Taxe au tonnage. Qui veut couler la marine marchande ?

10 octobre 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Porte-conteneurs en mer. Unslpash

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Taxe au tonnage. Qui veut couler la marine marchande ?

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La taxe au tonnage n’est pas une niche fiscale mais une méthode juste pour imposer les compagnies maritimes. Revenir sur ce dispositif reviendrait à fragiliser une filière industrielle indispensable à la puissance française.

Le gouvernement, qui sans doute juge trop compliqué de réduire les dépenses de l’État, préfère chercher de nouvelles recettes qu’il pourrait imposer au secteur privé afin de tenter d’échapper à la crise financière. Cet abandon du courage a pour effet la redécouverte de la taxe au tonnage de la marine marchande, grâce à la suggestion insistante du Rassemblement National en juillet dernier de s’en débarrasser.

Une niche fiscale ?

Ce parti juge cette taxe comme une niche fiscale pour des armateurs fortunés, et remarque, pour appuyer son propos, que sa disparition serait d’autant plus utile qu’elle favorise un secteur économique polluant. Si cette taxe était supprimée, elle serait alors remplacée par un impôt sur les résultats financiers, le même que payent toutes les autres entreprises « terrestres », si l’on peut les qualifier ainsi. Face à cette rumeur, tous les acteurs du secteur maritime français sont en émoi.

Mais d’abord, de quoi parlons-nous ? Cette taxe n’est pas nouvelle pour avoir été introduite en Grèce dès 1957. Il s’agit en France d’un régime forfaitaire dérogatoire adopté en 2003. Il s’applique aux entreprises dont le chiffre d’affaires provient pour 75% au moins de l’exploitation de navires armés au commerce. Elle est déterminée par le tonnage net d’une flotte de navires. Il s’agit donc d’une taxe de nature totalement différente de celles appliquées aux autres entreprises basées sur leurs résultats financiers.

Une taxe spécifique au commerce maritime

Cette taxe au tonnage a toujours satisfait les armateurs et ne déplait pas non plus à Bercy parce qu’elle est facile à gérer. Elle n’est fondée ni sur le volume transporté, ni sur le bénéfice d’exploitation, mais sur une variable objectivement mesurable, le tonnage net d’une flotte commerciale, certifié par des organismes indépendants. Un des objectifs de cette taxe est aussi de permettre la modernisation des performances environnementales des flottes marchandes.

Toutefois, des conditions s’appliquent pour pouvoir bénéficier de ce régime, qui n’est accordé que sur une période de 10 ans. Pour cela, au moins 25% de la flotte de l’entreprise doit être immatriculé sous pavillon européen. Il faut également que la majeure partie de l’équipage d’encadrement (cad les officiers et commandants de bord) soit basée sur le territoire national.

Ces règles de taxation au tonnage ne sont pas l’exclusivité de la France, loin de là. Elles sont aujourd’hui appliquées dans de nombreux pays, dont 23 membres de l’Union européenne. En 2023, la taxe au tonnage concernait 86% de la flotte mondiale. L’ensemble des leaders du secteur maritime sont donc très inquiets que l’on puisse toucher à cette taxe qui contribue à rendre rentable la navigation commerciale française.

Néanmoins, les conséquences fiscales de la taxe au tonnage sont complexes à évaluer puisque les prélèvements fluctuent chaque année. Pour les années 2010-2025, l’impact fiscal pour la flotte française oscille ainsi entre 15 et 200 millions d’euros.

En 2023, la taxe au tonnage concernait 86% de la flotte mondiale.

Si l’on s’est rappelé l’existence de cette taxe et l’éventualité d’en changer la nature, c’est parce que le secteur maritime a connu une forte hausse de ses profits après la crise de la Covid. La Cour des Comptes a estimé que, pour la France, le différentiel de rentrée fiscale entre la taxe au tonnage et l’impôt sur les sociétés était de 3,8 milliards d’euros en 2022. Les extrêmes ont aussitôt dénoncé des superprofits et des niches fiscales, mais ces passions fiscalistes se sont apaisées à l’aune du déclin des profits du secteur maritime, lequel est fragilisé par les crises géopolitiques qui s’accumulent et risquent d’être très longues.

Enjeu de souveraineté maritime

Très inquiets, donc, tous les grands noms du secteur maritime français se sont rassemblés et ont rédigé une tribune, le 22 juin dernier publiée par Le Journal du Dimanche.

« Nous, acteurs de la filière maritime, portuaire et logistique française, en dehors de tout engagement politique, alertons sur les conséquences stratégiques, économiques et sociales des choix qui seront faits dans les mois à venir.

