Dans une vassalité acceptée, les dirigeants européens sont venus rendre hommage au roi Trump. Une cérémonie qui rappelle l’histoire médiévale de l’Europe.
J’aime beaucoup le Moyen-Âge. Toute mon adolescence fut bercée par les lectures de Jacques Le Goff ou de Georges Duby. Alors imaginez un peu ma joie de de voir retransmis en direct, quasi en mondovision pour ainsi dire, une scène de serment où des hommes-liges viennent prêter allégeance au roi Trump. Certains commentateurs politiques ont évoqué l’inanité de telles discussions, insistant sur le manque de substantialité des accords qui pourraient sortir d’une telle mascarade. C’est ne pas vouloir s’avouer l’évidence même, le synode n’avait pas pour principal but de parvenir à un quelconque accord. Pour cela, les délibérations tenues dans l’antichambre sont suffisantes pour tenter de tracer à grands coups d’équerre des perspectives plus ou moins fiables. Non, ce qui compte ici c’est l’imploration au vieux roi, la mise en scène des courtisans qui viennent plier genou et implorer magnanimité et clémence. Or une telle cérémonie nécessite de se tenir en public, on ne prête pas allégeance au fond du cellier ou dans les arrière-cours du château. Cela ne s’est jamais vu tout simplement parce que cela n’aurait aucune valeur. C’est le fait qu’il soit prêté devant témoins qui fait la valeur du serment. Et quoi de mieux qu’avoir pour spectateurs l’entièreté du globe pour réaffirmer à chacun sa puissance et sa valeur ? D’ailleurs, en homme avisé qu’il est, Trump ne s’est pas gêné de rappeler (et à moult reprises encore !) tout ce que cette cérémonie avait d’inédit. Il ne saurait avoir meilleur historiographe que soi-même.
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Trump a de ceci de merveilleux qu’il s’autorise tout. Il peut sauter du coq à l’âne sans frémir d’un sourcil. Hier, il a parlé des démocrates, du vote par correspondance, du fils de son ami qui est quatrième du tournoi de golf et qui peut à nouveau manger dans les restaurants de Washington DC sans se faire agresser, des lettres que sa femme Mélania envoie visiblement à tout va aux dirigeants de ce monde, de Joe Biden encore plus idiot maintenant qu’avant…. Bref, de tout sauf du sujet principal, à savoir la guerre en Ukraine. Pourquoi, aussi, aborder ce délicat sujet quand l’essentiel est ailleurs ? Il peut tout oser, la cour est soumise au flux décousu de ses paroles.
A historic day at the White House as European leaders joined President Trump in the Oval Office.
President Donald J. Trump is the President of PEACE. 🇺🇸 pic.twitter.com/V91JvL7K9Z
— The White House (@WhiteHouse) August 19, 2025
En lecteur rationnel que nous sommes, nous pouvons toujours interpréter les royales divagations de deux manières : Le roi s’amuse et il est parfaitement conscient de l’inanité de ses propos. Ce serait un successeur des rois bouffons, Rigoletto et le sacré fondu en un seul corps. Il y en a eu des comme ça, Néron, Caligula en sont deux exemples. Il est difficile de tracer des limites certaines entre le jeu sadique et la folie réelle. Ou alors il est semi-dément, monarque emporté et charmé par son propre flot de paroles sans que ceci n’entrave en rien son bon sens marchand (petit détour par la boutique-souvenir et rappel appuyé que l’Amérique ne « donne » pas 150 000 milliards à l’Ukraine, elle lui « vend » des armes.
Alors qu’en conclure ? Que, si l’Europe n’a que le mot « démocratie » à la bouche (et en ceci elle n’a pas tort) elle ne peut pourtant imposer ses vues au colosse états-unien. La démocratie et la pleine souveraineté, oui, mais sous certaines limites fixées par les grandes puissances pas forcément intéressées par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Que les peuples en question commencent déjà par avoir une économie sereine et on verra par la suite. C’est cynique, mais le monde l’a toujours été. Il ne fait pas bon être faible à côté des grands. Ils ont les canines plus solides et la griffe plus dure.
La faute aussi à une Europe fragmentée où les rôles sont mal définis. Certes, hier, les puissances européennes ont su s’aligner sur le partage des fonctions, tel dirigeant demande cela, tel autre plaide pour ceci. Mais enfin, avouons que l’ensemble formait un chœur des plus timides. On demande parce qu’on n’ose exiger, et encore on sollicite avec les formes tant il serait vain de brusquer l’ogre américain qui dose ses regards en fonction de la quantité de flatterie qu’on veut bien y mettre. L’Europe est vassale du géant outre-Atlantique et d’une manière peut-être elle l’a toujours été, mais le décorum d’antan permettait de ne pas froisser les susceptibilités. Et maintenant que le paravent de la décence est tombé, il faut bien constater une chose, l’alliance de plusieurs « petits » n’est pas toujours suffisante pour faire plier le grand. En cela Gulliver nous aurait menti, les Lilliputiens n’ont jamais le dernier mot.