Turin : de la ville de Fiat à la ville post-industrielle

23 novembre 2025

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Turin : de la ville de Fiat à la ville post-industrielle

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Symbole de l’industrie italienne au XXe siècle, Turin a bâti sa puissance sur Fiat et l’automobile. Aujourd’hui, alors que les effectifs du constructeur ont fortement diminué, la capitale du Piémont affiche un autre visage. Une mutation silencieuse s’est opérée : celle d’une ville qui a tourné la page de son passé ouvrier pour devenir un pôle technologique et culturel.

Pendant des décennies, Fiat fut le cœur battant de Turin. L’usine de Mirafiori, inaugurée en 1939, employait jusqu’à 60 000 ouvriers dans les années 1970, faisant de la ville l’un des plus grands pôles industriels d’Europe. L’histoire de Turin s’écrivait au rythme des chaînes de montage, et la vie sociale, politique et urbaine s’organisait autour du géant de l’automobile.

Mais la transformation du marché automobile a bouleversé ce modèle. Aujourd’hui, Fiat, devenue Stellantis, n’emploie plus qu’environ 15 000 personnes dans la région turinoise, dont à peine 3 000 à Mirafiori. La production a été automatisée, les effectifs rationalisés, et une grande partie de la fabrication déplacée hors d’Italie.

Une économie en reconversion

Si Turin n’est plus la « Detroit italienne », elle n’est pas pour autant une ville sinistrée. Dès les années 1990, les autorités locales et les universités ont entrepris une reconversion économique ambitieuse. Le Politecnico di Torino est devenu un moteur de l’innovation, attirant des entreprises dans les domaines de la robotique, du design industriel, de l’aéronautique et des technologies vertes.

Des sociétés comme Thales Alenia Space, Leonardo ou encore des start-up liées à l’intelligence artificielle ont trouvé à Turin un environnement favorable. L’ancien site industriel du Lingotto a été transformé en centre de congrès, en hôtels et en galeries commerciales : symbole d’une ville qui réinvente son patrimoine industriel pour de nouveaux usages.

Moins d’emplois industriels, mais moins de chômage

Cette transformation a accompagné une transformation de l’emploi. Alors que le nombre d’ouvriers ne cessait de baisser, le chômage a lui aussi connu une baisse continue. Paradoxal ? Non, c’est au contraire tout à fait logique. L’emploi est créé par la croissance et cette dernière est fournie par la productivité. Plus de robotisation signifie plus de productivité, donc plus de croissance et plus d’emploi. Mais d’autres types d’emploi. Ainsi, dans les années 1990, Turin affichait un taux de chômage supérieur à 14 %. En 2024, il est tombé à environ 6 %, soit l’un des plus faibles d’Italie.

Turin (c) Pixabay

La mécanisation et la robotisation ont permis de sauver l’industrie automobile, assurant la pérennité d’emploi dans ce secteur. Elles ont aussi permis de réaffecter les ressources, notamment l’investissement, vers de nouveaux secteurs économiques, alors en création. Sans robotisation, c’est l’ensemble du secteur automobile qui aurait disparu, et la nouvelle économie qui ne serait pas née.

La diversification de l’économie a permis de créer des emplois dans les services, la recherche, la culture et le tourisme.

Une démographie en déclin

Turin a perdu une part importante de sa population.

Dans les années 1970, la ville comptait près de 1,2 million d’habitants. En 2025, elle en compte environ 840 000, soit une baisse de plus de 30 % en un demi-siècle. Cette érosion démographique s’explique par plusieurs dynamiques : la fin du monde ouvrier, l’exode des jeunes actifs vers d’autres régions italiennes ou l’étranger, et le vieillissement de la population restante.

La baisse de la natalité est marquée : le nombre de naissances a chuté de près de moitié en trente ans. En parallèle, l’immigration, venue notamment d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord et d’Asie, a permis de compenser partiellement cette dépopulation.

Une ville de gauche en mutation 

Cette évolution économique et démographique s’accompagne d’une transformation politique. Longtemps bastion ouvrier, Turin a été historiquement ancrée à gauche, portée par la force syndicale de Fiat et par l’imprégnation marxiste.

Depuis les années 1990, la ville est devenue un fief du centre gauche, dirigée par des maires issus du Partito Democratico, comme Valentino Castellani, Sergio Chiamparino ou Piero Fassino, qui ont piloté la modernisation urbaine et la reconversion post-industrielle.

L’intermède populiste du Mouvement 5 Étoiles, avec Chiara Appendino (2016-2021), a révélé un certain malaise social dans les quartiers populaires, sans toutefois modifier profondément l’orientation de la ville. Depuis 2021, le maire Stefano Lo Russo incarne le retour d’un centre gauche technocratique, pro-européen et tourné vers l’innovation.

Aujourd’hui, Turin reste une ville modérément progressiste, où la gauche conserve une influence forte, mais adaptée à un électorat plus urbain, éduqué et tourné vers les enjeux économiques et environnementaux.

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À propos de l’auteur
Martin Capistran

Martin Capistran

Avocat, docteur en droit.

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