<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Vêtements : flux et reflux de l’Occident

27 septembre 2023

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Zelensky en treillis face au Secrétaire d'Etat américain. Credit: Photo by Ukrainian President Press Office/UPI/
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Vêtements : flux et reflux de l’Occident

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Le choix du vêtement est toujours signifiant : il témoigne de l’aire culturelle à laquelle son porteur se rattache, il dit les influences et les présences ; le vêtement est discours politique.

Article paru dans le numéro 47 de septembre 2023 – Occident. La puissance et le doute.

Mobutu, président du Zaïre (1965-1997), démontrait l’indépendance de son pays jusqu’au refus de porter le costume occidental. Arborant toujours une toque en peau de léopard, symbole de royauté chez les Bantoues, sa personne physique démontrait le retour à l’Afrique et le rejet de l’Occident. Son successeur actuel, Félix Tshisekedi, porte au contraire des costumes impeccablement coupés au revers et à l’épaule typiquement parisiens. De quoi donner des leçons de mode masculine aux présidents français qui viennent le visiter. En Chine, le port de la veste « à col Mao » marquait elle aussi la rupture avec l’Occident et le choix de la voie de l’indépendance. Depuis les années 1980, les dirigeants de l’empire rouge portent le costume occidental, signe de leur volonté de rejoindre la globalisation et de ne pas renverser l’ordre du monde. Le vêtement est l’un des langages les plus politiques qui soient. Les pièces, les couleurs, les coupes signifient la position du porteur et disent sa conception de la cité. Ainsi de l’ancien Premier ministre grec Alexis Tsipras qui, pour montrer son indépendance à l’égard de l’UE, refusait de porter une cravate dans les réunions intergouvernementales. Un acte de rebelle assurément, qui l’empêcha néanmoins d’être invité dans les clubs de Londres.

Question de chapeaux

Le vêtement dit aussi les frontières culturelles. En Afghanistan, les talibans, issus des pachtouns, portent le turban, qui les relie au monde arabe et perse. Au nord, les hommes de Massoud revêtent quant à eux le pakol, sorte de béret de laine, hérité de la garde rapprochée d’Alexandre le Grand. Ce pakol est en effet la causia grecque, que l’on retrouve sur de nombreux bas-reliefs. Deux couvre-chefs, deux cultures, deux histoires ; la frontière culturelle est aussi frontière politique.

La mode occidentale est désormais précieusement conservée au Japon, où le port du costume et de l’habit est codifié selon les temps et les cérémonies, ce qui n’empêche nullement de voir des femmes en kimono dans les rues de Tokyo. Étrange paradoxe qui vaut à l’empereur du Japon le titre d’homme le plus élégant du monde.

En 2018, en visite au Kenya, l’élégante Melania Trump avait été aperçue dans un safari portant un casque colonial : l’affaire fit grand bruit tant on l’accusa de colonialisme. Bien que ce chapeau puisse être porté par tous, elle eût dû céder à la mode mondialisée de la casquette de base-ball qui, avec les baskets et le tee-shirt, témoignent de l’uniforme universel, fabriqué partout et porté partout. Certains dirigeants politiques peuvent bien, pour témoigner de leur défense de l’indigénisme, revêtir la tunique des Indiens ; les photos passées, on les retrouve en jeans et baskets, dans une mode mondiale qui témoigne du triomphe d’une certaine américanisation.

Pourtant, dans les villes d’Europe, la guerre du vêtement est déclarée. Voile, abaya ou tunique africaine, chacun marque ses frontières, ses présences territoriales, son rattachement aux cultures locales. Parce qu’il est immédiatement visible et identifiable, le vêtement marque l’espace, l’occupe, l’approprie. D’où les interminables débats en France sur le port du voile, question posée et non résolue depuis quarante ans.

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Le costume est aussi question de dignité et de puissance nationale. Silvio Berlusconi ne fréquentait que les tailleurs milanais, sa ville natale, exportant par sa présence même le savoir-faire italien. Gianni Agnelli, le mythique patron de Fiat, se posait en arbitre des élégances italiennes, qui devinrent les élégances mondiales. Le général de Gaulle se fournissait en chemise chez Charvet, dont il contribua à sauver l’entreprise de la faillite au motif que la France devait disposer de tailleurs dignes de ce nom et ne pas laisser le monopole aux Anglais et aux Italiens. On sait Charles III très sourcilleux de mode, lui qui ne rechigne pas à porter le kilt, dont chaque tartan possède une signification précise. Parce qu’il est objet de culture et de savoir-faire, le vêtement est un vecteur puissant du discours politique. Nul besoin de parole, il est langage à lui tout seul et dit beaucoup des fluctuations de l’Occident.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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