PFAS : une guerre de l’information financée depuis Bruxelles

3 juillet 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Le siège de la Commission européenne, à Bruxelles (c) Pixabay

Abonnement Conflits

PFAS : une guerre de l’information financée depuis Bruxelles

par

Le débat sur l’interdiction des PFAS en France illustre une stratégie d’influence transnationale, où des capitaux étrangers financent des récits médiatiques pour orienter des normes nationales. La loi adoptée en février 2025 sur les PFAS découle d’une campagne orchestrée pour fragiliser l’industrie chimique française sous couvert de préoccupations environnementales. Ce cas, analysé par l’EGE, met en lumière une guerre cognitive moderne exploitant des récits calibrés et financés hors du champ national.

Par Jean-Baptiste Giraud

Le débat sur les PFAS, substances chimiques accusées de persistance dans l’environnement et soupçonnées de toxicité, a débouché en février 2025 sur un texte législatif d’interdiction partielle adopté par l’Assemblée nationale. Présentée comme une avancée écologique, cette loi résulte en réalité d’une séquence d’influence bien plus large. L’École de Guerre Économique (EGE), dans un rapport publié fin juin 2025, dévoile un système d’influence informationnelle structuré, largement financé depuis l’étranger, et dont l’objectif dépasse la protection environnementale et rend vulnérable un secteur industriel stratégique : la chimie française. À travers ce cas, l’EGE illustre une forme contemporaine de guerre cognitive, où la norme est modelée par des récits médiatiques produits hors du champ national et alimentés par des capitaux extérieurs.

Retrouvez le rapport ici

La fabrique d’un récit transnational anti-PFAS

L’un des piliers de la mobilisation médiatique contre les PFAS fut le Forever Pollution Project, consortium de journalistes issus de seize pays européens, coordonné par la plateforme journalismfund.eu.

Ce collectif est à l’origine de la cartographie de 23 000 sites contaminés en Europe, largement reprise dans la presse française et européenne dès 2023. Son impact fut déterminant dans l’agenda politique ayant conduit au dépôt de la proposition de loi française.

Or, comme le documente l’EGE, ce projet fut financé à hauteur de 47 % par la fondation britannique Arcadia ainsi que par d’autres acteurs étrangers. Le journal Le Point, dans son article sur le rapport de l’EGE du 30 juin 2025, souligne : « Le Forever Pollution Project bénéficie donc d’un financement totalement étranger, par la Commission européenne, le gouvernement flamand et la fondation Arcadia, ce qui irrite la fibre patriotique de l’EGE ». Ces faits invalident le narratif d’une mobilisation citoyenne autonome. Ils révèlent au contraire l’existence d’un maillage financier transnational utilisé pour peser sur la régulation industrielle d’un État membre de l’Union européenne, en l’occurrence la France.

Interdiction des PFAS : Bruxelles, financeur et bénéficiaire

Le soutien apporté par la Commission européenne à cette opération soulève une question politique majeure : celle de l’usage de ressources communautaires à des fins d’influence ciblée contre un État membre. En finançant journalismfund.eu, qui redistribue ces fonds à des collectifs engagés dans des campagnes à haute intensité émotionnelle, la Commission semble orienter activement les représentations du risque et participer à la formation d’un climat d’opinion hostile à certaines filières industrielles. Le Forever Pollution Project, dans un document interne disponible sur le site de la plateforme, se félicite d’ailleurs de voir ses « findings » repris dans les documents préparatoires de la politique PFAS de l’Union européenne. Le journalisme d’investigation devient ainsi un outil de diplomatie réglementaire, sous financement public.

La porosité du système décisionnel français

En France, les effets de cette campagne furent rapides. Plusieurs figures médiatiques, dont la militante Camille Étienne, ont relayé les travaux du collectif et appuyé la proposition de loi adoptée le 27 février 2025. Le rapport de l’EGE souligne que la société de production de Camille Étienne, Avant l’orage, n’a jamais rendu public le détail de son financement. Et comme l’explique Le Point, cette opacité nourrit un flou sur la provenance réelle des soutiens financiers. La mobilisation, bien que portée par des visages nationaux, repose ainsi sur des structures dont le financement échappe aux circuits habituels de contrôle et d’équilibre.

Le rapport de l’EGE parle de « capture institutionnelle » pour désigner la reprise, sans distance critique, d’éléments de langage, de données ou d’argumentaires produits par des acteurs extérieurs à la sphère publique française. Les ARS, certains élus et des agences comme l’ADEME ont repris les contenus du Forever Pollution Project comme base d’expertise. Ce glissement marque une rupture dans la chaîne de légitimation des politiques publiques : la production de norme ne repose plus sur l’évaluation contradictoire, mais sur l’importation de récits calibrés, émotifs, et soutenus par des financements extra-étatiques. 

Une ingénierie de l’opinion à haute efficacité

Le mérite de l’analyse produite par l’École de Guerre Économique est de replacer cette séquence dans une logique stratégique. Loin de s’inscrire dans un débat sanitaire classique, l’affaire PFAS illustre la capacité d’acteurs extra-nationaux à orienter les perceptions collectives, à structurer un agenda politique, et à précipiter une décision législative. Cette influence s’opère désormais par le biais d’une ingénierie cognitive : production de cartes, narrations visuelles, chiffres spectaculaires, vidéos virales. Le tout relayé par des journalistes qualifiés d’indépendants, mais opérant dans une architecture de financement externe.

Ce type de dispositif s’est déjà manifesté dans d’autres domaines : pesticides, nucléaire, OGM. À chaque fois, une logique identique se répète : internationalisation de la plainte, dramatisation du risque, mobilisation émotionnelle, puis transposition normative. La France, dont le dispositif réglementaire est particulièrement réceptif à ces pressions symboliques, apparaît comme une cible privilégiée. Le cas PFAS en est l’illustration la plus récente.

Pour une doctrine française de la défense cognitive

Les conclusions du rapport de l’EGE débordent largement le seul dossier des PFAS. Elles posent la nécessité d’une doctrine de protection cognitive, capable de détecter, cartographier et contrer les opérations d’influence informationnelle menées contre les intérêts industriels français. Ce qui suppose une transparence obligatoire sur les financements des ONG et des collectifs de journalistes intervenant dans le champ législatif ; la mise en place de structures de contre-expertise souveraine, capables d’équilibrer les effets d’une narration hostile ; et que l’État se dote de capacités propres en matière d’intelligence économique et de communication stratégique, condition indispensable pour rétablir sa maîtrise normative. Si la décision publique devient perméable aux campagnes financées depuis l’extérieur, l’autonomie stratégique et industrielle est plus que menacée.

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !
À propos de l’auteur
Revue Conflits

Revue Conflits

Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

Voir aussi