<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Usage tactique des hélicoptères, de la guerre d’Algérie à l’Ukraine. Entretien avec le général Jean-Claude Allard

13 septembre 2023

Temps de lecture : 9 minutes
Photo : Un MI-28 russe au cours de l'opération militaire russe en Ukraine. Credit:Evgeny Biyatov/SPUTNIK/SIPA/2308181704
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Usage tactique des hélicoptères, de la guerre d’Algérie à l’Ukraine. Entretien avec le général Jean-Claude Allard

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Maniable, souple, pouvant intervenir au plus près des combats, utilisé pour le transport des hommes et du matériel mais aussi pour le combat, l’hélicoptère s’est imposé comme un outil essentiel des guerres modernes. Retour sur son usage tactique et ses évolutions, de la guerre d’Algérie à la guerre en Ukraine.

Article paru dans le numéro 47 de septembre 2023 – Occident. La puissance et le doute.

Diplômé de l’École supérieure de guerre et de l’Institut des hautes études de défense nationale, général de division, Jean-Claude Allard a occupé divers postes de responsabilité dans la chaîne opérationnelle interarmées (centre opérationnel interarmées, délégation aux affaires stratégiques, représentant de la France au Central Command des États-Unis, représentant militaire au Kosovo, chef des opérations de la Kosovo Force). Il est par ailleurs spécialiste de l’aéronautique de l’armée de terre dont il a commandé l’aviation (ALAT). Il s’est impliqué dans la définition des concepts opérationnels et a élaboré la nouvelle doctrine tactique de l’aérocombat.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Vous avez dirigé l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT), qui est aujourd’hui composée essentiellement d’hélicoptères. En quoi consiste cette unité et pour quelles raisons l’armée de terre s’est-elle dotée de matériel d’aviation ?

L’ALAT met effectivement en avant plus de 300 hélicoptères, c’est d’ailleurs le plus grand parc d’hélicoptères en Europe, militaire et civil confondu. Il faut revenir en arrière pour comprendre les raisons pour lesquelles il y a des moyens aéronautiques au sein de l’armée de terre. Le besoin de l’armée de terre qui, elle, évolue en deux dimensions est d’être en trois dimensions pour aller voir plus loin et plus vite. Cela a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque des avions légers ont été incorporés dans les divisions. Ainsi, le corps expéditionnaire du général Juin en Italie a utilisé ces avions, notamment pour la percée sur le Garigliano, afin d’aller voir ce qui se passait derrière les lignes de l’ennemi et repérer ses points faibles. Ensuite, cette utilisation des avions a continué en Indochine, avec des reconnaissances, des survols, des ouvertures de route, des guidages de convois. L’armée de terre avait acquis grâce à cela une autonomie pour développer une manœuvre en trois dimensions. Le grand moment fut ensuite la guerre d’Algérie, avec le colonel Crespin qui a réussi à faire acheter un certain nombre d’hélicoptères pour développer des actions en coordination avec les divisions d’infanterie terrestre. L’hélicoptère offrait la possibilité de manœuvres beaucoup plus rapides et dynamiques. Et cette expérience positive de la guerre d’Algérie a conduit l’armée de terre à vouloir garder une dimension aérienne.

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Beaucoup se souviennent de la scène fameuse de la charge des hélicoptères dans le film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Une scène qui est assez éloignée de la réalité, mais qui montre l’intérêt de l’hélicoptère : aller dans les endroits escarpés, intervenir au plus près, et avoir un double angle d’attaque aérien et terrestre.

Exactement, de vos images et vos explications sur ce film, je retiendrai en effet cette possibilité d’aller au ras du sol, d’aller plus en profondeur, de survoler la jungle, et de chercher des renseignements. Toute la partie où le colonel monte à l’assaut du village sur le son de la Chevauchée des Walkyries de Wagner reste du domaine du cinéma. La capacité de l’hélicoptère est de s’affranchir du terrain, mais dans la doctrine française, il l’utilise aussi. Nous pratiquons en France le vol de combat, ou vol tactique, qui consiste à utiliser tous les masques, les collines, afin de progresser sans se faire voir de l’ennemi. Cela le rend non prédictible. Quand l’ennemi veut se défendre, il fait des embuscades sur les axes de déplacement ennemi. Or l’hélicoptère n’est lié à aucune infrastructure, il n’a pas besoin de routes pour se déplacer. L’ennemi doit donc se protéger de toutes parts. La troisième qualité de l’hélicoptère est qu’il peut voler de 0 à environ 300 km/h. On parle aujourd’hui, notamment chez les Américains, d’hélicoptères qui volent vite. Jusqu’à 300 km/h, c’est suffisant pour un combat de haute intensité en France. L’intéressant est surtout qu’il peut faire du stationnaire, moduler aussi sa vitesse en permanence et se poser hors des infrastructures aéronautiques. Cette souplesse lui permet de suivre le rythme de la manœuvre terrestre, chose qui ne peut être faite avec un avion de combat. C’est d’ailleurs lorsqu’on a créé des turbines que les avions de combat ont commencé à aller très vite, qu’on a dissocié les avions de l’armée de terre et qu’on a créé l’armée de l’air en 1934, car elles n’évoluaient plus au même rythme.
Et puis cet hélicoptère est servi par un équipage. Et, ce qui me tient à cœur, c’est l’intelligence tactique de l’aérocombattant au cœur de la manœuvre. C’est-à-dire que les équipages d’hélicoptères ont une formation tactique du combat terrestre très poussée, pour comprendre comment l’unité avec laquelle ils évoluent manœuvre, et comment l’unité de chars, de blindés, d’infanterie d’en face manœuvre aussi, afin de pouvoir contrecarrer ses actions, et les détruire si c’est la mission. Les aérocombattants sont des aéronautes mais aussi des tacticiens.

