Super Mario prend les rênes de l’Italie

18 février 2021

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Italy's Premier Mario Draghi addresses the Senate in Rome Wednesday, Feb. 17, 2021. (Yara Nardi/Pool via AP)/ROM130/21048722368144/POOL PHOTO/2102172107
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Super Mario prend les rênes de l’Italie

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Après Mario Monti arrive Mario Draghi, l’homme du whatever it takes – quoi qu’il en coûte. Ses partisans disent que sans cette inflexibilité qu’il démontra à la tête de la Banque Centrale européenne la zone euro aurait été diminuée, beaucoup de pays, y compris l’Italie, auraient quitté ladite zone. Sauveur un jour, sauveur toujours. Il est maintenant appelé à stabiliser la nation italienne, gangrenée par une pandémie inédite.

 

Le professeur universitaire a résisté une fois, pas la deuxième. Giuseppe Conte a débuté sa carrière politique comme le point d’union entre la Lega de Salvini et le Movimento Cinque Stelle de Luigi di Maio. Quand Salvini a voulu rompre le pacte entre les deux mouvements politiques pour forcer les élections il a été surpris par le retournement des Cinq Étoiles : après une campagne très âpre contre le PD (Partito Democratico) la nouvelle force populiste s’allia avec ce centre gauche européiste. Ce retournement a surpris bien au-delà de Salvini et les siens, dans le PD et dans le M5S la surprise fut également présente. Ladite volte-face doit être comprise comme un bouclier face à la chute de popularité du parti dans le pays ; Di Maio n’a jamais rivalisé avec Matteo Salvini en termes de personnalité vibrante et magnétique, ainsi le Mouvement avait la majorité des voix, mais la Ligue gagnait des voix chaque jour pendant que le Mouvement les voyait partir.

Conte dehors, la victoire posthume de Renzi

Pour faire le pont entre les nouveaux partenaires de gouvernement, les hommes de Di Maio ont proposé le même professeur, une figure tranquille et sympathique aux yeux des Italiens ; le Parti démocrate a accepté cette proposition. Du gouvernement giallo-verde (jaune-vert) au gouvernement giallo-rosso (jaune-rouge), Giuseppe Conte commençait à devenir un politicien comme les autres, un fin tacticien.

 

Entre-temps Mattéo Renzi n’a pas accepté de perdre le contrôle du PD. Ainsi, il a décidé de faire une scission et de créer Italia Viva. Il n’a jamais accepté non plus l’importance croissante de Conte, les deux hommes ne s’aimaient point, leurs personnalités étant incompatibles. C’est le processus déclenché par Renzi, en janvier 2021, qui va aboutir au renoncement de Conte, malgré ses victoires dans le vote de confiance (fiducia) à la Chambre et au le Sénat. Nonobstant le fait que la majorité dans le dernier fut seulement relative.

 

La promesse Draghi ou la continuité entre l’Italie et l’Allemagne

 

Le prix du consensus politique en Italie est la délégitimation du jeu parlementaire. Avoir des partis assez différents, voire opposés qui s’associent jette un doute chaque fois plus grand aux votants. Ils se demandent à quoi bon voter pour une opposition si celle-là se soumet au gouvernement. Le chef des dissidents des Cinq Étoiles s’écarta du nouveau consensus. Di Battista a été clair : il ne peut pas partager une entente avec les partis que le Mouvement a toujours combattus, on pense notamment à Forza Italia de Silvio Berlusconi. Le risque de division au sein du M5S s’agrandit, nous pourrions voir une séparation entre les européistes, institutionnalistes et pragmatiques face aux souverainistes, sociaux et populistes.

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Les Italiens ont l’habitude de classifier un gouvernement comme politique (politico) ou technique (tecnico). Celui de Draghi essaie de fusionner les deux, ayant des ministres issus des partis, donc il serait politique, mais, en même temps, des ministres technocrates sans affiliation claire, donc il serait également technique. Pourtant, le gouvernement se présente comme politique pour augmenter sa réputation et légitimité. Au maximum le gouvernement sera mixte, jamais seulement politique ; Mario Draghi ne fut pas élu, il fut choisi par le Président Sergio Mattarella. Cela provoque une appréhension chez ceux qui méconnaissent le système italien, en fait le Président de la République italienne peut nommer lui-même le Premier ministre[1], sans que celui-ci soit forcément un élu.

 

Encore une fois l’Histoire nous prouve l’intimité entre l’espace italien et le germain. Des parties importantes des deux espaces ont été longtemps réunies sous le Saint-Empire. Le rassemblement extrêmement large contenant le grand parti de droite et le grand parti de gauche en Allemagne est maintenant suivi par une coalition aussi large en Italie. Cela démontre tout simplement que l’exportation du parlementarisme britannique n’a pas suffi pour que les pays continentaux puissent saisir sa véritable portée. Le parlementarisme doit vouloir un gouvernement fort et majoritaire et une opposition également puissante et unie, prête à agir rapidement et prendre le pouvoir si nécessaire. Les configurations italienne et allemande de 2021 nous montrent une opposition assez maigre et presque tout le monde dans le gouvernement ou à l’appuyer – une contorsion immense à l’idée de parlementarisme. Chaque nation a son génie propre, importer un modèle de l’étranger ne reproduira jamais la même réalité pour l’État récepteur, les modalités cisalpine et prussienne ne sont pas les anglo-normandes.

