100 ans après l’exposition qui a changé l’art décoratif, Paris célèbre de nouveau l’Art déco grâce à plusieurs expositions qui retracent la diversité de ce style. Au musée des Arts décoratifs, les talents des créateurs se dévoilent de nouveau.
Il faut braver les contraintes pour pouvoir visiter l’exposition des 100 ans de l’Art déco organisée aux musées des Arts décoratifs. D’abord, une immense queue, puisque seules deux personnes sont disposées à la vente des tickets, pour 5 guichets possibles. Ensuite, la chaleur des pièces, sans que l’on sache si les responsables du musée ont fait allumer un chauffage inutile ou bien ont refusé de mettre en fonctionnement une climatisation nécessaire. Ensuite, l’exiguïté des salles, absolument pas adaptées pour recevoir autant de monde. L’exposition en elle-même est un parcours d’orientation : une partie en sous-sol, une autre dans les étages et la fin du rez-de-chaussée. Tous les visiteurs errent dans le musée, à la recherche de l’ascenseur ou des escaliers, manteaux et pulls sous le bras afin de défier la chaleur.
Une fois ces conditions muséales délétères mises de côté, il est possible d’apprécier l’exposition, qui retrace celle de 1925, qui ouvra le grand mouvement de l’Art déco. Le choix des pièces exposées est hétéroclite et complet. Des meubles, des tasses, des affiches, des lampes et toute une salle consacrée à l’Orient-Express, qui fait encore rêver aujourd’hui. On mesure aussi le chemin parcouru : 6 jours pour relier Londres à Constantinople quand quelques heures d’avion suffisent aujourd’hui.
Ceux qui aiment l’Art déco seront comblés : la qualité des pièces exposées permet de comprendre la diversité d’un mouvement. Les artisans sont mis à l’honneur ainsi que leur travail : marqueterie, menuiserie, travail des matières et des formes. Une curiosité parmi d’autres : sont exposés des meubles ayant appartenu à François Mauriac, que l’écrivain a fait réaliser par le décorateur Jean-Michel Franck. C’était l’époque où les écrivains avaient du goût et savaient faire intervenir les grands couturiers et décorateurs de leur époque. On y découvre aussi de nombreuses pièces données au musée par des collectionneurs et des financiers, montrant que cet art décoratif est d’abord une façon de vivre et d’habiter l’espace, que ce soit un domicile ou une ville.
L’Art déco rappelle également combien Paris fut le moteur du style, mais c’était avant que l’État ne se mêle de culture et n’intervienne dans le processus de création culturelle. Paris capitale de la mode, de l’artisanat et des arts décoratifs, un Paris qui donne le là pour de nombreux pays et qui sert de modèle à de nombreux artistes. On ne parlait pas encore de soft power, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Avec l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes qui ouvre ses portes en 1925, la capitale redevient celle du bon goût et efface ainsi les affres de la Grande Guerre.
La naissance d’un style
L’Art déco apparaît dans une période de bouleversements. L’Europe aspire à la reconstruction, au confort et à la lumière. Contrairement aux avant-gardes artistiques de la même époque, qui prônent la rupture, les créateurs de l’Art déco cherchent à réconcilier tradition et modernité. Leur ambition est simple : unir la beauté à la fonction, marier le luxe artisanal à la rigueur industrielle.
Ils rejettent les courbes organiques de l’Art nouveau et préfèrent des formes pures, ordonnées, géométriques. Les lignes sont droites, symétriques, les volumes structurés. Les matériaux nobles se mêlent à des techniques modernes venues de l’industrie. Les décors s’inspirent du voyage et de l’ailleurs : motifs égyptiens, influences africaines, japonisme stylisé. L’Art déco est à la fois cosmopolite et profondément français, soucieux du goût, de la mesure et de la perfection de la ligne.
Ce n’est pas un art de rupture mais un art profondément moderne. L’Art déco s’inspire de l’Antiquité, comme le démontre de nombreuses robes présentées, mais aussi du XVIIIe siècle et du style Louis-Philippe. Il se nourrit à des sources nombreuses pour offrir des lignes plus épurées, plus droites. C’est un art moderne au sens où il cherche à capter l’intemporel.
