Ralentissement économique de l’Espagne – Entre facteurs internes et tensions géopolitiques

10 octobre 2019

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : L'aéroport de Ciudad Real, Espagne, ouvert en décembre 2008, il a fermé en avril 2012 faute d'un trafic suffisant. Auteurs : M.ASTAR/SIPA Numéro de reportage : 00752107_000013
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Ralentissement économique de l’Espagne – Entre facteurs internes et tensions géopolitiques

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Les remous qui ont agité l’Union européenne à la suite de la crise économique de 2008 ont particulièrement touché dont l’Espagne, qui a souffert de l’éclatement de sa bulle immobilière [simple_tooltip content=’À ce sujet, voir, par exemple, Klein, Nicolas, « Espagne, victime des crises, de grands travaux inutiles et de la… corruption », 5 juin 2018, blog de Liliane Held-Khawam.’](1)[/simple_tooltip]. Le chômage a fortement touché la jeune génération et fragilisé un pays qui a perdu sa cohésion.

Une crise sévère et une reprise fragile

Je ne reviendrai pas ici sur toutes les conséquences de ces bouleversements, qui ont été largement documentés [simple_tooltip content=’Voir, entre autres, Pellistrandi, Benoît, « Comprendre la crise espagnole, une inflexion entre deux époques » in Confluences Méditerranée, Paris : L’Harmattan, 2012, n° 80, pages 57-68 ; López, Javier, « Crisis de deuda pública del Estado español y la Unión Europea – ¿Causa o consecuencia? » in Papeles de Europa, Madrid : Université Complutense, 2013, volume 26, n° 2, pages 93-102 ; Riesco, Alberto, « Crisis económica y desempleo en España: algo más que un desajuste técnico » in Revista de estudios, Madrid : Fondation du 1er-mai, 2009, n° 5, pages 24-32 ; Schweisguth, Danielle, « Espagne : championne de la rigueur » in Revue de l’OFCE, Paris : OFCE, 2012, n° 123, pages 131-135 ; et Catalan, Jordi, « Espagne : les faits aggravants » in Outre-Terre – Revue européenne de géopolitique, Sérignac : Ghazipur, 2012, n° 32, pages 227-236.’](2)[/simple_tooltip]. De même, je ne m’étendrai pas sur les signes de la reprise économique qui s’est enclenchée à partir de 2014-2015. Ces aspects ont également été commentés par des observateurs espagnols ou étrangers [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Klein, Nicolas, « La reprise économique, oui… mais », 12 juin 2019, blog de Liliane Held-Khawam.’](3)[/simple_tooltip].

Je souhaite en revanche insister sur un élément capital pour comprendre les développements de l’économie ibérique au cours des derniers mois et des dernières années : la fragilité de cette reprise.
Bien que certains secteurs aient démontré une réelle résilience au cours des années de vaches maigres, l’Espagne reste tributaire de la conjoncture mondiale et subit des soubresauts incontrôlables. Elle est aussi vulnérable aux conflits commerciaux qui opposent les superpuissances mondiales [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Coronil Jónsson, Alicia, « Las curvas que se avecinan », El País, 8 septembre 2019.’](4)[/simple_tooltip]. Enfin, des problèmes internes continuent d’en freiner le potentiel de croissance. Ce sont ces éléments que je compte rappeler ici.

Des faiblesses structurelles

En cette fin d’année 2019, le Royaume d’Espagne se retrouve confronté à un ralentissement de l’économie planétaire qui le surprend dans les pires circonstances possibles [simple_tooltip content=’À ce sujet, voir Obregón, Carmen et Ortega Socorro, Eduardo, « España es el país peor preparado de la UE frente a la desaceleración económica », El Economista, 17 août 2019.’](5)[/simple_tooltip]. Si le second gouvernement de Mariano Rajoy (Parti populaire) était minoritaire au Parlement espagnol , les deux exécutifs présidés par Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol) le sont encore plus.

