Rockefeller, l’inventeur de la philanthropie

7 janvier 2020

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Photo : La cathédrale de Reims, dont la restauration a été en partie financée par Rockfeller (c) Sipa SUPERSTOCK45558021_000001
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Rockefeller, l’inventeur de la philanthropie

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La philanthropie est une activité qui a toujours existé. Entre action bienfaitrice, intérêts politiques, étatiques et personnels, la mission Rockefeller au début du XXe siècle s’immisce dans les rouages d’un système médical français encore timide.

Depuis Pasteur et la victoire sur l’infection, l’heure est à la prévention. La vaccination devient un enjeu majeur des politiques de santé publique. Celles-ci cherchent à combiner campagnes d’information et adoption de mesures contraignantes ; mesures auxquelles la fondation se greffer. À mi-chemin entre l’action privée et publique, la fondation Rockefeller, créée en 1913, représente une des multiples facettes du soft-power américain.

La philanthropie au début du XXe siècle

La fondation Rockefeller ne représente alors qu’une infime partie des multiples organisations intervenant en Europe : La Croix-Rouge américaine, les Filles de la Révolution américaine, l’Église de la science chrétienne et l’Armée du Salut. Des commissions sont montées à leurs côtés pour une meilleure gestion des dons, allant de la collecte réalisée par le professeur d’une école au comité organisé à l’échelle d’une ville ou d’un État.

Les exactions allemandes en Belgique et dans le nord de la France, la campagne de presse qui s’en suit, donnent à la Commission for Relief in Belgium de vastes fonds à redistribuer et investir. Elle coopère avec la fondation Rockefeller, qui, au-delà de l’octroi des dons, mène dès 1914 des opérations en collaboration avec la Croix-Rouge américaine et les YMCA (Young Men Christian Association) par le biais de sa propre War Relief Commission.

En 1917, l’entrée en guerre des États-Unis marque la fin du travail de la commission Rockefeller en Europe : considérant que son travail proprement humanitaire était le même que celui de la Croix-Rouge américaine, la fondation décide de donner à celle-ci 5millions de dollars pour poursuivre ses activités et se désengage définitivement de ce type d’action humanitaire. Au total, c’est plus de 22 millions de dollars qu’elle aura dépensés en Europe entre 1914 et 1919.

La fondation reste néanmoins dans l’ombre des plus grandes organisations philanthropiques de l’époque.

Un tournant dans l’histoire de la philanthropie avec Rockefeller

L’heure est au renouvellement. À la distribution de vêtements se substitue la mise en place d’ateliers assurant eux-mêmes la production. Le court terme cède sa place au long et la fondation compte mener à bien une mission plus qu’ambitieuse : celle de la promotion de l’avancée scientifique et technologique. Pas de gâchis de ce côté-ci : on offre leur place aux chercheurs belges, chassés par l’avancée allemande dans les laboratoires britanniques, et des hôpitaux « expérimentaux » voient le jour aux quatre coins de l’Europe.

La couleur de l’action Rockefeller en matière de santé publique est annoncée. La France devient ce grand hôpital expérimental où se croisent spécialistes, chercheurs et scientifiques de l’ancien monde comme du nouveau.

Du Rockefeller Institute for Medical Research émergent des personnalités comme le Français Alexis Carrel (prix Nobel de médecine et de physiologie en 1912) qui, émigré aux États-Unis, est chargé par le sous-secrétaire d’État à la guerre d’organiser un hôpital pour tester de nouvelles méthodes de soin, notamment s’agissant des plaies infectées. Débute alors une collaboration avec Henry Dakin, chimiste anglais, à Compiègne, au Rond Royal, où s’expérimente l’application d’antiseptique sur les plaies avant de les refermer ; méthode qui s’impose dès 1916 auprès des autorités militaires et des médecins jusqu’à la fin de la guerre. Cet hôpital de campagne forme ainsi des médecins et infirmières qui transmettent la nouvelle pratique dans de nouveaux établissements.

La fondation Rockefeller ne se limite pas à l’apparition de personnalités comme Alexis Carrel. Elle entreprend dès l’été 1917 une grande action contre la tuberculose : la première campagne nationale de santé publique entreprise en France.

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La France est l’un des tout derniers pays européens à se rallier au vaccin avec la loi Bourgeois (1902). Il est repris pour protéger les populations contre un certain nombre de maladies infectieuses à mesure que des vaccins étaient mis au point. La réticence du public est assez forte, et le seul vaccin rendu obligatoire en France avant le deuxième conflit mondial reste celui contre la diphtérie (1938).

