Le virus qui bouleverse le monde

1 juillet 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : L'effondrement du prix de l'essence symbolise la crise économique qui fait suite au coronavirus © SYSPEO/SIPA 00953233_000010
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

Le virus qui bouleverse le monde

par

Alors que l’année 2020 s’annonçait paisible, la crise sanitaire a jeté un froid sur un climat propice. Entre crise économique et échec de la gouvernance mondiale, les perspectives futures s’annoncent intéressantes. Le rapport Cyclope a détaillé l’envers du décor économique, permettant de faire un véritable état des lieux de la situation économique. 

Qui l’eût dit ? Qui l’eût cru ? Cette année 2020 s’annonçait presque calme sur le plan économique. Les bourses avaient atteint un nouveau sommet, le pétrole avait atteint 70 $ le baril, la Chine maintenait sa croissance autour de 6%, les Etats-Unis échappaient à la récession annoncée, Donald Trump était assuré de sa réélection. L’Europe poursuivait sa marche lourde avec quand même un projet politique, cette donne verte, (Green Deal).

Une croissance mondiale de 3% marquerait la onzième année d’expansion depuis la crise de 2008-2009, aujourd’hui bien oubliée. Les seules inquiétudes provenaient du champ géopolitique, avec les guerres, les conflits, les heurts en Syrie, en Irak, en Libye, dans le Sahel, alors que la situation ne se normalisait pas au Venezuela, que la Corée du Nord reprenait des tirs de missiles balistiques et que l’Iran sort à pas comptés de l’accord nucléaire de juillet 2015.

Mais voilà six mois ont passé et un petit personnage, à l’origine encore indéterminée, au vaccin non disponible, a tout bouleversé. La moitié de l’humanité a été confinée, les frontières se sont fermées, le trafic aérien (4,3 milliards de passagers) a été mis à l’arrêt, les chômeurs se comptent en dizaines de millions. La crise de 2020 se soldera par une chute sans précédent du PIB mondial (10-11% pour la France). Pour y faire face, 8000 milliards de $ auront été mobilisés par les banques centrales, les gouvernements. Ce sont 10% de la richesse mondiale annuelle, mais dans certains pays encore plus, comme au Japon (40%). Certes à l’échelle historique cette pandémie n’aura pas été la plus meurtrière : 0,0042 % au 19 mai contre 35% pour la peste noire, 3,47% pour la grippe dite espagnole qui a ravagé entre 40 et 50 millions de vies entre 1918 et 1920 ou plus récemment le sida (0, 81%). Mais la vie humaine n’a plus la même valeur.

A lire aussi: Podcast. Gérer une crise : le coronavirus. Xavier Guilhou

L’allégorie du mauvais gouvernement

Une dizaine d’années avant la Peste Noire qui devait ravager l’Europe en 1348, le peintre siennois Ambrogio Lorenzetti décora la salle du Conseil du Palais Public de Sienne de fresques illustrant le bon et le mauvais gouvernement. C’est l’Allegoria ed e­ffetti del Cattivo Governo, (Allégorie des effets d’un mauvais gouvernement), qui illustre la trente-quatrième édition du Rapport Cyclope sur les marchés mondiaux. C’est qu’avant même la pandémie du coronavirus, l’heure était au grand désordre du monde, aux tensions géopolitiques, aux guerres commerciales, à la remise en cause des traités internationaux. Mais l’extension du coronavirus à la planète entière a provoqué une crise économique sans équivalent depuis la Seconde Guerre mondiale dont les marchés ont été le fidèle reflet. Arrêté à la fin avril 2020, Cyclope présente une première analyse de ces quatre mois de pandémie et de crise et dresse quelques perspectives pour l’économie et les marchés mondiaux. Plutôt que de rerédiger l’ensemble des articles, mission impossible, les éditeurs de cette superbe synthèse à nulle autre pareil ont préféré lui adjoindre une forte préface « Une pandémie à nulle autre pareille », forte de 72 pages. Cyclope couvre l’ensemble des marchés « de l’ananas au zirconium » mais aussi de l’art au sport. Il est rédigé par une équipe d’une soixantaine de spécialistes sous la direction de Philippe Chalmin (Université Paris-Dauphine) et d’Yves Jégourel (Université de Bordeaux) et est publié en français et en anglais.