Depuis le début de la campagne électorale, la taxe dite « au tonnage » fait lobjet dune incompréhension qui nourrit la polémique. Cest en réalité, depuis plus de vingt ans, limpôt des armateurs à travers le monde. Il répond aux contraintes spécifiques dune filière qui exige des investissements massifs et reste soumise aux aléas internationaux. En témoignent les nombreuses années de pertes abyssales qua connues le secteur. »

Cette tribune souligne aussi que supprimer ce régime fiscal ne permettra pas de solder les déséquilibres budgétaires de l’État. Mais cette suppression conduirait en revanche à une rupture de compétitivité des filières maritimes et portuaires françaises et « au déclin inéluctable dun pavillon français pourtant redevenu dynamique grâce à ce régime. » Cela entraînerait des répercussions négatives sur la filière industrielle navale et sur notre maillage logistique terrestre pour desservir les grandes places européennes.

Pour répondre à l’accusation de polluer les océans, les armateurs français affirment aussi que la France est citée en exemple en matière de décarbonisation du transport maritime et de ses ports. Si la taxe au tonnage était abolie, cette mesure viendrait réduire la capacité de la filière maritime à assurer sa transition énergétique dont le coût estimé s’élève à 30 milliards d’euros par an jusqu‘en 2050.

Le secteur du commerce maritime, rappellent ses principaux acteurs, est d’une   importance cruciale pour l’économie de la France et de l’Europe, mais aussi pour le monde entier. En 2023, 90 % des marchandises mondiales sont passées par la mer,  ainsi que 72 % des importations et des exportations françaises.

Le transport des personnes, des matières premières, des produits énergétiques, alimentaires, manufacturés, nos câbles de communication, sont autant d’éléments indispensable à notre quotidien, notre souveraineté et notre autonomie stratégique. Tous passent par la mer.

Par ailleurs, les activités portuaires et de transport maritime représentent 123 000 emplois directs et 400 000 emplois indirects pour une production annuelle de près de 40 milliards d’euros. Elles offrent également un avenir professionnel pour la jeunesse. La marine marchande a besoin de jeunes officiers. Il existe aussi des débouchés dans la logistique portuaire. Est-ce vraiment le moment de fragiliser le secteur alors que l’École Nationale Maritime vient de doubler ses formations ?

En France et dans les outre-mer, des familles, des villes portuaires, des territoires littoraux, du Havre à Marseille, mais aussi de Fort de France et de Nouméa, vivent de cette filière du commerce maritime.

Le transport des personnes, des matières premières, des produits énergétiques, alimentaires, manufacturés, nos câbles de communication, sont autant d’éléments indispensable à notre quotidien, notre souveraineté et notre autonomie stratégique.

Le texte des armateurs rappelle enfin que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial, et l’existence d’une flotte de commerce constitue un outil stratégique essentiel à sa souveraineté, sa prospérité et son indépendance. Comment, dans le contexte géopolitique actuel, pourrions-nous assurer notre souveraineté face à la montée en puissance d’armateurs étrangers fortement soutenus par leurs États respectifs, en Europe et dans le monde ? Comment, sans une telle flotte, pourrait-on répondre aux besoins urgents de l’État, comme cela fut le cas à de nombreuses reprises, encore récemment, dans les territoires ultramarins ?

La future représentation nationale et le gouvernement se trouveront prochainement face à un choix, avertissent les armateurs : « mettre en péril une filière stratégique et créatrice d’emplois, ou maintenir une marine marchande , une filière portuaire et logistique puissantes, au service des intérêts nationaux et du rayonnement de la France. »

Le gouvernement français veut-il couler la marine marchande ? Malgré la nécessité de remplir à nouveau les caisses de l’État, il semble impensable que cette grande industrie commerciale soit sacrifiée sur l’autel de Bercy. D’autre part, il apparait évident et juste de sauvegarder l’économie française par une action résolue en faveur de réductions conséquentes des dépenses publiques, lesquelles sont colossales. Au lieu d’écouter les extrêmes et leurs fantasmes fiscaux, le gouvernement ferait mieux d’agir avec décence et honnêteté et reconnaître que c’est au secteur public qui représente, grâce à nos impôts, plus de la moitié de notre PIB, de faire des sacrifices, et ainsi libérer enfin du poids de l’État le secteur privé, productif et créateur d’emplois.

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À propos de l’auteur
Michel Faure

Michel Faure

Michel Faure. Journaliste, ancien grand reporter à L’Express, où il a couvert l’Amérique latine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à cette zone, notamment Une Histoire du Brésil (Perrin, 2016) et Augusto Pinochet (Perrin, 2020).
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