Le roman de Gilbert Keith Chesterton Le Nommé Jeudi, paru en 1908, mérite d’être lu par tout chercheur débutant ou confirmé soucieux d’intégrer la dimension culturelle dans son analyse des complexes terroristes. Et cela pour au moins deux raisons.
Un article à retrouver dans le N60 de Conflits. Vatican. La puissance du temps long.
La première concerne l’histoire du terrorisme comme technique spécifique de communication violente qui, après son invention au cours du dernier tiers du XIXe siècle, s’épanouit dans la mouvance anarchiste (notamment londonienne) au cours des décennies suivantes. Le deuxième motif d’intérêt a trait au contexte du récit qui porte sur une période où les dispositifs policiers, au Royaume-Uni et ailleurs, commencent à s’adapter à la menace terroriste, notamment en procédant à l’infiltration des groupes considérés dangereux.
On se trouve ici face à un récit qui réunit des éléments historiques contextuels et une élaboration poétique, d’autant plus détachée des contraintes de la vraisemblance que la narration se présente dans le sous-titre comme « un cauchemar ». Pourtant, si l’on fait la part de la construction onirique du texte et des réflexions théologiques et métaphysiques qui invitent à d’autres registres de lecture, il est aisé de trouver dans ce livre bien des apports à la connaissance historique du fait terroriste. À commencer par une évocation de l’ambiance de Londres¹ au début du XXe siècle, où les cercles anarchistes de différentes nationalités sont supposés comploter en permanence contre l’ordre établi. Réalité que Joseph Conrad avait déjà décrite dans L’Agent Secret paru en 1907, donc l’année antérieure à la publication de l’ouvrage de Chesterton. Cette ambiance, qui manifeste bien le caractère à la fois politique et culturel du terrorisme, est d’autant plus intéressante que Londres avait déjà été dans un passé proche le lieu de divers attentats, sauf exceptions imputables aux Fenians, les indépendantistes irlandais.
Mais l’aspect central du récit concerne la réaction du dispositif policier face à la menace (surdimensionnée) de l’anarchisme violent. Sur ce point, il est utile de rappeler que la police britannique en est encore au tout début de son adaptation aux tâches antiterroristes, initialement sous la pression des attaques des Fenians depuis les années 1880². Et les techniques d’infiltration dans les groupes subversifs sont encore peu codifiées et encadrées légalement et suscitent bien des débats dans l’opinion publique. Ce contexte fournit la structure de l’argument du livre qui traite d’un mystérieux conseil central anarchiste, composé de sept membres, chacun portant le nom d’un jour de la semaine, et présidé par l’énigmatique Dimanche.
L’histoire s’organise autour des aventures du détective Syme, devenu Jeudi, qui découvre au fur et à mesure du déroulement de l’action que tous les autres membres du conseil sont également des policiers infiltrés et plus ou moins complètement déguisés. Avec, pour couronner le tout, Dimanche qui en plus de sa condition de chef anarchiste est le responsable de l’antiterrorisme au sein de la police locale.
Cette situation, ici désopilante et poussée à l’absurde, n’est toutefois pas extraordinaire dans sa logique opérationnelle. En effet, on dispose de plusieurs exemples historiques où une infiltration policière totale ou partielle est parvenue à dénaturer une entité recourant au terrorisme. Le cas le plus souvent mentionné étant celui des groupuscules gauchistes violents surgis en grand nombre en Italie lors du déclin des Brigades rouges dans la seconde moitié des années 1980. Ce sujet étant par ailleurs très peu traité dans la littérature scientifique pour diverses raisons, ce livre de Chesterton peut donc aussi servir d’ouverture sur cette problématique.
¹ L’aspect urbain du récit est bien mis en évidence par Katrina Gulliver, « London and the Spectre of Anarchy : Chesterton’s The Man Who Was Thursday as Urban History », Journal of Literary Studies, vol. 37, n° 3, 2021, p. 117-129.
² Voir : Lindsay Clutterbuck, « Countering Irish Republican Terrorism in Britain : Its Origins as a Police Function », Terrorism and Political Violence, vol. 18, n° 1, 2006, p. 95-118.