À la complexité des négociations entre des formations politiques aux intérêts divergents s’ajoute la paralysie institutionnelle qui frappe l’Espagne. En quatre ans (de 2015 à 2019), les Espagnols ont été appelés trois fois aux urnes pour élire leurs représentants nationaux et de nouvelles élections générales anticipées se tiendront le 10 novembre prochain. Les périodes où le cabinet de Sánchez a réellement exercé le pouvoir sont donc minoritaires et ne permettent pas d’agir sur les principaux leviers de l’économie nationale.

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Un tel blocage inquiète les entreprises, dont la rentabilité a diminué au premier semestre de l’année 2019 [simple_tooltip content=’Voir « La ralentización económica empieza a lastrar la rentabilidad de las empresas españolas », El Confidencial, 18 septembre 2019′](6)[/simple_tooltip]. Les firmes ibériques ont d’ailleurs communiqué leur mécontentement au gouvernement central [simple_tooltip content=’Voir Maisanaba, Alejandro, « Las empresas estallan contra la falta de Gobierno », La Razón, 22 août 2019.’](7)[/simple_tooltip]. Ce dernier est aussi dans l’incapacité d’opérer les transferts financiers nécessaires à la bonne tenue des comptes des communautés autonomes, ce qui force ces dernières à laisser filer leur déficit public [simple_tooltip content=’Voir Jorrín, Javier, « El bloqueo de la investidura aboca a 13 CC. AA. a incumplir el objetivo de déficit », El Confidencial, 29 août 2019.’](8)[/simple_tooltip].

L’on ne compte plus les réformes de fond qui devraient être menées à bien mais qui ne peuvent l’être en raison de cette absence de pilote dans l’avion [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Sevilla, Jordi et Santa Cruz Díez, Belén, « Tareas económicas del nuevo Gobierno », Agenda Pública, 11 avril 2019 ; Viaña, Daniel, « Silencio político ante la próxima crisis que amenaza España », El Mundo, 21 avril 2019 ; Díez, Anabel et Hermida, Xosé, « Un país en funciones », El País, 30 juin 2019 ; et Tahiri, Javier, « El parón político frustra medidas urgentes para la economía española », ABC, 17 juin 2019.’](9)[/simple_tooltip]. L’état des comptes publics, en particulier, est très préoccupant et il n’est pas certain que notre voisin ibérique pourrait faire face à de nouveaux dérapages fiscaux [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Maqueda, Antonio, « España se queda sin margen fiscal para afrontar la ralentización », El País, 23 septembre 2019.’](10)[/simple_tooltip].

Les craintes sont tout aussi nombreuses en Catalogne, région qui représente 19,4 % du produit intérieur brut national [simple_tooltip content=’Voir Magallón, Eduardo, « Cataluña mantiene el papel de locomotora de España en el 2018 », La Vanguardia, 29 avril 2019.’](11)[/simple_tooltip] et où la conjoncture ne cesse de se dégrader en raison d’un déclin relatif structurel [simple_tooltip content=’À ce sujet, voir Jorrín, Javier et Escudero, Jesús, « Cataluña se queda atrás en la carrera con Madrid por liderar la economía española », El Confidencial, 28 septembre 2019 ; Baratech, Gonzalo, « Arrecia la decadencia industrial de Cataluña », Crónica Global, 1er juillet 2018 ; Martí Font, José María, Barcelone-Madrid – Decadencia y auge, Barcelone : Libros, 2019 ; et Molina, Miquel, Alerta Barcelona – Adiós a la ciudad autocomplaciente, Barcelone : La Vanguardia, 2018.’](12)[/simple_tooltip]. Ce dernier est renforcé par le processus séparatiste, qui continue de produire ses effets délétères [simple_tooltip content=’Voir Urrutia, César, « Cataluña teme otro shock aunque todavía paga la factura económica del 1-0 », El Mundo, 1er octobre 2019.’](13)[/simple_tooltip].

