À sa manière, le rugby a marqué la période actuelle de l’après-pandémie. C’est en Nouvelle-Zélande que le sport a repris pour la première fois depuis l’arrêt des compétitions, dans des conditions normales et en direct à la télévision. Une fois encore, le rugby se singularise. Ce « sport de voyous joué par des gentlemen » aime décidément se démarquer des autres, même à l’heure de la mondialisation.
Historiquement, le rugby est un sport qui s’est implanté dans des pays de culture occidentale. Il a pris ses marques outre-Manche, en Angleterre et dans les autres pays du Royaume-Uni. En France, c’est dans la seconde moitié du XIXe siècle qu’il s’impose dans les villes. Les Britanniques ont ensuite joué un rôle d’ambassadeurs de l’ovalie, l’exportant dans les milieux occidentaux du Commonwealth, que sont en particulier l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ainsi qu’en Afrique du Sud. Dans ce pays, le rugby n’est pratiqué que par les Blancs tant que l’apartheid est en vigueur. À la Coupe du monde 1995, les Springboks ne comptaient dans leur rang que l’ailier Chester Williams comme noir. Le milieu universitaire à l’anglaise permet au sport de se développer, mais il reste cantonné à ces pays de culture anglo-saxonne jusqu’à la professionnalisation de 1995.
Une culture du rugby en pleine mutation
Les années 2000 sont marquées par une première phase de changement de dynamique. D’abord, en Europe, et dans les pays de l’hémisphère sud, les clubs professionnels se calquent sur le modèle du football. On voit ainsi la coupe d’Europe et le Super rugby(1) prendre beaucoup d’importance. Ensuite, de nouveaux pays émergents dans la discipline au plus haut niveau international. Il en va ainsi de l’Italie qui intègre le tournoi des V nations en 2000, la compétition devenant alors le tournoi des VI nations. Dans l’hémisphère sud, il faut attendre 2004 pour que l’Argentine soit réellement prise au sérieux à la suite d’une tournée d’été réussie. Elle parvient même à la troisième place à la Coupe du monde 2007, intègre le Rugby Championship en 2012(2), et crée une province pour le Super rugby en 2016, les Jaguares. Enfin, dans les îles du Pacifique, notamment aux Fidji, le rugby est le sport phare.
Depuis une dizaine d’années, le rugby mondial est en pleine expansion et poursuit de belles perspectives. L’Asie est évidemment le terrain de prédilection phare pour World rugby, la fédération internationale, qui entend y développer son marché. À part le Hong-Kong 7’s et le rugby au Japon, le continent est assez vierge de ce sport. Le Japon est déjà une figure de proue qui prend beaucoup d’importance : entre de bons résultats en Coupe du monde(3), l’organisation de la compétition en 2019, et un championnat regorgeant de grandes stars(4), le rugby s’installe durablement au pays du Soleil levant. Dans d’autres pays comme la Géorgie, le rugby est en chantier. Mais il a du mal à s’y établir fortement, car le championnat est encore trop peu attractif et souffre de l’exode des joueurs qui partent dans les clubs de Top 14 et Pro D2(5), où les salaires sont bien meilleurs.
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Le nouvel eldorado ?
À l’instar des Géorgiens, les clubs professionnels font de plus en plus appel aux étrangers pour garnir les rangs de leurs clubs. Bien qu’il y ait une politique de remise en question de ce phénomène, il reste institutionnalisé. Ainsi, de nombreux clubs font le choix d’installer des académies à l’étranger, à l’image de Clermont qui a des partenariats avec la fédération géorgienne, ou des académies aux Fidji. Là-bas, on voit le rugby professionnel comme un moyen d’émancipation pour toute la famille, car les salaires sont souvent envoyés au pays. Depuis l’avènement du rugby professionnel, on assiste ainsi à une internationalisation des effectifs des clubs professionnels. Cela se traduit dans les équipes nationales qui, au plus haut niveau, n’hésitent pas à faire appel à des joueurs au passeport étranger(6)… Enfin, les clubs de rugby et leurs centres de formation ont décidé en Europe d’élargir leur politique de recrutement : les quartiers défavorisés de banlieue sont désormais des cibles de choix et certains joueurs issus des quartiers brillent parfois au plus haut niveau (Yacouba Camara, Mathieu Bastareaud, Maro Itoje).
