Testament politique de Richelieu : en toutes choses raison garder

13 octobre 2021

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Testament politique de Richelieu : en toutes choses raison garder. Crédit photo : domaine public.
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Testament politique de Richelieu : en toutes choses raison garder

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Probablement écrit aux alentours de 1640, le Testament politique n’est pas seulement le résumé de la pensée politique du cardinal de Richelieu ou bien une simple succession de conseils abandonnés à Louis XIII à l’approche de sa mort. Il est aussi une fenêtre ouverte sur l’âme de l’homme d’État qui fut d’abord un homme d’action, un témoignage vivant de son énergie créatrice et de son génie du commandement. Son style bouillonnant d’autorité, qui s’inscrit dans l’art classique de la formule concise, fit dire à Montesquieu que Richelieu avait cette faculté de « faire des choses mémorables et de les écrire[1] ».

 

Le Testament politique est imprégné d’une logique inexpugnable qui se veut réaliste. Dans chacun des conseils qu’il donne au roi, le cardinal part de son expérience propre sur laquelle il pose un jugement. Il cherche ensuite à en déduire une loi générale ou du moins un conseil qui tend vers l’absolu. Richelieu est aussi un prêtre catholique, et les jugements qu’il pose sur la réalité sont ordonnés en vue d’une fin qui est la louange et le service de Dieu ainsi que le salut des âmes. Tout le Testament est traversé par cette teinte morale, souvent d’une exigence totale, en particulier vis-à-vis de ceux qui portent la responsabilité du bien public : « Beaucoup se sauveraient comme personne privée qui se damnent comme personnes publiques » (p. 321) écrit-il. Cette « solidité de jugement » qui est pour le cardinal l’apanage du bon conseiller, ne peut s’exprimer qu’à la lumière de la raison, ce « flambeau qui éclaire les princes en leur conduite et en celle de leur État ». Seule la raison permet au prince de recueillir toute sa force contre ses faiblesses et de mépriser les considérations particulières « qui ne doivent être de nul poids au respect des publiques » (p. 223). Rien de pire pour Richelieu que le souverain qui céderait à la pitié ou à la compassion alors même qu’il devrait être ferme à châtier ceux qui bafouent son autorité et fragilisent l’ordre de l’État. « En certaines rencontres où les particuliers feraient mal de ne pardonner pas, ceux qui sont chargés du gouvernement public seraient aussi inexcusables, si, au lieu d’une sévère punition, ils usaient d’indulgence » (p. 230). Cette différenciation morale entre le bien des particuliers et le bien commun, aujourd’hui l’intérêt général, est la clé de voute de toute sa pensée politique.

 

« En matière de crime d’État, il faut fermer la porte à la pitié, mépriser les plaintes des personnes intéressées et les discours d’une populace ignorante qui blâme quelquefois ce qui lui est le plus utile et souvent tout à fait nécessaire. Les chrétiens doivent perdre la mémoire des offenses qu’ils reçoivent en leur particulier, mais les magistrats sont obligés de n’oublier pas celles qui intéressent le public. Et, en effet, les laisser impunies c’est bien plutôt les commettre de nouveau que les pardonner et les remettre » (p. 232).

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L’homme ne change pas

Ce Testament est aussi celui d’un observateur pénétrant de la nature humaine qui sait que la nature humaine ne change pas, et que l’homme est irrémédiablement façonné par cette médiocrité qui le ronge. La faiblesse foncière de l’homme qui succombe plus volontiers à ses passions qu’il n’use de sa raison justifie l’emploi de la force et de la rigueur pour maintenir l’ordre dans la vie de la cité car « Les sujets seront toujours religieux à obéir lorsque les princes seront fermes à commander » (p. 218). L’homme qui gouverne doit composer avec la faiblesse des hommes. La nier serait faire preuve d’un irénisme déraisonnable. Par exemple, s’étonnant que les nobles ne cessent pas de se battre en duel malgré la peine de mort qu’ils encourent, le cardinal de Richelieu cherche le moyen qui les dissuaderait de cette affection déréglée. Il en déduit que « Ôter la vie à des personnes qui l’exposent tous les jours par une pure imagination d’honneur est beaucoup moins que leur ôter l’honneur et leur laisser la vie qui leur est, en cet état, un supplice perpétuel » (p. 130). Plutôt que la mort, il les menace d’une déchéance de leur noblesse. Sa logique implacable est toujours la même : observation réaliste d’un phénomène, ordonnancement de ce phénomène à la finalité qui est le bien commun de tous les membres du corps social, puis jugement pour amener l’homme pêcheur à sa juste place par le moyen de la force raisonnable de l’État.

 

« L’expérience apprenant à ceux qui ont une longue pratique du monde que les hommes perdent facilement la mémoire des bienfaits et que, lorsqu’ils sont comblés, le désir d’en avoir de plus grands les rend souvent et ambitieux et ingrats tout ensemble, elle nous fait connaître aussi que les châtiments sont un moyen plus assuré pour contenir un chacun dans son devoir, vu qu’on les oublie d’autant moins qu’ils font impression sur nos sens, plus puissants sur la plupart des hommes que la raison qui n’a point de force sur beaucoup d’esprits. Être rigoureux envers les particuliers qui font gloire de mépriser les lois et les ordonnances d’un État, c’est être bon pour le public, et on ne saurait faire un plus grand crime contre les intérêts publics qu’en se rendant indulgent envers ceux qui les violent » (p. 230). Les exécutions des conspirateurs Chalais (1626) et Cinq-Mars (1642) après leurs conspirations, ou bien celle de Montmorency-Bouteville (1627) après son duel provocateur en plein Paris, tous les trois des Grands du royaume, sont autant d’exemples phares de l’application concrète de ces mots de « l’homme rouge ».

