Un retour à la normale pour l’économie grecque ?

26 février 2024

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : La Grèce, rempart occidental face à la Turquie. (c) Pixabay Russell Yan
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Un retour à la normale pour l’économie grecque ?

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Une croissance économique solide au premier trimestre 2023, un ratio dette publique/PIB qui tombe en dessous de son niveau d’avant la pandémie, des risques de financement par emprunt qui sont contenus à moyen terme… L’économie grecque voit-elle enfin le bout du tunnel ? En 2010, le pays était frappé par une grave crise de la dette publique, qui intervenait consécutivement à celle des subprimes de 2008. Sa sortie de la zone euro avait même un temps été envisagée.

Myriam Ben Saad, Kedge Business School

Après une dépression historique au cours de laquelle son produit intérieur brut (PIB) s’est effondrée de 28 %, la Grèce semble avoir enfin ouvert un nouveau chapitre. Il y a eu d’abord la crise (2010-2013), puis la stabilisation (2014-2018), huit années où des plans d’austérité ont été imposés par les créanciers du pays, la BCE, l’Union européenne et le FMI, au chevet d’une économie qui ne pouvait plus se financer, privée d’accès aux marchés obligataires internationaux.

Le 20 octobre dernier, l’agence Standard & Poor’s a relevé sa notation de la dette grecque à BBB-. Celle-ci sort ainsi pour la première fois depuis 2010 de la catégorie « dette spéculative » (ou « obligation pourrie ») pour passer en catégorie « investissement ». Dans son édition de Noël, le prestigieux magazine britannique The Economist a même titré la Grèce « Pays de l’année ». En 2022, elle avait réussi a remboursé ses prêts accordés par le FMI avec deux ans d’avance. Signes d’une économie en voie de rétablissement ?

Des indicateurs macroéconomiques encourageants

Avant la pandémie liée au coronavirus, le pays semblait déjà reprendre une trajectoire positive avec une nette augmentation de son PIB par habitant. Au premier semestre 2023, la croissance restait solide, tirée principalement par la consommation et les exportations nettes. La consommation privée a bénéficié d’une demande refoulée durant la période précédente, notamment dans le secteur des services, tandis qu’une baisse significative des importations a entraîné une contribution positive des exportations nettes qui avaient sous-performé ces derniers trimestres. L’activité d’investissement a, elle, cependant considérablement ralenti après un pic au dernier trimestre 2022.

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Grâce à l’augmentation de la demande intérieure liée à la reprise de l’activité du tourisme, la croissance du PIB réel pour le reste de l’année devrait être solide, s’établissant en moyenne à 2,3 % pour l’ensemble de 2023 alors qu’Athènes ne misait « que » sur 1,8 %. C’est plus que la moyenne de l’Union européenne (0,6 %). Les chiffres sont attendus du même ordre pour 2024 et 2025.

Autre indicateur macroéconomique témoin d’un retour à la normale, l’inflation globale devrait s’établir en moyenne à 4,3 % en 2023. Les chiffres mensuels récents pointent vers une légère hausse de l’inflation dans les secteurs de l’énergie et des services (sur une base mensuelle désaisonnalisée), tandis que les prix des denrées alimentaires sont impactés par les inondations à la fin de l’été dans la région de Thessalie, une zone clé pour la production agricole. L’OCDE prévoit pour 2023 que l’inflation grecque devrait rejoindre la moyenne des pays de la zone euro. Le choix de son maintien dans cet espace économique a bien joué son rôle d’amortisseur face aux conséquences de la pandémie et de la poussée inflationniste. En Turquie voisine, l’inflation est attendue à 65 % fin 2023.

Du côté du marché du travail, enfin, la croissance de l’emploi devrait se poursuivre, mais à un rythme plus lent. Le taux de chômage est tombé à 9,6 % en octobre 2023, son plus bas niveau depuis juin 2009, après avoir culminé à 28,1 % en septembre 2013. Sont même observés de premiers signes de pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés tels que le tourisme. Avec la hausse des salaires nominaux et le ralentissement de l’inflation, les salaires réels devraient être mesurés à la hausse en 2023 après une contraction en 2022.

En valeur absolue, le PIB grec est néanmoins loin d’avoir rattrapé son niveau de 2008. Les pertes ont été de 70 milliards de dollars (constants 2015) entre 2008 et 2015 dont seuls 16 milliards avaient été regagnés fin 2022. La bonne orientation des chiffres de la croissance masque en partie la faible marge de manœuvre dont dispose le gouvernement grec et des réformes, notamment fiscales, restent nécessaires pour percevoir d’indispensables fonds européens.

L’héritage contrasté de la rigueur

Le ratio dette publique/PIB devrait diminuer jusqu’en 2025 selon l’OCDE, en grande partie sous l’effet de la hausse du PIB nominal, mais également grâce aux excédents primaires. Ce ratio devrait baisser à 160,9 % en 2023, 151,9 % en 2024 et 147,9 % en 2025.

Le solde des comptes publics, lui, devrait rester globalement inchangé en 2023, et, selon les données de l’Eurostat, enregistrerait un excédent de 1,6 % du PIB cette année. Ce résultat repose sur une amélioration du solde primaire (qui ne tient pas compte des intérêts versés sur la dette ni des revenus issus d’actifs financiers) ainsi qu’à la suppression progressive des mesures visant à atténuer, pour la population, les prix élevés de l’énergie et à des recettes fiscales meilleures que prévu, notamment celles provenant de la taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations de sécurité sociale.

Cependant, l’économie reste malgré tout confrontée à des défis macrofinanciers dans un contexte de resserrement monétaire important, d’inflation sous-jacente persistante et de hausse des prix de l’immobilier. Les déséquilibres structurels dus à la faiblesse de l’épargne des ménages et à un niveau d’investissement encore faible ne sont guère étonnants : la quasi-mise sous tutelle par les institutions internationales (la troïka composée du FMI, de la BCE et de la Commission européenne) a certes rétabli les équilibres financiers fondamentaux mais à des niveaux beaucoup plus faibles. Les Grecs ont puisé pendant 10 ans dans leurs réserves afin de compenser la perte de pouvoir d’achat et, par exemple, continuer à se soigner.

Tous les efforts consentis par la population ont par ailleurs certes permis une diminution sur les dernières années de la dette en pourcentage du PIB mais, en valeur absolue, la dette continue d’augmenter. Elle a plus que doublé en 15 ans.

Si sur les 15 dernières années, l’économie grecque est ainsi pour partie rentrée dans le rang, la puissance publique reste sous pression. Vente du port du Pirée, d’une partie du patrimoine culturel, fragilisation des infrastructures de transports, faiblesse des moyens face aux incendies, elle ne sort de plus pas grandie de cette période.


Vincent Monnier, enseignant-chercheur à l’École supérieure des professions immobilières a également contribué à la rédaction de cet article.The Conversation

Myriam Ben Saad, , Kedge Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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