Très largement présent sur 25 000 plaques de rue en France, le nom de Paul Doumer n’évoque pas vraiment grand-chose à nos contemporains. Il est pourtant l’un des deux présidents de la République française assassinés dans l’exercice de ses fonctions, et sa biographie n’a pas suscité jusqu’à présent un grand intérêt.
Paul Mougenot, Paul Doumer. Le dernier président assassiné, Passés composés, 2025.
Préfacé par l’actuel président du Sénat, Gérard Larcher, cet ouvrage de Paul Mougenot, qui ne se présente pas comme historien, mais comme agriculteur et juriste, vient à point nommé lever une certaine injustice. Très largement présent sur 25 000 plaques de rue en France, le nom de Paul Doumer n’évoque pas vraiment grand-chose à nos contemporains. Il est pourtant l’un des deux présidents de la République française assassinés dans l’exercice de ses fonctions, et sa biographie n’a pas suscité jusqu’à présent un grand intérêt.
Le personnage mérite pourtant que l’on s’y attache, et pas seulement parce que l’auteur de ces lignes réside à quelques kilomètres d’un pont éponyme qui enjambe l’Orb, entre Murviel et Cazouls les Béziers.
Paul Doumer représente incontestablement l’archétype de l’homme politique totalement dévoué au bien public. Né dans le Cantal au hasard des pérégrinations de la famille, avec un père absent, présumé mort, mais en réalité déporté à la suite de la commune de Paris, Paul Doumer vit son enfance à Paris, dans un milieu extrêmement modeste et commence à exercer à 15 ans le métier d’ouvrier graveur. Dans le même temps, grâce aux cours du soir, il suit des études à la fois littéraires et scientifiques, obtient son baccalauréat, et se retrouve à 21 ans jeune marié et professeur de mathématiques au lycée de Mende en Lozère. Progressivement, profitant du réseau de son beau-père, tout en passant une licence de droit, il commence à écrire dans la presse régionale, délaissant la craie blanche, – à la suite d’un mauvais rapport d’inspection –, pour la plume et l’encre noire.
Du journalisme à l’action politique, il n’y a qu’un pas, vite franchi à partir de 1885. Il est farouchement attaché à l’école laïque, ce qui lui vaut la haine d’un journaliste du Matin, l’organe de presse conservateur. Cela se termine d’ailleurs par un duel, arrêté au premier sang, selon la tradition.
Un prof de la laïque
La franc-maçonnerie est également l’un des moyens, particulièrement fréquent sous la IIIe République d’accéder aux responsabilités politiques. Et très rapidement les responsabilités s’enchaînent. Élection au conseil municipal, élu député par défaut, contre le général Boulanger en 1888, il est très clairement républicain, mais sa rigueur pour les questions de finances publiques le rapproche progressivement de ce que l’on pourrait appeler le centre-droit.
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Ministre des Finances entre 1895 et 1926, à trois reprises, il fait preuve de beaucoup d’intransigeance face à l’augmentation de la dépense publique, veille à ce que les ministères soient rigoureux en matière de frais de fonctionnement. Son grand projet précurseur, qui devrait, selon lui, permettre d’atteindre l’équilibre budgétaire, est celui de l’impôt sur le revenu voté en 1896 à la chambre, mais rejeté par le Sénat.
Entre-temps, pendant cinq ans tout de même, il est gouverneur général de l’Indochine française, entre 1897 et 1902, et c’est d’ailleurs dans l’actuel Vietnam que se trouve le pont Paul Doumer, exemple typique de ces infrastructures majeures mises en place pendant la colonisation. Il est d’ailleurs particulièrement attentif, en Indochine comme en métropole, au développement du chemin de fer. Cela traduit surtout sa volonté de renforcer l’unité du territoire.
L’auteur note à plusieurs reprises sa puissance de travail, efficace et intraitable. Présent dès cinq heures du matin, il a une rare capacité à traiter les dossiers rapidement, tout en étant scrupuleux sur les moindres détails.
Élu président de la chambre des députés en 1905, battu par Armand Fallières pour la présidence de la république l’année suivante, battu aux élections législatives en 1910, il aurait pu mettre un terme à sa carrière politique. Il reste pourtant très attentif à l’évolution de la situation politique nationale et internationale, se préoccupe du réarmement de la France, et au moment de l’entrée en guerre, il se met au service du général Gallieni, gouverneur militaire de Paris. Il joue un rôle essentiel dans la mobilisation des taxis qui permettent d’acheminer des troupes de renforts pour la bataille de la Marne.
Le prix du sang de 4 de ses fils
La rigueur morale de Paul Doumer, père de cinq garçons en âge d’être mobilisés, lui interdit d’utiliser le moindre entregent pour les dispenser de servir au feu. Dès le 24 septembre 1914, il perd le troisième de ses fils, André, puis René en 1917, Marcel en juin 1918, et enfin Armand, des suites de ses blessures le 15 août 1923. Il ne reste de cette fratrie que Fernand, le fils aîné, lui aussi soldat et saint-cyrien.
Cette succession de drames ne remet pas en cause son engagement au service de la France. Au lendemain de l’armistice, et la mort de ses fils n’y est sans doute pas étrangère, il fait partie de ceux qui veulent faire payer l’Allemagne avec la plus grande rigueur. Président de la commission des finances puis président du Sénat en 1927, il aurait pu, à 70 ans, mettre un terme à sa carrière politique. Peut-être que les ors de l’Élysée ont pu lui apparaître comme une sorte de retraite anticipée, au vu des fonctions d’inaugurateur de chrysanthèmes de président sous la IIIe République. Dans la mentalité de cette époque, la fonction de président du Sénat ouvre la voie vers l’Élysée, surtout que Gaston Doumergue ne cherche pas à briguer un second mandat.
Élu le 13 mai 1931 grâce à l’appui du centre et de la droite, il prend ses fonctions le 13 juin 1931. Il se présente assez rapidement comme « au-dessus des partis ». Mais pendant les 10 mois de sa présidence, il cherche à influencer la formation de différents gouvernements du centre-droit qui se succèdent.
Très hostile aux fastes et au dispositif de sécurité qui l’entoure, il assume toutes les fonctions honorifiques de son poste, y compris le salon annuel des écrivains combattants où il croise son destin.
Celui-ci a le visage d’un immigré russe, Paul Gorguloff qui lui tire deux balles de pistolet. Les motivations semblent assez obscures, ce Russe blanc a estimé que la France n’avait pas suffisamment soutenu la lutte contre les bolcheviques pendant la guerre civile russe. Au terme d’un procès rapide, l’assassin est guillotiné le 14 septembre 1932.
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Personnage austère, rigoureux au niveau de ces principes, Paul Doumer est resté le président mal connu de la IIIe République. Au-delà de son patriotisme, il a pu faire preuve d’une grande lucidité à propos de la situation internationale de l’entre-deux-guerres, considérant l’alliance avec l’Angleterre comme le socle de la politique étrangère de la France face à une éventuelle montée en puissance de l’Allemagne. Il se montre très attaché à un effort de réarmement permettant la France de garantir sa sécurité.
Dans un entretien diffusé dernièrement l’auteur s’interroge sur la posture qu’il aurait pu avoir en 1940, s’il avait été à la place de son successeur Albert Lebrun. Patriote intransigeant, farouchement républicain, on l’imagine mal se soumettre aux manœuvres de Pierre Laval et faire appel à Philippe Pétain comme président du conseil. Mais il s’agit de simples suppositions sur lesquelles il n’y aura jamais de réponse.