L’avenir du rugby est assez prometteur et les perspectives économiques pourraient conduire à de nombreux changements
Toutefois, le rugby n’est pas un sport mondialisé comme peuvent l’être d’autres disciplines a priori moins importantes comme le volley ou le handball. Preuve en est, World rugby, la fédération internationale, compte à peine 120 nations membres, alors que ce sont 214 pour la fédération internationale de basketball. Pourtant, tout porte à croire que le ballon ovale a de très beaux jours devant lui, ce qui passera indéniablement par le rugby à 7.
L’importance du rugby à 7 dans le développement de l’ovalie
L’avenir du rugby à l’échelle mondiale passera par le rugby à 7. Il est devenu en 2016 une discipline olympique. Plus facile d’accès et surtout plus spectaculaire, certains pays préfèrent investir dans le rugby à 7 plutôt qu’au classique rugby à 15, dans l’optique de briller à l’échelle internationale lors des Olympiades. On peut par exemple citer les États-Unis qui peinent à s’imposer dans le rugby à 15 avec un championnat en demi-teinte et une équipe nationale habituée à des résultats très moyens en Coupe du monde(7). À l’inverse, l’équipe de rugby à 7 américaine performe au plus haut niveau, portée par Perry Baker et Carlins Isles, meilleurs marqueurs d’essais lors des précédentes saisons. À l’image des Américains, d’autres pays comme la Chine, le Kenya, la Russie, l’Espagne ou le Chili font ce choix d’investir massivement dans le rugby à 7. De même que le rugby à 7, le rugby féminin et les événements de compétition internationale des jeunes espoirs prennent une place croissante.

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Un domaine économique porteur
Le rugby est un domaine économique qui est en pleine croissance. En 2019, les prévisions pour la Coupe du monde estimaient qu’elle apporterait 1,8 milliard d’euros au Japon. Évidemment, à ce prix-là, les nations se disputent pour organiser la compétition phare, chaque événement étant plus lucratif que le précédent. Les contrats avec les fournisseurs de bière sont particulièrement importants. Une étude a révélé qu’au cours des événements de rugby comme la Coupe du monde, le spectateur moyen consomme six fois plus de bière que le spectateur moyen d’un match de la Premier League de football anglaise !
Les droits télévisés font également l’objet de contrats aux sommes importantes. En Top 14, par exemple, le montant des droits TV attribués à Canal Plus est de 97 millions d’euros en moyenne par saison sur la période 2019-2023. De son côté, TF1 a déversé pas moins de 45 millions d’euros pour obtenir les droits de l’intégralité des matchs de la Coupe du monde 2019. Il faut dire que de tels événements sont de véritables succès. L’avenir du rugby est assez prometteur et les perspectives économiques pourraient conduire à de nombreux changements.
C’est ainsi qu’un débat de fond anime actuellement l’ovalie et un remaniement des compétitions internationales est motivé par ce qui pourrait bien être la poule aux œufs d’or. En effet, des projets évoquent l’arrivée de l’Afrique du Sud ou du Japon dans le mythique tournoi des VI nations, compétition intrinsèquement européenne. Attention à ne pas dénaturer ce sport dont la tradition est bien importante, car, pour reprendre La Fontaine, « l’Avarice perd tout en voulant tout gagner »(8)… Le modèle du sport business semble se prêter au rugby comme le montre la réussite des compétitions de clubs comme le Top 14 ou la Coupe d’Europe. Il est toutefois difficile de penser qu’un tel modèle fasse l’unanimité sur la scène internationale.