Une enquête sur le creuset de la menace écoterroriste

20 avril 2023

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : À Sainte-Soline le 25 mars, l'éco-terrorisme monte d'un cran. //AMEZUGO_001808/Credit:UGO AMEZ/SIPA/2303252322

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Une enquête sur le creuset de la menace écoterroriste

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De l’éco-résistance à l’éco-terrorisme. Une enquête indispensable d’Anthony Cortes et Sébastien Leurquin pour comprendre la complexité et les modes d’action d’une mouvance en plein essor. 

La recherche sur la nature et la dangerosité future de l’écoterrorisme est encore embryonnaire pour plusieurs raisons. D’abord du fait du caractère polémique du terme « terrorisme » qui suscite des débats aussi enflammés qu’inutiles. Et aussi par l’actuelle réorientation thématique forcée au sein des terrorism studies (par la distribution sélective des crédits et l’intimidation des chercheurs) vers la menace « d’extrême droite » au détriment des autres mouvances susceptibles de passer à l’acte.

Anthony Cortes et Sébastien Leurquin publient L’affrontement qui vient : de l’éco-résistance à l’éco-terrorisme aux éditions du Rocher.

Un déficit de connaissance à combler

Ce déficit des connaissances est pourtant très préoccupant à un moment où l’on assiste à une véritable mutation de l’écologisme radical, de plus en plus enclin à adopter des modes d’action illégaux et/ou violents pouvant éventuellement dériver vers des actes terroristes proprement dits. C’est pourquoi le livre que deux journalistes viennent de consacrer à cette mouvance mérite de retenir l’attention1. En effet, cette enquête destinée à un vaste public offre une sorte de panorama partiel des forces en présence, de leurs motivations idéologiques et des principaux enjeux des affrontements futurs. Bien entendu, la superficialité du traitement, ainsi que les partis pris idéologiques des acteurs (résolument inscrits dans le « camp du Bien » et très soucieux de l’urgence climatique), font que ce livre est à considérer seulement comme une pièce additionnelle au dossier de l’écologisme radical. Mais une pièce incontestablement utile, car rassemblant une masse d’informations indispensables pour engager sérieusement la réflexion sur un sujet hautement complexe. À ce titre il fournit des matériaux bienvenus pour aider à construire un dispositif analytique sur la menace écoterroriste en combinant des démarches sociologiques2, le point de vue des forces de l’ordre3, et bien entendu les études sur le terrorisme4.

Mouvance écologiste 

Dans cette perspective, les trois premiers chapitres du livre permettent d’avoir une sorte de vision « de l’intérieur » de la mouvance écologiste (française) plus ou moins radicale, en insistant sur son anxiété climatiste et sa déception croissante concernant les résultats des actions légales et non-violentes pour prévenir une catastrophe jugée imminente. Le chapitre 4, sans doute l’un des plus intéressants du livre, contient une sorte d’inventaire descriptif des nombreux acteurs (associations, ONG, syndicats, médias, éditeurs, etc.) qui composent la « constellation d’engagés » de l’écologie radicale. Le lecteur averti peut sans difficulté y repérer le processus de mutation qui s’opère sous nos yeux, avec la fusion des thèmes et des activistes de l’extrême gauche diversement violente (altermondialistes, black blocks, antifas, anarchistes, antiracistes sélectifs, autonomes et autres punks à chiens), avec une nébuleuse écologiste en pleine recomposition à la fois idéologique (écosocialisme, écoféminisme, écologie décoloniale, véganisme, etc.) et en questionnement permanent sur son répertoire de l’action, violente ou non.

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Le chapitre suivant consacré aux « radicalisations concrètes » est également fort instructif. On y trouve l’analyse, sommaire mais éclairante, de diverses luttes menées principalement contre des projets d’aménagement jugés destructeurs de l’environnement (aéroport, contournement routier, zone industrielle, bassines de rétention d’eau, site d’enfouissement de déchets radioactifs…). Surtout, ce chapitre illustre très clairement le rôle des ZAD (Zones à Défendre) à la fois comme techniques de lutte et comme laboratoires de la mutation en cours de la mouvance. Par exemple, « Les Soulèvements de la Terre », réseau hybride de coordination de la frange la plus radicale de la mouvance, est directement issu de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Réponses de l’État

Beaucoup plus faibles, les trois chapitres suivants traitent de cette mouvance sous l’angle de l’attention que lui portent les autorités étatiques, et de la répression (jugée excessive par les auteurs) dont elle fait l’objet. Ici encore, quelques données factuelles utiles sont néanmoins disponibles pour enrichir la réflexion.

Enfin, le dernier chapitre (intitulé : « Vers l’attentat ? ») et l’épilogue du livre débouchent sur des perspectives pas vraiment rassurantes. En effet, tant l’internationalisation des luttes et l’échange transfrontalier de militants et de techniques de combat, que la résolution des franges les plus déterminées de la mouvance à adopter des techniques violentes contre diverses cibles, posent clairement la question du surgissement possible d’un écoterrorisme dans un avenir plus ou moins proche. Pour que cette éventualité se concrétise, encore faut-il que des « noyaux actifs » (individus et/ou petits groupes) issus de cette frange décident (et aient la capacité) de passer à l’acte terroriste. Cette question est encore ouverte, mais il est grand temps de la poser clairement, de façon informée et loin de tout aveuglement idéologique.

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Et, contrairement à ce que les auteurs suggèrent dans leur épilogue, on n’a pas affaire ici seulement à deux camps (les environnementalistes radicaux et l’État). Car, en réalité c’est toute une constellation d’acteurs, dont l’ONU qui a lancé le thème climatique au début des années 1990, l’Union européenne qui a pris le relai régional de la dissémination des thèmes dominants et des peurs, les différents États et leurs médias dépendants, les réseaux de l’hyperclasse mondiale (Davos notamment), qui sont à la manœuvre. Sans oublier les acteurs locaux qui portent des conflits spécifiques et qui opèrent, lorsque cela est possible, une « montée en généralité » qui leur permet d’acquérir une résonance accrue et des alliés parfois inattendus. Les situations géopolitiques dans lesquelles surgit la question de l’écoterrorisme sont donc à considérer simultanément à plusieurs niveaux enchevêtrés. Ce qui est à garder en mémoire lorsqu’on lit le livre de Cortes et Leurquin sur le cas français.  

1 Anthony Cortes ; Sébastien Leurquin, L’affrontement qui vient. De l’éco-résistance à l’éco-terrorisme ? Éditions du Rocher, Monaco, 2023.

2 Voir, par exemple, l’intéressant programme de recherches présenté par : Colin Robineau, « Pour une sociologie des écologistes radicaux. Quelques éléments programmatiques », e-cadernos CES, N° 34, 2020, 46-63.

3 Voir : Guy Neuville, « Éco-terrorisme : l’insurrection qui revient », Conflits (en ligne), 18 janvier 2023. https://www.revueconflits.com/eco-terrorisme-linsurrection-qui -revient/

4 Hervé Théry ; Daniel Dory, « Pour une approche préliminaire de l’écoterrorisme », Liberté Politique, N° 95, 2023, 99-109 ; Daniel Dory, Écoterrorisme ? Comprendre et évaluer la menace, Les Cahiers de Liberté Politique, N° 1, Versailles, 2023. 

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À propos de l’auteur
Daniel Dory

Daniel Dory

Daniel Dory. Chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. A notamment été Maître de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle et vice-ministre à l’aménagement du territoire du gouvernement bolivien. Membre du Comité Scientifique de Conflits.

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