 

La conséquence en Italie de la défaite de Trump

 

La grande surprise est le soutien donné par la Ligue à Mario Draghi, tout le reste ne sort pas des clous – l’appui de Berlusconi et compagnie à la solution Draghi était prévisible et prévu. Pourquoi ce changement de la Ligue? Que se passe-t-il dans la tête de Salvini ?

 

Le repositionnement de Salvini est une réponse à la victoire de Joe Biden aux États-Unis. Les plaques tectoniques de la géopolitique mondiale bougent, le populisme reçoit un coup dur et doit se réorganiser. La chasse aux sorcières démarre. Salvini n’est pas le seul à l’avoir compris, Jair Bolsonaro, au Brésil, se centralise lui aussi. Mais en Italie (comme en Espagne d’ailleurs) un parti ne peut pas se prosterner devant l’autel unitaire.

L’opposition ne sera pas seulement faite par Di Battista, à droite Giorgia Meloni et les Fratelli d’Italia n’abandonneront pas le flambeau. Il faudra rappeler qu’en Italie le pragmatisme est plus grand qu’en France, Forza Italia, Lega et Fratelli peuvent être désunis nationalement, mais converger régionalement pour présenter un candidat commun de droite.

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Salvini peut soutenir Draghi pour ne pas laisser l’ancien patron de la BCE dans les mains de la gauche. Il a dit récemment lui-même que seule la mort est irréversible, l’euro ne l’est pas. Cette tirade eut la prompte réponse de Draghi ; ceux qui soutiennent son gouvernement doivent croire que l’euro est irréversible. L’européisme est d’abord une croyance, il faut croire. Première fissure entre les deux hommes? Oui, mais jusqu’à quel point ? Salvini possède une habilité de jongleur, sa flexibilité est incomparable – aller d’une campagne qu’avait comme étendard Basta Euro il y quelques années à soutenir le sauveur de la monnaie unique, quelle agilité enviable.

Mario Draghi a déjà donné le mot d’ordre, le chemin est unique : une Europe de plus en plus intégrée.

Le populisme dans la tempête

 

À gauche Podemos et le Mouvement Cinq Étoiles se sont embourgeoisés, ont goûté la douceur du pouvoir, ont fini par se convertir. Maintenant ils adorent ce qu’ils avaient brûlé et brûlent ce qu’ils avaient adoré. La Ligue se responsabilise en soutenant Draghi, elle suit le chemin des concessions comme son partenaire français, le Rassemblement national. Pourtant, l’Europe possède deux mouvements extrêmement courageux et dissidents, ils émanent leurs énergies de deux villes épiques du vieux continent, Rome et Madrid.

Santiago Abascal, timonier de Vox, sait trop bien que les concessions mèneront à l’éclatement de sa précieuse Espagne. Giorgia Meloni, championne des Frères d’Italie, demeure convaincue que l’Europe intégrée dont ils parlent sera gérée par le Rhin, et méprisera éperdument le sud.

L’option de Salvini ne peut être seulement comprise compte tenu de l’élection nord-américaine, elle doit aussi contenir des données spécifiquement nationales. Les deux plus saillantes sont l’essence intime de son parti et la puissance de ses barons. On oublie trop vite que le parti débuta comme régional et que pendant la majorité de son existence il ne fut jamais national, cela remonte à l’ère Salvini. Il est donc compréhensible que le souci national soit moins ancré dans les structures du parti et dans beaucoup de ses militants, malgré sa croissance fantastique dans le centre et dans le sud de la péninsule.

Ajoutons que les barons (par exemple Giancarlo Giorgetti, maintenant ministre du Développement économique de Draghi, ou Luca Zaia, président de la Vénétie) ont un poids significatif dans les positions du parti, et ils mobilisent la partie la plus aisée de son électorat. Le problème maintenant pour Salvini sera d’empêcher la partie populaire de ses troupes – la plus nombreuse – de se déplacer vers les bras de Meloni.

 

Le populisme est face à un ennemi redoutable, l’Italie passe en quelques années du premier gouvernement entièrement populiste et eurosceptique au gouvernement d’un des plus grands européistes. L’incroyable ? Les deux partis – Ligue et Cinq Étoiles – du gouvernement populiste soutiennent maintenant le gouvernement Draghi. En 2021, le populisme cherche des héros, pour l’instant il paraît que les options romaine et madrilène sont plus crédibles que la milanaise et la parisienne. Personne ne l’aurait dit il y a cinq ans. L’Histoire n’est pas immobile.

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Notes

[1] En Italie le nom précis est Presidente del Consiglio dei ministri della Repubblica italiana (Président du Conseil des ministres de la République italienne), mais journalistiquement on voit beaucoup le terme il premier, et à l’étranger (en France, en Angleterre et autres) on traduit cela souvent comme Premier ministre.

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À propos de l’auteur
Alphonse Moura

Alphonse Moura

Géopolitologue, Master en sciences politiques et relations internationales.
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