<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Réduire les inégalités ou lutter contre la pauvreté ?

3 septembre 2020

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Réduire les inégalités ou lutter contre la pauvreté ?

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Le débat sur la fiscalité présente en France la particularité permanente et déprimante de se focaliser sur l’objectif de réduction des inégalités sociales, à l’exclusion de tous les autres.

 

Quelle que soit l’assiette fiscale sollicitée (revenu, capital, consommation), toute réforme fiscale, même la plus modeste, est toujours en effet appréciée à la lumière de ses aspects redistributifs. Loin de confirmer les discours politiques, lesquels s’éparpillent trop souvent en promesses démagogiques, les résultats théoriques et empiriques d’analyse de l’impôt et de ses multiples « répercussions » (ou « translations ») tendent pourtant à démontrer l’inefficacité de la redistribution fiscale pour réduire la pauvreté.

 

Le double rôle de l’impôt

L’analyse théorique de l’impôt distingue deux effets antagonistes liés à la répercussion de l’impôt par l’agent économique qui le supporte. Le premier est l’« effet de revenu » : les personnes sont incitées à accroître leur activité pour compenser la réduction de pouvoir d’achat lié au prélèvement qu’elles subissent. Le second est l’« effet de substitution » : les personnes sont, à l’inverse du premier, incitées à moduler à la baisse la qualité et l’intensité de leurs efforts et à substituer aux activités trop fortement taxées des activités moins imposées (voire non imposées, comme le loisir au sens usuel ou le travail au noir) ou implantées à l’étranger. L’enjeu n’est pas mince, car de l’arbitrage entre ces deux effets va dépendre l’impact, lui aussi divergent, de l’impôt sur la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté.

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Certes, il est difficile de connaître a priori l’effet microéconomique d’un impôt. S’il dépend évidemment de la psychologie de chaque personne, il est probable aussi que l’arbitrage entre « effet de revenu » et « effet de substitution » dépende de la variation du niveau de l’impôt.  Si l’« effet de revenu » triomphe, la réduction des inégalités après impôt sera annihilée par l’amplification des inégalités avant impôt, du fait de l’augmentation de l’activité productive des plus fortunés. Si au contraire l’« effet de substitution » l’emporte, les plus fortunés étant les plus incités à réduire leur activité productive (car ils sont aussi les plus taxés), les inégalités de revenus avant impôt diminuent en sus des inégalités après impôt, au prix cependant d’effets néfastes sur la productivité de l’économie et finalement la réduction de la pauvreté.

 

Corriger les inégalités à tout prix ?

Le dilemme est alors clair : ou bien l’on obtient, comme en France, une meilleure répartition des richesses par le biais d’une fiscalité directe hyper progressive, mais l’on réduit dans ce cas la productivité et l’efficacité de l’économie ; ou bien l’on renonce à corriger à toute force la répartition des richesses, et l’on privilégie la recherche de la meilleure allocation des ressources, au risque d’aggraver, même petitement, les inégalités sociales. Le dilemme est d’autant plus impérieux dans notre pays que le taux maximum d’imposition des revenus, quand on additionne l’impôt sur le revenu, la CSG-CRDS et les cotisations sociales, semble dépasser le taux optimal au-delà duquel le rendement budgétaire d’un supplément d’impôt est inférieur aux distorsions et aux pertes sociales provoquées par ce même supplément en raison de la contraction de l’activité économique qu’il génère.

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S’il n’existe pas d’études robustes sur les données françaises, on dispose en revanche d’études sur les données étrangères – tout à fait probantes et suffisamment nombreuses et variées pour que l’on puisse en tirer des enseignements analogues au cas d’espèce français – concluant à un « effet de substitution » d’autant plus élevé que le poids de l’impôt est concentré sur les titulaires de hauts revenus (voir, par exemple, Jon Gruber et Emmanuel Saez, « The Elasticity of Taxable Income: Evidence and Implications », NBER Working Paper, n° 7512, janvier 2000, 49 p.). Alourdir encore l’imposition des plus riches, comme l’ont suggéré certains à la faveur de la pandémie de Covid-19, réduirait ainsi la richesse des riches et le pouvoir économique qu’elle leur procure, sans améliorer significativement le sort des pauvres…

 

À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.
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