1925 : Paris, capitale du beau moderne
L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, inaugurée à Paris en avril 1925, consacre ce nouveau style. Installée entre le Grand Palais, les Invalides et les quais de la Seine, elle réunit plus de vingt pays et près de quinze mille exposants. Le pavillon français, conçu par Jacques-Émile Ruhlmann, fait sensation : meubles en acajou, tissus précieux, ferronneries stylisées et lustres en cristal composent un univers à la fois luxueux et épuré.
Des créateurs comme Sonia Delaunay, René Lalique, Jean Dunand, Pierre Chareau ou Maurice Dufrêne participent à l’événement. Peintres, décorateurs, verriers et joailliers y présentent une vision commune : le beau doit être moderne et la modernité doit être belle. Cette exposition parisienne devient la vitrine du monde nouveau et son influence sera immense. Les architectes américains, britanniques et scandinaves y puisent une inspiration qui transformera les métropoles du monde entier.
Les formes de la modernité
L’Art déco impose une esthétique claire, fondée sur la géométrie, la symétrie et la stylisation. Cercles, chevrons, éventails, rayons solaires ou motifs floraux épurés rythment les façades, les tissus et les meubles. Les couleurs sont franches : noir, or, crème, vert émeraude, bleu nuit. L’ensemble dégage une impression d’équilibre et de puissance tranquille.
D’abord conçu comme un art de l’intérieur, mobilier, luminaires, verrerie, arts de la table, l’Art déco s’étend rapidement à l’architecture, à la mode, à l’affiche et même à l’univers des paquebots et des cinémas. Le Théâtre des Champs-Élysées, le Palais de la Porte Dorée ou, de l’autre côté de l’Atlantique, le Chrysler Building de New York, en sont les emblèmes. Ces édifices, aux façades rythmées et aux ornements stylisés, expriment la confiance dans la modernité et dans l’ordre.
L’esprit du progrès
L’Art déco est l’expression d’un monde optimiste. Dans les années 1920 et 1930, il accompagne l’essor des technologies, de l’électricité, de l’automobile et de l’aviation. Il célèbre la vitesse, le mouvement, le confort. C’est un style qui croit au progrès et qui réconcilie art et industrie. Les objets du quotidien deviennent œuvres d’art : meubles, luminaires, bijoux, affiches et même appareils ménagers se parent d’élégance. L’Art déco introduit durablement la notion de beauté utile et ouvre la voie à tout le design moderne.
La grande question de l’Art déco est le passage de l’artisanat à la fabrication en série, le passage des esthètes, ce style est notamment apprécié par Jean Cocteau et François Mauriac, au plus grand nombre. Comment mécaniser et industrialiser la production, comment assouplir les formes tout en gardant le style ? L’Art déco n’est pas parvenu à résoudre cette contradiction. Il faut attendre les années 1950-1960 pour disposer d’une production de masse mais ce sera pour un autre type d’art, plus industriel, plus fonctionnel.
Le rayonnement international et le déclin
Dans les années 1930, le style se diffuse dans le monde entier. À New York, Miami ou Casablanca, les façades Art déco incarnent le rêve d’une modernité urbaine et solaire. Mais après la Seconde Guerre mondiale, l’élan s’essouffle. La reconstruction privilégie la sobriété du modernisme et l’économie de moyens. L’Art déco tombe un temps dans l’oubli avant de connaître, à partir des années 1970, une redécouverte passionnée.
C’est tout l’intérêt de cette exposition, en faisant notamment revivre de grands noms du monde l’art : les décorateurs Jean-Michel Franck et Eileen Gray, le couturier Jacques Doucet, le joaillier Cartier, qui a éclot grâce à l’Art déco, le verrier René Lalique. Autant de noms qui ont marqué leur temps et qui sont parfois tombés dans l’oubli, dépassés par leurs propres créations. C’est aussi pour l’hommage à ces personnes que cette exposition est si importante.













