<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pépé Mujica, guérillero et président 

6 septembre 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : (AP Photo/Matilde Campodonico)/XRM493/25135602777478//2505151910

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Pépé Mujica, guérillero et président 

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José Mujica fut le président de l’Uruguay durant 5 ans. Mais ce fut aussi un combattant politique et un homme qui a marqué l’histoire de son pays. 

Le 14 mai 2025, une foule immense se tient sur les trottoirs de l’avenue 18 de Julio, la plus grande artère de Montevideo, capitale de l’Uruguay. Elle applaudit avec émotion le cortège funéraire de José Mujica, dont le cercueil est tiré d’un pas lent par un quadrige de chevaux emplumés de noir. Victime d’un cancer de l’œsophage, Mujica meurt le 13 mai à l’âge de 89 ans. Il fut le président du pays – La República Oriental del Uruguay –, du 1er mars 2020 au 1er mars 2025, et le moins que l’on puisse en dire, c’est qu’il se révéla un président tout à fait singulier.

Article paru dans le N59 Droite. La nouvelle internationale ?

José Mujica, surnommé Pépé comme tous les José du monde hispanophone, se présentait comme le plus pauvre président de notre planète. Il vivait de façon très modeste, se déplaçant dans une vieille Coccinelle Volkswagen et refusant d’habiter le palais présidentiel, lui préférant sa petite maison de Rincón del Cerro où il cultivait des fleurs avec sa femme, Lucia Topolansky. Rétif à l’égard du capitalisme et de l’accumulation de biens qui, selon lui, ne contribue pas au bonheur de l’humanité, il versait environ 90 % de son salaire (12 000 dollars) à des associations d’aide aux plus pauvres et aux petites entreprises locales. 

Ce rejet du capitalisme, et ce mépris pour la consommation, mériterait un débat sur les vertus de la croissance pour réduire la pauvreté, mais cette discussion n’aura pas lieu, Pépé Mujica est devenu l’idole intouchable de la gauche universelle, le prophète de la frugalité et de la décroissance, qualifié de « président philosophe » par le Times Higher Education, un magazine britannique. On trouve dans cet article l’écho de Platon voulant voir un jour les nations conduites par des « rois philosophes ». 

Durant son mandat, Pépé Mujica fait de son petit pays conservateur un extraordinaire laboratoire de politiques sociales et libérales, autorisant la consommation récréative de marijuana, l’avortement et le mariage gay. 

Jusqu’ici, tout va bien

La jeunesse, puis la maturité de l’humble président frugal et fleuriste racontent une tout autre histoire, marquée par l’action politique, le marxisme, la violence de la guérilla, la prison de la dictature, et un retour tardif, mais néanmoins bienvenu, à la vie démocratique et à l’État de droit. 

Le père de Pépé, Demetrio Mujica Terra, agriculteur, descendant d’une famille de Biscaye arrivée en Uruguay en 1842, meurt en 1940 alors que son fils n’a que 5 ans. Sa mère, Lucy Cordano Giorello, est d’origine italienne, fille de Génois qui maintenant cultivent des vignes dans la région de Colonia.  

Toute la famille de Lucy semble être membre du Parti national – une organisation souverainiste et plutôt à gauche, fondée en 1836 –, l’un des plus anciens partis d’Amérique latine, avec son éternel adversaire, le Parti Colorado, créé la même année pour représenter la droite et les libéraux. 

L’oncle maternel de Pépé, Angel Cordano, est l’une des grandes figures du Parti national. Auprès de lui, le jeune homme découvre la politique. En 1956, Lucy présente son fils – dont les études ont été courtes, car il n’a pas terminé sa première année d’études universitaires – au député nationaliste Enrique Erro. Ce coup de piston permet à Pépé d’intégrer le Parti. Deux ans plus tard, le voici élu à la présidence des jeunes nationalistes. En 1962, Erro et Mujica décident de quitter ce vieux Parti national pour en fonder un nouveau, l’Union populaire, en coalition avec le Parti socialiste que dirige Emilio Frugoni, élégant poète et marxiste enthousiaste. Il se présente à l’élection présidentielle et recueille un résultat humiliant : 2,3 % des voix. 

Pépé le guérillero

Cette désillusion politique conduit Mujica à rejoindre le groupe armé Movimiento de Liberación Nacional-Tupamaros. Voici notre gentil Pépé devenu guérillero.

Le nom de ce mouvement est un hommage au guerrier andin Tupac Amaro qui s’était battu contre les Espagnols vers la fin du xviiie siècle. Le groupe se forme en février 1966 avec pour chef Raúl Sendic, un étudiant guévariste qui abandonne ses études de droit pour se lancer dans la lutte armée.

