Alors que l’Union européenne poursuit son réarmement face au durcissement de l’environnement géopolitique, la parole d’Armin Papperger, PDG du groupe Rheinmetall, cristallise les transformations en cours au sein de l’industrie de défense.
Dans un entretien accordé au quotidien économique et financier allemand Handelsblatt le 16 avril 2025, il a estimé que le carnet de commandes potentiel de Rheinmetall pourrait atteindre jusqu’à 300 milliards d’euros d’ici la fin de la décennie, un volume inédit à l’échelle continentale.
Cette projection s’inscrit dans un mouvement plus large : selon Paperjam, Papperger anticipe que le budget européen de la défense pourrait atteindre 1 000 milliards d’euros à l’horizon 2030, dont la moitié serait consacrée à l’investissement. Rheinmetall, qui capte actuellement près de 18 % des dépenses d’équipement, ambitionne de porter cette part à 25 %. Cette ambition repose sur l’accélération de la production de munitions, d’artillerie et de blindés, ainsi que sur la consolidation de la chaîne d’approvisionnement stratégique.
L’Allemagne veut produire davantage
Le site d’Unterlüß (l’usine où Pappergera commencé sa carrière chez Rheinmetal), en Basse-Saxe, est devenu un symbole de cette montée en puissance. Un investissement de 600 millions d’euros y a été engagé pour porter la production annuelle d’obus à 350 000 unités, contre 200 000 précédemment. Rheinmetall y fabrique principalement des obus de 155 mm, standard de l’OTAN, dans plusieurs variantes : notamment le DM121, projectile explosif de nouvelle génération destiné à la Bundeswehr, et le M107, obus classique encore largement utilisé. L’ensemble des composants – projectiles, charges explosives, charges propulsives, fusées – sont produits sur place, garantissant une autonomie complète de la chaîne industrielle. L’objectif global affiché par le groupe est d’atteindre une capacité de production de 1,1 million d’obus 155 mm par an à l’échelle européenne d’ici 2027.
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Papperger souligne que « la hausse des budgets de défense dans de nombreux pays européens, ainsi que la volonté de constituer des stocks à long terme, transforment structurellement le paysage industriel ». Il ne s’agit plus d’une phase conjoncturelle, mais bien d’un changement de paradigme, imposant aux industriels de nouvelles responsabilités stratégiques en matière de planification capacitaire.
Accroître les efforts budgétaires
Dans un entretien accordé à Bloomberg en janvier 2025, Papperger a également salué la pression exercée par Donald Trump sur les alliés européens pour accroître leurs efforts budgétaires en matière de défense, la qualifiant de « bénéfique » pour l’industrie. Cette position reflète une lecture pragmatique de l’évolution des rapports transatlantiques, et souligne la nécessité pour l’Europe de renforcer sa souveraineté capacitaire, en misant sur une industrie autonome et réactive.
Ce mouvement ne va pas sans tensions. Dans une déclaration relayée par Defence Blog, Papperger a pointé les retards bureaucratiques en Ukraine, où Rheinmetall peine à mettre en place ses unités de production avec la rapidité observée en Allemagne. Ce constat met en lumière la nécessité d’une simplification des procédures et d’une coordination intergouvernementale renforcée, conditions essentielles à l’émergence d’une base industrielle de défense européenne efficace et durable.
Ces déclarations s’inscrivent dans une tendance de fond : l’industrie de défense ne se limite plus à la production d’équipements. Elle participe désormais à la définition même de la stratégie européenne, en intégrant les exigences de volume, de rapidité et de résilience logistique. Le cas Rheinmetall illustre la transition d’un acteur industriel vers un acteur stratégique central, au cœur d’une économie de défense désormais pensée à l’échelle continentale.
Une entreprise en croissance
Armin Papperger est ingénieur de formation. Il a rejoint Rheinmetall en 1990, où il a occupé différents postes de direction dans les divisions systèmes d’armement et munitions, avant d’accéder à la tête du groupe en 2013. Sous sa direction, Rheinmetall a opéré un recentrage majeur sur les activités de défense, tout en se positionnant comme un acteur clé de l’autonomie stratégique européenne. Il est aujourd’hui l’une des figures les plus influentes du secteur, à la fois porte-parole de l’industrie et stratège industriel.
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Sous sa direction, Rheinmetall est entré dans l’indice DAX à compter du 20 mars 2023. Cette inclusion reflète l’augmentation spectaculaire de la valeur du groupe depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Entre l’automne 2021 et le printemps 2024, l’action de Rheinmetall AG a été multipliée par plus de cinq, dans un contexte de croissance rapide de la demande en équipements militaires. Le chiffre d’affaires et les bénéfices du groupe ont eux aussi fortement augmenté.