Une des difficultés de l’hélicoptère, c’est sa fragilité. Le fait qu’il soit bas, près des troupes, le rend vulnérable aux tirs et au terrain qui peut être changeant. Donc c’est un outil très souple, mais cette souplesse entraîne aussi une fragilité…

Ce que je vous ai décrit des capacités et des qualités de l’hélicoptère tient à son vecteur. Mais tout système d’armes ne tient pas qu’à son vecteur. Le char ne tient pas des qualités uniquement par ses chenilles. Il en tient aussi par son armement, par l’optique, par les moyens de détection. Il en est de même pour l’hélicoptère. À partir du moment où l’on a ce vecteur souplesse et manœuvrier, capable de s’adapter à la manœuvre terrestre, il faut l’entourer, le protéger des éclats, protéger l’équipage et les matières sensibles avec du matériel type kevlar ou autre pour éviter un surplus de poids avec du blindé (protection passive). Il faut surtout mettre une enveloppe protectrice autour de l’hélicoptère, en termes de moyen de détection de départs des missiles et de contre-mesures (protection active).
Ensuite, il faut que l’équipage lui-même se mette en mesure de se protéger, c’est-à-dire de ne pas se mettre en avant là où peut être l’ennemi. On les a formés à la tactique de l’infanterie pour comprendre comment l’ennemi d’en face manœuvre. On demande ainsi à l’équipage de savoir manœuvrer, utiliser le terrain, observer. Les hélicoptères ne sont pas utilisés lors d’attaques comme dans le film, mais au contraire se déplacent comme des félins dans le relief.
Il faut enfin intégrer l’hélicoptère et son unité dans une manœuvre d’ensemble, que j’appelle système tactique avec les troupes au sol, l’artillerie, les radars, les drones, etc. Tous doivent être étroitement connectés entre eux, de façon à permettre à l’équipage d’avoir devant lui sur sa planche de bord une image opérationnelle en temps réel, avec tous les renseignements que les censeurs qui manœuvrent avec lui ont détecté comme menace, et aussi la connaissance de l’emplacement de toutes les unités amies. Il peut ainsi avoir la cartographie des secteurs dangereux potentiellement autour desquels il manœuvrera. Enfin, les armements à longue portée, en plus naturellement de lui permettre d’avoir un effet létal sur l’ennemi, contribuent à sa protection de loin en le mettant hors de portée des système air-sol, sol-sol ennemis.

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En 2019, l’armée de terre a connu ce dramatique accident où deux hélicoptères sont entrés en collision au Sahel, entraînant la mort des deux équipages. Un accident qui était dû aux conditions de vol extrêmement difficiles, avec une très faible visibilité.

Effectivement, c’était de nuit, il y avait du sable, la température était variable. Tout cela a entraîné des difficultés de visibilité et de connectivité, d’où l’importance d’une image opérationnelle commune. C’est une difficulté à vaincre par la technologie. Car un hélicoptère ne s’emploie pas seul, il en faut plusieurs, d’où l’importance de la connectivité pour qu’ils puissent évoluer facilement en connaissant sinon par la vue, du moins par une situation numérisée, la position des autres vecteurs aériens.

Extraction de commandos parachutistes en Caïman – opération Barkhane. JB. Tabone. (c) armée de terre

Dans un article déjà publié chez Conflits, « Les hélicoptères d’attaque russes posent un problème à l’offensive ukrainienne » (21 juin 2023), traduit d’un article paru dans la revue américaine The War Zone, les deux auteurs montrent comment les Russes ont utilisé leurs hélicoptères d’un point de vue tactique, et les difficultés posées, et notamment leur capacité à attaquer derrière la ligne d’attaque, presque à revers.

