Les remous qui ont agité l’Union européenne à la suite de la crise économique de 2008 ont particulièrement touché dont l’Espagne, qui a souffert de l’éclatement de sa bulle immobilière (1). Le chômage a fortement touché la jeune génération et fragilisé un pays qui a perdu sa cohésion.
Une crise sévère et une reprise fragile
Je ne reviendrai pas ici sur toutes les conséquences de ces bouleversements, qui ont été largement documentés (2). De même, je ne m’étendrai pas sur les signes de la reprise économique qui s’est enclenchée à partir de 2014-2015. Ces aspects ont également été commentés par des observateurs espagnols ou étrangers (3).
Je souhaite en revanche insister sur un élément capital pour comprendre les développements de l’économie ibérique au cours des derniers mois et des dernières années : la fragilité de cette reprise.
Bien que certains secteurs aient démontré une réelle résilience au cours des années de vaches maigres, l’Espagne reste tributaire de la conjoncture mondiale et subit des soubresauts incontrôlables. Elle est aussi vulnérable aux conflits commerciaux qui opposent les superpuissances mondiales (4). Enfin, des problèmes internes continuent d’en freiner le potentiel de croissance. Ce sont ces éléments que je compte rappeler ici.
Des faiblesses structurelles
En cette fin d’année 2019, le Royaume d’Espagne se retrouve confronté à un ralentissement de l’économie planétaire qui le surprend dans les pires circonstances possibles (5). Si le second gouvernement de Mariano Rajoy (Parti populaire) était minoritaire au Parlement espagnol , les deux exécutifs présidés par Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol) le sont encore plus.
À la complexité des négociations entre des formations politiques aux intérêts divergents s’ajoute la paralysie institutionnelle qui frappe l’Espagne. En quatre ans (de 2015 à 2019), les Espagnols ont été appelés trois fois aux urnes pour élire leurs représentants nationaux et de nouvelles élections générales anticipées se tiendront le 10 novembre prochain. Les périodes où le cabinet de Sánchez a réellement exercé le pouvoir sont donc minoritaires et ne permettent pas d’agir sur les principaux leviers de l’économie nationale.
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Un tel blocage inquiète les entreprises, dont la rentabilité a diminué au premier semestre de l’année 2019 (6). Les firmes ibériques ont d’ailleurs communiqué leur mécontentement au gouvernement central (7). Ce dernier est aussi dans l’incapacité d’opérer les transferts financiers nécessaires à la bonne tenue des comptes des communautés autonomes, ce qui force ces dernières à laisser filer leur déficit public (8).
L’on ne compte plus les réformes de fond qui devraient être menées à bien mais qui ne peuvent l’être en raison de cette absence de pilote dans l’avion (9). L’état des comptes publics, en particulier, est très préoccupant et il n’est pas certain que notre voisin ibérique pourrait faire face à de nouveaux dérapages fiscaux (10).
Les craintes sont tout aussi nombreuses en Catalogne, région qui représente 19,4 % du produit intérieur brut national (11) et où la conjoncture ne cesse de se dégrader en raison d’un déclin relatif structurel (12). Ce dernier est renforcé par le processus séparatiste, qui continue de produire ses effets délétères (13).
Bien d’autres défis angoissent aussi les gouvernants et les citoyens : failles structurelles et faible compétitivité (14), menaces sur l’industrie automobile (15) (secteur qui représente environ 10 % du PIB) (16), déficit régional (17), ralentissement du marché de l’emploi (18) et fortes inégalités régionales en matière de chômage (19), etc.
Des menaces extérieures multiformes
Le 3 octobre 2019, l’administration américaine annonçait la mise en œuvre de sanctions économiques à l’encontre de l’Union européenne. Ce relèvement des taxes douanières concerne des produits qui font la richesse de nombreux exportateurs espagnols, notamment les fromages frais, la charcuterie, l’huile d’olive (60 000 tonnes par an vers Washington (20), vins, conserves, etc. Au total, près d’un milliard d’euros de ventes espagnoles aux États-Unis sont aujourd’hui en suspens (21), à un moment où la conjoncture mondiale est délicate.
La crise économique en Argentine, l’un des principaux partenaires latino-américains de l’Espagne, est aussi en cause dans le ralentissement économique de notre voisin (22).
Deux autres facteurs géopolitiques doivent enfin être pris en compte :
Le Brexit – l’absence possible d’accord entre Londres et Bruxelles à ce sujet préoccupe énormément les acteurs économiques outre-Pyrénées en raison de la forte imbrication des deux économies, que ce soit en matière touristique (23) ou industrielle (24), par exemple ; la récession en Allemagne, pays qui importe de nombreux produits manufacturés espagnols et avec lequel l’Espagne est là aussi très connectée (25).
Face à l’ensemble de ces risques internes et externes, les autorités de notre voisin ibérique vont devoir réfléchir à l’avenir économique qu’elles souhaitent donner à leur pays et donc aux choix parfois douloureux qu’elles devront faire dans ce cadre.
Excellent article, très bien structuré et très intéressant.