Établir une TVA « sociale » pour financer le modèle français ? Une idée ancienne, qui ressurgit régulièrement
Article paru dans le no58 – Drogues La France submergée
Le 13 mai dernier, à la faveur d’un grand oral télévisé, Emmanuel Macron a proposé l’ouverture d’une conférence entre partenaires sociaux sur le « modèle social français » dont le financement reposerait, d’après lui, « beaucoup trop sur le travail ». En creux, le chef de l’État a ainsi relancé la piste de la « TVA sociale », laquelle consiste à augmenter le ou les taux de TVA (aujourd’hui au nombre de quatre : 2,1 %, 5,5 %, 10 % et 20 %) afin de financer une baisse de la fiscalité sur le travail, le plus souvent en réduisant les cotisations sociales. En réalité, la TVA sociale existe déjà : les baisses de cotisations sociales sur les bas salaires ont par deux fois (1995 et 2014) été financées par un relèvement de TVA (hausse de 2 points du taux normal puis hausse de 3 points du taux intermédiaire).
Quel est l’objectif assigné à la TVA sociale ? Il est de diminuer les coûts de production et, par voie de conséquence, d’améliorer la croissance du produit intérieur brut (PIB), le taux d’emploi ainsi que la compétitivité de l’économie nationale à l’égard du reste du monde. Reste que le succès de la TVA sociale dépend de multiples facteurs que le pouvoir politique ne maîtrise pas.
Il dépend tout d’abord de la répercussion, par les entreprises, de l’augmentation de la TVA sur le niveau des prix et des salaires. La TVA sociale peut avoir un effet inflationniste si le renchérissement des biens importés n’est pas compensé par une diminution des prix des biens domestiques. Ce même effet inflationniste peut à son tour effacer le gain de compétitivité, les hausses de salaire (via notamment l’indexation du salaire minimum) rétablissant le coût du travail antérieur à l’instauration de la TVA sociale. L’amélioration du solde de la balance extérieure est ensuite tributaire des élasticités-prix des exportations et des importations. L’élasticité-prix des exportations est d’autant plus faible que les pays partenaires ont des PIB par habitant similaires ou que leurs flux commerciaux concernent des secteurs commerciaux proches. Or, c’est le cas de la France, qui commerce principalement avec des pays de niveau de vie comparable. La réussite de la TVA sociale dépend enfin de la réaction des autres pays. Le gain de compétitivité peut, là aussi, être annihilé si les exportateurs étrangers rognent leurs marges pour maintenir des prix de vente stables, taxes comprises. Les partenaires commerciaux peuvent par ailleurs être tentés, face à ce que les économistes nomment « dévaluation fiscale », d’instaurer dans leur propre législation fiscale un dispositif analogue à celui de la TVA sociale.
Que dit la littérature économique empirique à propos des expériences passées de TVA sociale ? Que, globalement, les effets économiques positifs d’une TVA sociale sont assez modestes et qu’ils se tarissent avec le temps. C’est qu’il y a en grande partie équivalence d’assiettes entre la TVA et les cotisations sociales, une fois les ajustements de prix et de salaires effectués. La baisse des cotisations sociales augmente le salaire réel (donc l’offre de travail), mais la hausse de TVA diminue le salaire réel (donc l’offre de travail également).
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Que le financement de la protection sociale repose trop fortement sur le travail, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, est exact. Mais il est illusoire de croire et de promettre qu’on améliorera la productivité de l’économie, c’est-à-dire in fine le pouvoir d’achat des Français, à travers de simples changements d’assiettes fiscales, sans interroger le périmètre du modèle social lui-même, c’est-à-dire sans toucher aux dépenses publiques improductives parmi les quelque 900 milliards d’euros de dépenses de protection sociale.
Notre problème en matière de TVA est ailleurs : l’incroyable complexité du système liée à un recours abusif et assez franco-français aux taux réduits, pourtant inefficaces socialement et à l’origine de coûts économiques et administratifs nombreux. La TVA est économiquement un bon impôt si on en limite le nombre de taux réduits, source de distorsions dans les choix de production et de consommation, et au demeurant peu satisfaisants pour faire de la redistribution. Or, 35 % de l’assiette fiscale échappe au taux normal en France (contre 0 % au Danemark, 18 % en Allemagne ou 24 % en Suède).