En effet, il y a deux grandes époques séparées par un grand blanc concernant les hélicoptères en Ukraine. D’abord de février 2022 à la fin mars, où il y a de part et d’autre des systèmes antiaériens qui contrent les tentatives d’utilisation d’hélicoptères ou d’avions. Les Russes ont alors utilisé une tactique qui consistait à infiltrer des patrouilles d’hélicoptères afin de prendre à revers les positions ukrainiennes placées dans les villages. Les moyens antiaériens, densifiés par les fournitures occidentales à partir de début mars (antichar et antiaérien individuels) ont repoussé les offensives des hélicoptères dès la fin mars 2022, et on ne les voit ressurgir que maintenant.
Il y a aujourd’hui dans le sud une ligne de front préparée par les Russes et ils connaissent le terrain et ses points de repère. Dans le nord, ils manquaient de cartographie précise. Les forces ukrainiennes sont alors ici plus exposées aux mines ou aux tirs, et les désorganisations qui en découlent facilitent la prise à partie par les hélicoptères. Ces hélicoptères ont suffisamment d’allonges de tir pour rester en dehors du champ de défense antiaérien ukrainien. Lequel est d’ailleurs affaibli et centralisé autour des villes. En effet, la tactique russe qui consiste à viser les usines et les villes empêche les Ukrainiens de protéger leur offensive avec une défense sol-air de première ligne. Les hélicoptères russes avaient aussi des lacunes dans les contre-mesures actives. Donc ils ne pouvaient pas faire cette protection autour de l’hélicoptère. Ils ont mis en place de nouveaux dispositifs de détection/contre-mesures sur le Kamov 52. Et ils ont créé des patrouilles mixtes KA-51 et MI 28, car les deux ont un système de détection aux capacités différentes qui se complètent.
Enfin, outre la nécessité de moyens de détection/contre-mesures, l’enseignement à retenir, c’est que le déploiement d’hélicoptères pour demain doit se faire avec des drones pour éclairer, ouvrir, renseigner. Les drones et les hélicoptères se complètent. Les drones peuvent servir d’appâts aux antiaériens ennemis, pour épuiser leurs munitions ou faire de la contre-batterie. La grande affaire des Russes semble notamment être le fait de chercher à épuiser les munitions antiaériennes ukrainiennes.

Vous avez anticipé ma question concernant les drones, et la possibilité qu’ils remplacent les hélicoptères. Mais chacun semble être différent et complémentaire de l’autre.

Le drone est la prolongation de l’hélicoptère. Premièrement, il facilite et accompagne la manœuvre de la formation d’hélicoptères. À l’avenir, peut-être même des escadrons de drones pourront être dirigés par un hélicoptère. Pour l’instant, même s’il a des qualités (discrétion, endurance), le drone ne vole pas en essaim et il n’apporte pas sur le champ de bataille toute la puissance d’une formation d’hélicoptères (Ka 52 ou autre), qui peut apporter un effet de masse et dispose de canons, de missiles antichars, etc. Ainsi, un sous-groupement aéromobile (environ huit hélicoptères) pourra apporter une cinquantaine de missiles et aura un effet significatif sur une formation de blindés qui évolue sur un front de 4-5 km.
Mais il ne faut donc pas engager cette force sans la protéger, la renseigner, l’éclairer et même avoir provoqué les systèmes ennemis antiaériens pour qu’ils se montrent. D’où le couplage avec un drone dirigé par le commandant de la formation d’hélicoptère.

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Pour la réflexion doctrinale française, quels sont selon vous les enseignements que l’on peut tirer de la guerre en Ukraine concernant l’usage des hélicoptères ?

Il doit toujours y avoir un apport pour que cela change et pour rentrer dans les conditions réelles du combat. Les points selon moi les plus importants sont premièrement la connectivité, cette possibilité pour tous les hélicoptères de dialoguer entre eux et avec toutes les forces avec lesquelles elles manœuvrent. Deuxièmement, le développement de tous types de protections (actives / passives / par la manœuvre) qui participent à former une bulle protectrice autour de l’hélicoptère, troisièmement, l’armement, essentiellement la vitesse du missile la plus rapide possible et la distance de tir le plus grand possible. Et l’optimum, une capacité de guidage autonome du missile (tire et oublie). Et enfin, toujours et encore l’intelligence tactique qui permet de tirer le meilleur parti des capacités de l’hélicoptère. Pour la première fois en Algérie, on a considéré l’hélicoptère comme plus qu’un moyen de transport, mais comme un outil de manœuvre face à l’ennemi, ce qui était totalement différent. Maintenant, on va plus loin, on combat de jour et de nuit avec l’hélicoptère, en combinaison avec les autres armes dans une valorisation mutuelle. C’est l’aérocombat.

Donc il y a un emploi global, mais il y a aussi différents types d’hélicoptères. Y a-t-il des usages différents selon les hélicoptères ?

Oui, effectivement, il y a deux grandes familles d’hélicoptères dans l’armée française. Il y a l’hélicoptère de manœuvre et d’assaut, ce fut le Puma qui est en cours de remplacement par le NH-98 dit Caïman ; cet appareil amène une charge combattante ou logistique, c’est-à-dire sans être chargé de canons et emporte des soldats. Et puis il y a l’hélicoptère de combat à proprement parler, avec le Tigre, sous réserve des améliorations dont j’ai parlé, et du développement d’une capacité de drone lui permettant d’améliorer sa manœuvre, et le Guépard qui complétera ce parc. On a ici les grands axes de développement futur, et même pour faire un héliportage avec un Caïman, l’usage d’un drone sur l’aire de posé permet de sécuriser l’atterrissage.

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