Pour autant, le pays ne semble pas démuni en matière de politique de santé publique. Le système est efficace au niveau municipal, mais ne l’est pas à l’échelle globale. Les règles d’hygiènes imposées aux Français par la loi de 1902 se retrouvent freinées par le bureau d’hygiène de chaque commune, une partie des médecins qui voient d’un mauvais œil l’implication des pouvoirs publics dans les questions de santé et la concurrence qu’ils risquent d’instaurer avec la pratique privée, et enfin une double méconnaissance de la tuberculose perçue par beaucoup comme héréditaire et dont les travaux sérieux à ce sujet sont mis de côté, car effectués par un allemand (Koch). À l’inverse, la campagne militaire de Cuba (1898), donne de l’avance aux États-Unis en ce début de siècle sur les questions d’hygiène.

La politique de santé publique en France : une étape parmi d’autres dans le plan Rockefeller

Face au problème de vision nationale et de coordination de la part des autorités publiques françaises, Rockefeller créée des dispensaires, laboratoires d’analyse, comités locaux, départementaux et nationaux. La création d’un maillage national s’accompagne d’une formation pour le personnel médical aux techniques de lutte contre la maladie encore méconnue. Enfin, l’information et la sensibilisation de la population sont mises à l’honneur aux moyens de la campagne de presse nationale. Des camions parcourent la France transportant affiches, tracts, brochures, bandes dessinées, etc. que l’on distribue dans tous les lieux publics et que l’on commente dans les écoles, les ateliers et les administrations, les émissions de radio, les représentations de cinéma : le scepticisme général du corps médical français doit céder.

En se spécialisant dans la lutte contre la tuberculose, la fondation Rockefeller créée deux groupes complets de dépistage et de prophylaxie (ensemble de mesures prises pour prévenir la maladie), un dans le XIXe arrondissement de Paris, pour donner un modèle urbain, l’autre dans l’Eure-et-Loir, comme modèle d’organisation départementale et rurale. L’expérimental Rockefeller en France se destine alors à être répandu et pratiqué dans l’Europe entière. Inaugurée en 1923, l’École de Lyon en est l’illustration parfaite. Dirigée par Hélène Mugnier et Georgette Bauer, l’établissement porte les ambitions européennes de la fondation. La France constitue pour Rockefeller une grande zone pilote pour tester la faisabilité d’un projet d’organisation d’administrations sanitaires susceptible d’être étendu à l’Europe. En 1917, le projet philanthropique doit évoluer, c’est pourquoi la commission antituberculeuse est transformée. À sa dissolution, la fondation Rockefeller rétrocède l’ensemble de sa logistique au Comité National de Défense contre la Tuberculose qui pérennise son action. La commission intègre parmi ses membres des Français et est laissée entièrement entre leurs mains en 1923. La fondation n’impose rien, elle greffe ses objectifs à la situation médicale française et laisse aux « indigènes » français petit à petit, la gestion de ces structures. La guerre, la sensibilisation à la tuberculose, si elles n’entraînent du moins influencent la création du ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale en 1920.

Pour autant, la commission Rockefeller ne détourne pas son regard des débats relatifs à la question médicale française : elle influence, finance et soutient. Lors des années 1920, Rockefeller suggère une réalisation d’enquêtes dans les départements pour déterminer les besoins au cas par cas et multiplie ainsi les initiatives destinées à faire modifier la loi de 1902 et à instaurer une administration centralisée de la santé publique, centralisation à laquelle Paul Strauss, ministre de l’hygiène sous Poincaré, se montre réticent. Rockefeller continue également de financer jusqu’aux années 1930 des organisations telles que l’ONHS (Office National de l’Hygiène Sociale) par des fonds toujours supérieurs à ceux des autorités françaises.

La fondation met enfin en place un dispositif particulier offrant des bourses aux membres de l’ONHS pour confronter leurs expériences avec les pratiques étrangères médicales de Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie, etc. Rockefeller veut une insertion de telles organisations françaises dans les réseaux internationaux afin de lancer ou renouveler les échanges scientifiques et politiques internationaux sur le modèle américain expérimenté.

Un moyen pour Rockefeller de redorer son blason, corriger l’image négative attachée à son nom, symbole par excellence d’un capitalisme sauvage ? Probablement. Mais au-delà de l’image, Rockefeller porte haut et fort les couleurs des États-Unis. Arriver à imposer à l’école française des débuts du XXe siècle les standards médicaux américains, c’est faire preuve de prestige.

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Rockefeller défend les valeurs américaines de paix, de démocratie et d’ouverture des frontières. George Vincent, président de la fondation, place implicitement l’action de son œuvre dans une lignée remontant à l’Humanisme de la Renaissance et aux idées des Lumières. La fondation se perçoit alors comme gardienne d’un modèle à apporter au monde. Ce messianisme finalement très américain, ce souci du « bien-être de l’humanité », est en même temps poussé par des formes de concurrences implicites, avec des organismes comme la Croix-Rouge, dans leur lutte commune contre la tuberculose dans les années 1920.

 

 

 

 

 

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À propos de l’auteur
Guillaume Sanzey

Guillaume Sanzey

Étudiant en école de journalisme
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