Recyclage des textiles : un costume trop grand pour Refashion ?

30 juillet 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : (c) Pixabay

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Recyclage des textiles : un costume trop grand pour Refashion ?

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Dégonflée par l’intervention in extremis de l’État, la crise ouverte entre Le Relais et Refashion, deux acteurs majeurs du recyclage de vêtements en France, témoigne des difficultés d’un système à bout de souffle. Ces tensions mettent aussi sur le devant de la scène le rôle et la gouvernance de l’éco-organisme, dont les membres – les marques françaises d’habillement – sont à la fois contributeurs et gestionnaires. Un conflit d’intérêts qui paralyse le secteur, tout en détournant opportunément l’attention sur les seuls géants chinois de la « fast fashion ».

« On ne va pas se laisser mourir sans rien dire ». Pour Emmanuel Pilloy, le président du Relais France, la benne à vêtements est pleine. Le patron de la fédération d’entreprises de tri, réemploi et recyclage des textiles, linges et chaussures (TCL) a fait, le 15 juillet, part de son ras-le-bol, alors que certaines des antennes locales du Relais organisaient le même jour un happening aux quatre coins de la France. Des tonnes de textiles ont ainsi été déversées devant des magasins Décathlon ou Kiabi. La collecte des vêtements de seconde main a par ailleurs été interrompue pendant une dizaine de jours, avant de reprendre le 24 juillet.

Comme les Français ont pu le constater par l’amoncellement de sacs de vêtements non ramassés au pied des fameuses bennes blanches, Le Relais et ses plus de 22 000 conteneurs se sont, en quelque sorte, mis en grève. Un moyen d’alerter sur la situation financière exsangue du réseau, qui est, comme l’ensemble de la filière recyclage, confronté à une crise systémique. Mis en place au début des années 2000, le modèle économique sur lequel repose Le Relais semble, en effet, proche de l’asphyxie. Et l’entreprise, issue du mouvement Emmaüs, est au bord de la cessation de paiement. Comment en est-on arrivé là ?

L’État intervient pour régler la crise… pour le moment

La filière du recyclage textile repose sur deux ensembles d’acteurs interdépendants.

D’un côté, les entreprises de la collecte, du tri et du recyclage, comme Le Relais – qui assure, à lui seul, de 60% à 70% du volume textile traité en France. De l’autre, un éco-organisme agréé par l’État : baptisée Refashion, cette société privée à but non lucratif perçoit l’éco-contribution de 3 centimes prélevée sur chaque produit textile acheté par les consommateurs français. Une partie (0,8 centime) du montant de cette taxe est reversée aux acteurs de la collecte, comme Le Relais, pour mener leurs missions à bien.

Si ce système a plus ou moins bien fonctionné pendant des années, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Pour absorber un volume de textile en constante augmentation, Le Relais demandait que Refashion double sa rétribution, en la faisant passer de 156 à 304 euros par tonne de vêtements usagés. Face au refus catégorique de Refashion, Le Relais a joué la carte du rapport de force jusqu’à ce qu’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, n’intervienne en décidant de couper la poire en deux. Ce sera donc 223 euros la tonne, et ce grâce à un soutien exceptionnel de l’État, qui mettra 49 millions d’euros sur la table pour sauver, du moins jusqu’à l’année prochaine, la filière du naufrage.

Latent, le conflit d’intérêts à la tête de Refashion est-il encore tenable ?

L’affaire pourrait, vue ainsi, en rester là. Or, les tensions sur le marché français du recyclage textile, en apparence résorbées par l’intervention de l’État, sont en réalité révélatrices d’une crise bien plus profonde. Systémique même. Et ce pour une raison simple – et contre-intuitive : la gouvernance de Refashion, l’organisme chargé de gérer la fin de vie des produits textiles, a été confiée… aux enseignes phares du secteur, comme Kiabi, Célio, C&A, Eram, La Redoute ou Décathlon. Ce sont donc ces marques qui ont, initialement, refusé d’augmenter la rétribution due aux entreprises de collecte ; et, logiquement, devant les points de vente de ces mêmes marques que les salariés du Relais ont déversé, mi-juillet, des tonnes de vêtements usagés.

Ces dizaines de millions de vêtements ne tombent pas du ciel. Ils sont le produit, ou plutôt le sous-produit, de la « fast fashion ». C’est du moins l’explication avancée par les marques françaises qui assurent la gouvernance de Refashion : la hausse exponentielle du volume de textile à recycler serait de la seule responsabilité de leurs concurrentes asiatiques. Un raisonnement qui passe sous silence le fait que ces mêmes enseignes françaises sont, elles aussi, assujetties à la redevance sur chaque produit vendu ; celles-ci font, tout autant que les géants chinois qu’elles se plaisent à pointer du doigt, partie du problème.

Et, paradoxalement, de la « solution », puisque les Kiabi et autres Etam assurent la gouvernance d’un organisme, Refashion, dont l’une des prérogatives est de déterminer le montant de la redevance… à laquelle ils sont eux-mêmes assujettis. Une forme de conflit d’intérêts latent qui vient, en quelque sorte, d’être exposé au grand jour avec le refus de Refashion – et donc des enseignes tricolores qui composent sa gouvernance – d’augmenter la rétribution des entreprises de collecte, comme Le Relais. Et un refus d’autant moins justifiable que Refashion a, contrairement aux acteurs de la filière recyclage, les caisses pleines.

Quand le sage montre Refashion, l’imbécile regarde Shein

Refashion est en effet assis sur un trésor de guerre de 200 millions d’euros. Et même bien plus selon Emmanuel Pilloy, selon qui « ils ont en réserve quasiment six ou cinq fois la contribution de 2024 », qui s’élevait à près de 140 millions d’euros. Autrement dit, « l’argent est disponible. Il n’y a pas besoin d’en demander plus au consommateur », assure le patron du Relais. Bottant en touche, Refashion et ses adhérents déportent l’attention sur les géants chinois comme Shein, en minorant leur propre part de responsabilité dans l’inflation des volumes de textile à trier. Une stratégie de diversion peut être payante à court terme, mais délétère sur le temps long.

Car en se lavant les mains de leur propre rôle dans les difficultés éprouvées par la filière, les enseignes françaises d’habillement paralysent l’ensemble du secteur. Ce n’est pas pour rien que les salariés du Relais ont cessé de travailler ni qu’ils ont déversé des montagnes de vêtements devant ces mêmes enseignes. Alors que se profile à l’horizon 2026 une refonte en profondeur de la filière, l’immobilisme de Refashion obère l’émergence d’une véritable filière tricolore du recyclage. Sans surprise, l’espace vacant est préempté par des acteurs étrangers, comme l’américain Circ ou l’espagnol Coleo, qui ont tous deux annoncé l’ouverture prochaine d’usines de traitement des textiles dans l’Hexagone. La nature – et le monde des affaires – ont horreur du vide.

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À propos de l’auteur
Louis du Breil

Louis du Breil

Louis du Breil est journaliste et grand reporter. Il travaille sur les enjeux géoéconomiques et de sécurité internationale.

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