrale4. Le royaume chérifien représente la porte d’entrée vers l’ouest du continent africain : il dispose des relations commerciales majeures avec tous les pays de la région. Une alliance avec le Maroc facilite donc une présence dans le corridor interrégional. Un appui important pour le Royaume-Uni qui compte aussi des membres du Commonwealth dans la région tels que le Ghana et le Nigéria. Londres ne s’y limite d’ailleurs pas et tente de se rapprocher de la Côte d’Ivoire et du Sénégal : des partenaires historiques de la France dans la région.

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Des intérêts convergents 

Le Maroc, quant à lui, voit dans les nouveaux échanges avec des pays hors de l’UE une opportunité. L’accord de 2019 se concentre sur l’optimisation de la dimension économique. Deux ans après, les résultats sont probants : le commerce bilatéral a augmenté de 50 % et atteint désormais 3,1 milliards d’euros5. De plus, les échanges commerciaux sont passés de 1,4 milliard d’euros en 2019 à 2 milliards en 2022, et les exportations marocaines ont presque triplé depuis l’entrée en vigueur de cet accord. La dimension économique de ce partenariat est renforcée par la conviction que les deux économies sont complémentaires. Le Maroc se voit par ailleurs comme « une base industrielle compétitive du Royaume-Uni pour l’investissement, la production et l’exportation vers les marchés potentiels, compte tenu de ses atouts socio-économiques et de son réseau d’accords de libre-échange« . Les autorités marocaines ont en outre l’ambition de faire entrer le Royaume-Uni dans le top 5 de leurs partenaires, un objectif déjà en bonne voie.

La coopération des deux pays dans le domaine des énergies renouvelables est un bon exemple de cette complémentarité. L’accord de 2019 prévoyait ainsi le développement de projets dans ce secteur, notamment le déploiement d’un projet d’interconnexion maritime. Le projet Xlinks, récemment mentionné dans la feuille de route « Powering Up Britain: Energy Security Plan » du gouvernement britannique, prévoit un investissement de 22 milliards de dollars pour la pose du plus long câble maritime au monde reliant le Maroc au Royaume-Uni6. Dans le cadre de ce projet, un parc solaire et un parc éolien d’une capacité totale de 10 GW doivent être installés dans la région de Guelmim-Oued Noun. L’électricité produite sera ensuite transmise via quatre câbles sous-marins passant au large des côtes portugaises, espagnoles et françaises.

Désamour français

Comme l’expliquait Mohamed El Mansour, professeur d’histoire à l’université Mohammed-V de Rabat, dans une interview accordée à Jeune Afrique : « Le Maroc a toujours cherché à tirer profit des rivalités entre le Royaume-Uni et les puissances européennes continentales. Depuis l’installation des Anglais à Gibraltar en 1704, le royaume a régulièrement joué la carte britannique contre l’Espagne. 7» . Cette tradition diplomatique rejoint celle de la Grande-Bretagne, qui, comme nous l’avons vu, dans l’Histoire s’est tournée vers le Maroc pour essayer de prendre la France à revers. 

Or, le communiqué du Maroc, aux allures de déclaration conjointe, paru au mois de mai dernier, s’inscrit justement dans un contexte de refroidissement des relations franco-marocaines.

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Depuis le début du mois de mars dernier, les relations entre la France et le Maroc sont qualifiées par Rabat de « ni bonnes, ni amicales« . Quelques semaines auparavant, en février, le roi Mohammed VI rappelait son ambassadeur8 . À ce jour, aucun successeur n’a été nommé. Les sources de tensions sont nombreuses, la principale étant le revirement stratégique de la France en faveur de l’Algérie, au détriment du Maroc9. Car mes relations entre Rabat et Alger sont historiquement marquées par une rivalité, voire une conflictualité ouverte, autour de questions territoriales : et particulièrement la question de l’indépendance des provinces sahariennes de Seguia El-Hamra et d’Oued Ed-Dahab. 

Les multiples gestes d’Emmanuel Macron, ces derniers mois, envers Alger, ont ainsi excédé Rabat. Parallèlement, plusieurs affaires ont contribué à dégrader la situation. En effet, le Maroc n’a pas apprécié les attaques médiatiques dont il a fait l’objet dans le contexte de l’affaire du « Qatargate » : une affaire de corruption au Parlement européen révélée en décembre 2022. De plus, le royaume est cité dans l’affaire Pegasus10, accusé d’avoir mené des écoutes sur le téléphone portable d’Emmanuel Macron, ce que les autorités marocaines réfutent. Enfin, en janvier, le parti européen Renew -dont les députés membres de Renaissance, formation de la majorité présidentielle française, sont membres- a voté une résolution au Parlement européen demandant aux autorités marocaines de « respecter la liberté d’expression et la liberté des médias » et de mettre fin au « harcèlement de tous les journalistes ». Ces mêmes eurodéputés français ont agi quelques mois plus tard pour retirer la même résolution visant l’Algérie. Une posture qui n’est pas restée inaperçue à Rabat. 

Si la France reproche au Maroc son manque de coopération en matière de gestion des questions migratoires et de lutte contre le trafic de drogue, sa politique actuelle semble pousser Rabat à bout. Bien que le Maroc soit le principal investisseur africain en France -et inversement- et un partenaire solide en Afrique de l’Ouest, le gouvernement d’Emmanuel Macron risque de compromettre cette relation pour de longues années. Une opportunité que l’Angleterre, compétitrice stratégique de la France très active sur le plan diplomatique, ne compte pas laisser passer.

1 Agence Marocaine de Presse, Le Royaume-Uni marque son soutien aux grandes réformes menées sous la conduite de SM le Roi Mohammed VI, 09 mai 2023

2An Embassy from King John to the Emperor of Morocco” E. Denison Ross

3 https://www.jeuneafrique.com/mag/854186/politique/maroc-londres-et-rabat-signent-un-accord-post-brexit-incluant-le-sahara/ 

4https://www.jeuneafrique.com/1257398/politique/maroc-les-promesses-de-londres/

5 https://leseco.ma/maroc/maroc-royaume-uni-les-echanges-commerciaux-en-hausse-de-50.html

6 https://xlinks.co/powering-up-britain-policy/ 

7 https://www.jeuneafrique.com/1257398/politique/maroc-les-promesses-de-londres/ 

8 https://www.arabnews.fr/node/354966/zaid-m-belbagi 

9 https://www.valeursactuelles.com/monde/tribune-a-trop-vouloir-courtiser-alger-la-france-agace-rabat 

10 https://www.nouvelobs.com/politique/20210720.OBS46756/cible-par-le-logiciel-espion-pegasus-de-rugy-demande-des-explications-au-maroc.html 

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Baudouin de Petiville

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