À cette époque, le MLN-Tupamaros représente un mouvement insurrectionnel parmi tant d’autres groupes semblables en Amérique latine, tous inspirés et soutenus par le régime cubain. On peut citer le Front sandiniste de libération nationale au Nicaragua, ou le Front Farabundo Marti de libération nationale au Salvador. Les Tuparamos, cependant, se distinguent des autres par deux caractéristiques essentielles : leur volonté d’agir contre des autorités ou des institutions qu’ils jugent impliquées dans la corruption financière d’un pays longtemps considéré comme « la Suisse de l’Amérique latine », et leur refus de faire couler le sang des populations civiles.

Pour autant, les Tuparamos ne sont pas des enfants de chœur, mais des guérilleros urbains bien entraînés, admirateurs de la révolution cubaine et auteurs de nombreuses actions violentes, enlèvements, assassinats, attentats, raids sur des banques et la brève prise de contrôle à laquelle participe Mujica d’une petite ville, Pando, proche de la capitale, Montevideo.

L’économiste Hugo Marcelo Balderrama, auteur d’un article sur le site Panam Post, affirme que Mujica, alors recrue récente du mouvement, tua le 10 janvier 1971 un agent de police, José Leonardo Villalba, pour lui prendre son arme et son portefeuille. Ces actions violentes déplaisent aux Uruguayens, quelque 4,5 millions d’habitants citoyens d’un pays tranquille, inquiets devant les nouvelles tensions sociales et politiques suscitées par la guérilla. Laquelle se rend définitivement impopulaire quand elle assassine un pauvre péon, un ouvrier agricole de 47 ans, Pascacio Baez Mena, père de deux enfants. Selon les proches du défunt, il était parti à la recherche d’un cheval appartenant à un voisin, et entra sans le savoir dans une propriété, la estancia Espartacus, qui abritait des tunnels où se cachaient avec leurs armes des Tuparamos. Ceux-ci se saisirent de cet intrus inconnu pour le torturer et l’enterrer vivant dans l’un de leurs tunnels.

Funérailles de José Mujica.

Treize ans de prison 

En mars 1970, Mujica est arrêté par deux policiers dans un bar de Montevideo. Alors qu’il résiste, il reçoit six balles de pistolet, mais un chirurgien lui sauve la vie. Les Tuparamos prétendent qu’il fait partie de leur organisation, ce que s’avère faux. La carrière de Pépé le guérillero prend fin. 

Le président de l’époque, José Pacheco Areco, membre du Parti Colorado, élu en 1967, ordonne l’arrestation des communistes et des militants Tuparamos. Surpris chez lui, Mujica se retrouve dans la prison de Punta Carretas. En 1971, il s’en échappe une première fois en compagnie d’une centaine d’autres prisonniers Tuparamos à travers un tunnel qui les mène à la salle de séjour d’une maison proche de l’établissement pénitentiaire. De nouveau arrêté un mois plus tard, il s’évade encore en avril 1972. Peu de temps après, il sera appréhendé pour la quatrième fois. Il est probable que l’activisme des Tuparamos constitue l’un des éléments, avec le poids de la guerre froide, sujet très sensible en Amérique latine, qui ont conduit les militaires uruguayens à se saisir du pouvoir en 1973. Mujica, l’une des très nombreuses victimes de la dictature, restera en prison dans des conditions épouvantables pendant treize ans, inquiet pour sa santé mentale et se plaignant d’hallucinations auditives et de paranoïa. 

L’abandon de la lutte armée

En 1985, la démocratie et l’État de droit font leur grand retour après la dictature. Une loi d’amnistie couvre à la fois les crimes politiques et les crimes militaires commis depuis 1962. Mujica sort enfin de prison. Quelque temps plus tard, comme de nombreux militants Tuparamos, il abandonne la lutte armée et renoue avec la politique. Il crée le Mouvement de la participation populaire vite intégré au Frente Amplio (le Front large), un rassemblement de partis de gauche né en 1971. Ministre de l’Agriculture en 2005, Mujica devient président de l’Uruguay en 2010. Sa vie extraordinaire, brutale, malheureuse, et enfin apaisée et frugale, installe pour longtemps le mythe étonnant d’un charmant guérillero présidentiel.

  1. Interview: « The philosopher president” of Uruguay », Times Higher Education, 9 avril 2015.
  2. Pablo Brum’s The Robin Hood Guerrillas: The Epic Journey of Uruguay’s Tupamaros (CreateSpace, 2014).

  3. José Mujica, el fetiche del progresismo, Panam Post, édition du 26 mai 2025.

À propos de l’auteur
Michel Faure

Michel Faure

Michel Faure. Journaliste, ancien grand reporter à L’Express, où il a couvert l’Amérique latine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à cette zone, notamment Une Histoire du Brésil (Perrin, 2016) et Augusto Pinochet (Perrin, 2020).

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