<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Tallandier, 1983.

25 mars 2021

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Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Tallandier, 1983.

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Jean-Robert Pitte est un des géographes français contemporains les plus connus. Professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne, qu’il présida de 2003 à 2008, il est aujourd’hui président de la Société de géographie et secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques. Spécialiste du paysage et de la gastronomie, Jean-Robert Pitte a écrit de très nombreux ouvrages sur le vin, notamment Bordeaux-Bourgogne, les passions rivales en 2007, une captivante comparaison historique et géographique entre les deux grands vignobles du territoire français. Son dernier livre, La planète catholique, une géographie culturelle, publié en 2020, s’intéresse à l’unité et à la diversité des catholiques à travers le monde et aux traces de cette culture dans l’organisation de l’espace.

Malgré sa brillante carrière, Jean-Robert Pitte possède une place un peu singulière dans le paysage académique français. Alors que, depuis les années 1970, une nouvelle géographie plus conceptuelle tente de se mettre en place, il propose depuis toujours une géographie culturelle et historique accessible, concrète, qui s’appuie davantage sur les études de terrain que sur les modélisations numériques ou les grandes théories de l’espace.

L’Histoire du paysage français, parue en 1983, est l’un de ses premiers ouvrages et la première grande synthèse sur le sujet. Depuis le quaternaire jusqu’à l’ère giscardienne, l’auteur s’attache à décrire les évolutions du paysage, défini comme « l’expression observable par les sens à la surface de la terre de la combinaison entre la nature, les techniques et la culture des hommes ».

Plusieurs réflexions stimulantes émergent au fil de la lecture. D’abord, les paysages changent continuellement. Certains paysages nous semblent immémoriaux alors qu’ils sont relativement récents, à l’image des cyprès bordant les parcelles agricoles du Comtat Venaissin. Pour l’auteur, chercher à conserver à tout prix le paysage – idée qui émerge au xixe siècle – a peu de sens.

Les paysages changent, car ils sont d’abord l’expression de la vie d’une civilisation et notamment de ses perceptions culturelles. L’auteur insiste sur ce point dans sa nouvelle préface. Les peintures de la Renaissance préfigurent la ville idéale de l’époque moderne, tout comme le cubisme annonce les grands ensembles du xxe siècle. À la fin du xviiie siècle, le goût pour la montagne et les paysages accidentés naît de la morale protestante, tandis que le développement du jardin anglo-chinois parsemé de pavillons s’inscrit dans une démarche initiatique issue de la franc-maçonnerie. Certaines mutations culturelles entraînent des évolutions techniques et des changements paysagers particulièrement profonds. Ainsi en est-il de la sédentarisation au néolithique ou de l’émergence de la société industrielle à partir du xixe siècle. De même, depuis le xvie siècle, le sacré se déplace du religieux vers le politique et l’économie. Cela s’inscrit, par exemple, dans les aménagements urbains du xviie siècle : la place royale devient centrale alors que l’église est reléguée au second plan. D’autres phénomènes modifient le paysage, comme la démographie et les évolutions du climat. Plus anecdotique, l’auteur remarque qu’après-guerre, pour d’évidentes raisons électoralistes, les municipalités de gauche favorisent les ensembles collectifs, tandis que celles de droite privilégient l’habitat pavillonnaire.

Toutefois, si le paysage change, certaines permanences sont remarquables. Notons la persistance du modèle romain, des colonies de l’Antiquité à la colonne de la place Vendôme, en passant par l’urbanisme de la Renaissance. Les traces du christianisme sont également majeures. L’idée de « ville nouvelle idéale » est récurrente, tout comme son échec relatif. Enfin, les influences étrangères sont continuelles, particulièrement celles venues d’Italie et d’Angleterre. Les vignobles de Bordeaux, les toits des usines ou les stations balnéaires doivent énormément à l’influence britannique. Dans le dernier chapitre, l’auteur s’interroge sur la banalisation du paysage national et international. Il y voit notamment une incapacité des urbanistes à envisager les différences culturelles ainsi qu’une confiscation de la créativité par les ingénieurs et l’administration. Un livre qui encourage à se réapproprier le paysage.

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À propos de l’auteur
Laurent-Sébastien L'Huillier

Laurent-Sébastien L'Huillier

Agrégé d'histoire, professeur au lycée Jeanne d'Arc de Mazamet.
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