Bien d’autres défis angoissent aussi les gouvernants et les citoyens : failles structurelles et faible compétitivité [simple_tooltip content=’À ce sujet, voir Sebastián, Carlos, España estancada – Por qué somos poco eficientes, Barcelone : Galaxia Gutenberg, 2016 et, du même auteur, Para que España avance, Barcelone : Galaxia Gutenberg, 2019. ‘](14)[/simple_tooltip], menaces sur l’industrie automobile [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, « La producción de vehículos cae en mayo un 6% y acumula 7 meses de caídas », El Mundo, 24 juin 2019.’](15)[/simple_tooltip] (secteur qui représente environ 10 % du PIB)[simple_tooltip content=’Voir Klein, Nicolas, « L’industrie de l’automobile sauve l’économie… mais jusqu’à quand ? », 11 août 2018, blog de Liliane Held-Khawam.’] (16)[/simple_tooltip], déficit régional [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Montalbán, Erik, « El déficit autonómico se multiplica por 67 », La Razón, 1er octobre 2019.’](17)[/simple_tooltip], ralentissement du marché de l’emploi[simple_tooltip content=’Voir Sánchez, Carlos, « España destruyó empleo en verano: ¿es para preocuparse? », El Confidencial, 4 octobre 2019.’] (18)[/simple_tooltip] et fortes inégalités régionales en matière de chômage [simple_tooltip content=’Voir Sánchez, Carlos, « España se rompe pero por el empleo: la brecha laboral entre regiones se amplía », El Confidencial, 28 octobre 2018.’](19)[/simple_tooltip], etc.

Des menaces extérieures multiformes

Le 3 octobre 2019, l’administration américaine annonçait la mise en œuvre de sanctions économiques à l’encontre de l’Union européenne. Ce relèvement des taxes douanières concerne des produits qui font la richesse de nombreux exportateurs espagnols, notamment les fromages frais, la charcuterie, l’huile d’olive (60 000 tonnes par an vers Washington [simple_tooltip content=’Voir Aguilar, Jorge, « «Hay palés de aceite de oliva que no sabemos si saldrán a EE. UU. », ABC, 4 octobre 2019. ‘](20)[/simple_tooltip], vins, conserves, etc. Au total, près d’un milliard d’euros de ventes espagnoles aux États-Unis sont aujourd’hui en suspens [simple_tooltip content=’Voir Sevillano, Elena, « 930 millones al año: estos son los productos españoles afectados por los nuevos aranceles de EE. UU. », El País, 4 octobre 2019.’](21)[/simple_tooltip], à un moment où la conjoncture mondiale est délicate.
La crise économique en Argentine, l’un des principaux partenaires latino-américains de l’Espagne, est aussi en cause dans le ralentissement économique de notre voisin [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Orgaz, Cristina, « Crisis en Argentina: 3 datos que muestran cómo se ha deteriorado la economía del país en las últimas semanas », BBC Mundo, 3 septembre 2019.’](22)[/simple_tooltip].

Deux autres facteurs géopolitiques doivent enfin être pris en compte :
Le Brexit – l’absence possible d’accord entre Londres et Bruxelles à ce sujet préoccupe énormément les acteurs économiques outre-Pyrénées en raison de la forte imbrication des deux économies, que ce soit en matière touristique[simple_tooltip content=’Voir Buil Demur, Ana, « Un Brexit duro golpearía al sector turístico en España », Euronews, 5 septembre 2019 ; et « Faillite de Thomas Cook : 500 hôtels « vont fermer immédiatement » en Espagne, selon le patronat », 20 minutes, 1er octobre 2019.’] (23)[/simple_tooltip] ou industrielle [simple_tooltip content=’Voir Valero, Jorge, « Le Brexit menace de clouer au sol plusieurs compagnies aériennes », EurActiv, 20 décembre 2018.’](24)[/simple_tooltip], par exemple ; la récession en Allemagne, pays qui importe de nombreux produits manufacturés espagnols et avec lequel l’Espagne est là aussi très connectée [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Ortega Socorro, Eduardo, « ¿Cómo afectaría la recesión alemana a España? », El Economista, 20 août 2019 ; et Jiménez, Francisco, « El sector servicios en España comienza a resentirse de las tensiones internacionales », 3 octobre 2019. ‘](25)[/simple_tooltip].

Face à l’ensemble de ces risques internes et externes, les autorités de notre voisin ibérique vont devoir réfléchir à l’avenir économique qu’elles souhaitent donner à leur pays et donc aux choix parfois douloureux qu’elles devront faire dans ce cadre.

À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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