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Des hommes et des peuples

Si Richelieu s’intéresse aux permanences de la nature humaine, il étend sa réflexion aux permanences de la nature des peuples et plus particulièrement à celles du peuple français envers lequel il n’est pas tendre : « Il n’y a point de nation au monde si peu propre à la guerre que la nôtre : la légèreté et l’impatience qu’elle a dans les moindres travaux sont deux principes qui ne se vérifient que trop » (p. 266) dit-il non sans une certaine lassitude comme on peut l’imaginer. Louis XIII lui-même écrivait à son ministre ces mots qui reviennent souvent dans la bouche des rois capétiens : « c’est une chose étrange que la légèreté des Français[2] ». Comment en effet ne pas vouer aux gémonies ces défauts chroniques des nobles français qui combattent dans les armées ennemies au rythme de ce que leur commandent leurs passions, ou bien de ces courtisans futiles qui sont prêts à mille excès sans faire preuve du moindre entendement afin de conquérir une faveur. Mais il n’y a rien de défaitiste ou de pessimiste dans le ton du cardinal. La réalité est telle qu’elle est et le politique ne cherche non pas à la modifier pour atteindre ses objectifs, mais à construire à partir d’elle. « En un mot, chaque nation a ses défauts et les plus prudentes sont celles qui tâchent d’acquérir par art ce que la nature ne leur a pas donné. Il est plus aisé d’ajouter au courage, à la vaillance et à la courtoisie des Français le flegme, la patience et la discipline, que de donner aux nations flegmatiques le feu que la naissance ne donne pas. Les Français sont capables de tout pourvu que ceux qui les commandent soient capables de bien enseigner ce qu’il faut qu’ils pratiquent » (p. 269).

 

De manière générale, le cardinal met en garde le roi contre toute volonté catégorique de réforme qui voudrait tout balayer sur son passage. En d’autres termes, les projets politiques qui visent à répondre à des problèmes réels (comme la vénalité des offices au XVIIe siècle) en coupant tout simplement à la racine de ces problèmes, et donc sans prendre en compte le poids du temps et des habitudes. Richelieu privilégie la prudence capétienne qui bâtit sur le temps long à la fougue réformatrice qui provoque des émotions populaires et peut être déstabilisatrice pour l’État.

 

« Les désordres qui ont été établis par des nécessités publiques et qui se sont fortifiés par des raisons d’État ne se peuvent réformer qu’avec le temps ; il en faut ramener doucement les esprits et ne point passer d’une extrémité à l’autre. Un architecte qui, par l’excellence de son art, corrige les défauts d’un ancien bâtiment et qui, sans l’abattre, le réduit à quelque symétrie supportable, mérite bien plus de louange que celui qui le ruine tout à fait pour refaire un nouvel édifice parfait et accompli » (p. 141).

Le cardinal et le roi

C’est cette même prudence qui l’amène à écrire ce superbe conseil à Louis XIII sur l’élévation qui doit être celle de la personne royale et son attitude vis-à-vis de ses sujets, un conseil qui résonne presque avec le poème de Victor Hugo Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites :

 

« Les coups d’épée se guérissent aisément, mais il n’en est pas de même des blessures de la langue, particulièrement par celles des rois dont l’autorité rend les coups presque sans remède s’ils viennent d’eux-mêmes. Plus une pierre est jetée de haut, plus fait-elle d’impression où elle tombe. Tel ne se soucierait pas d’être percé à jour par les armes ennemies de son maître, qui ne peut souffrir une égratignure de sa main. Ainsi que la mouche n’est pas la pâture de l’aigle, que le lion méprise les animaux qui ne sont pas de sa force, qu’un homme qui s’attaquerait à un enfant serait blâmé de tout le monde, ainsi, oserai-je dire que les grands rois ne doivent jamais entreprendre de parler mal des particuliers qui n’ont point de proportion à leur grandeur. L’histoire est pleine de mauvais événements qui sont arrivés par la liberté que les grands ont autrefois donnée à leur langue au préjudice des personnes qu’ils estimaient de nulle considération » (p. 170).

 

Toute la syntaxe et la respiration du Testament politique permettent de mesurer la révérence soucieuse et presque méticuleuse que le cardinal s’applique à témoigner à Louis XIII. Ce n’est pas un texte écrit pour lui, même s’il savait évidemment qu’il participerait à la gloire de sa mémoire, mais bien adressé au roi son maître. Cette déférence omniprésente ne relève pas simplement d’une sorte d’étiquette imposant ses codes et ses formules de langage. Elle trahit habilement une crainte tenaillante, celle du serviteur qui sait que sa situation peut basculer rapidement et que sa faveur ne dépend que de la confiance d’un homme qu’il sait d’humeur changeante. C’est la thèse de Jean-Christian Petitfils qui va à l’encontre de l’image terne voire vitreuse que l’on se fait habituellement de Louis XIII. L’historien montre au contraire que si le souverain ne change pas d’opinion sur Richelieu après l’avoir choisi comme principal ministre et épouse parfois complètement ses idées, il conserve néanmoins jalousement son pouvoir en maintenant constamment un certain niveau de méfiance en guise de rempart contre l’ambition du cardinal. Ce qui fit dire à ce dernier : « je m’estime heureux quand de quatre de mes propositions, deux sont agréables ».

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[1] Armand-Jean du Plessis de Richelieu, Testament politique, Présentation d’Arnaud Teyssier, Perrin, 2012, p. 24.

[2] Gabriel Boissy, Pensées choisies des rois de France, Éditions Bernard Grasset, 1920, p. 132.

À propos de l’auteur
Louis du Breil

Louis du Breil

Louis du Breil est journaliste.
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