Les matières premières décrochent, mais pas toutes

Si entre le 1er janvier et le 30 avril, l’ensemble des prix des matières premières ont baissé (minerai de fer – 8%, nickel – 13%, cuivre – 16%, coton – 16%, aluminium – 18%), certaines matières ont progressé, comme l’or, +12%, le riz, +8%, le blé (mer Noire) +4%. Ce sont les hydrocarbures qui ont le plus dégringolé, le gaz naturel liquéfié (Asie -50%), pétrole Brent (- 61%), pétrole WTI (- 68%). Depuis ils ont repris des couleurs, le Brent étant passé de près de 20$ à 42$. Si les cours du pétrole attirent l’attention de la presse, du fait notamment des tractations qui se déroulent entre membres de l’OPEP et les dix autres producteurs qui s’entendent sur des efforts massifs de réduction de la production (- 9,7 millions de barils en mai et juin, 10% de la production mondiale), c’est le marché du gaz qui a été le plus secoué. En avril, le marché du gaz naturel liquéfié en Asie a touché son niveau le plus bas historique, avec 2$ le mBtu (British thermal unités, une des unités de mesure du gaz naturel, qui enregistre le pouvoir calorifique du gaz et non son poids). Que l’on en juge avant la crise de 2008, les cours s’établissaient à 12$ le mBtu !

Pourtant dans ce panorama fortement déprimé, une note optimiste se dégage, il n’y a pas eu de crise alimentaire. La Russie, premier exportateur de céréales a beau avoir arrêté ses exportations jusqu’à l’été, aucune panique sur les marchés n’a été observée, en dehors de la ruée des consommateurs sur les supermarchés. Les pays importateurs ont augmenté leurs achats de précaution de blé, riz et même de café. La production mondiale de grains est abondante ; le Conseil international des grains (IGC) annonce une production record de 3,3 milliards de tonnes. Lorsque on a commencé Cyclope, se souvient Philippe Chalmin, on était à 1,5 milliards de tonnes.

Le grand désordre du monde

Avant d’aborder le cœur de l’ouvrage les divers marchés de matières premières, les auteurs nous livrent sur près de 140 pages à un vaste panorama de l’état du monde intitulé « le grand désordre du monde », qui passe en revue la géopolitique mondiale (allégorie du mauvais gouvernement), des bonnes et surtout des mauvaises gouvernances, puis des tempêtes commerciales et climatiques. S’agissant du deuxième volet, trois grands pays sont étudiés. La Chine : le grand pharaon Xi, maître absolu chez lui, fait face aux « plaies de Chine », aux défis extérieurs. L’Inde : offensive autoritaire sur fond de chute de croissance. Est-ce pur hasard, erreur ou faux calcul si les deux géants asiatiques, qui seront les deux géants mondiaux, viennent de s’affronter dans les confins de Ladakh et de l’Aksaï Chin ? En Amérique latine, c’est la croissance en berne et la montée des frustrations. Depuis le milieu de la décennie écoulée, le continent sud -américain connaît une des périodes les plus sombres de son histoire. La décélération de l’activité (le PIB de la région a stagné entre 2015 et 2019 alors qu’il augmentait en cumul de 21% sur l’ensemble du monde en développement) a entraîné un déclin du revenu moyen par habitant. En Russie, troisième pays le plus touché par le coronavirus, et qui au départ n’a pas voulu soutenir les efforts de réduction de la production pétrolière demandée par l’Arabie Saoudite, est-ce Poutine forever ? D’ores et déjà il n’a pas exclu de se représenter en 2014 afin d’éviter la bataille (la pagaille) qui se déchainerait à l’annonce de son départ de la scène politique. En Afrique du Nord, et au Moyen-Orient, c’est hélas une décennie pour rien, un effet domino pour rien.

A lire aussi: Chine, Inde, Russie

L’introuvable gouvernance mondiale

On ne se sait pas ce qu’il en sera de la gouvernance mondiale durant la deuxième partie de l’année 2020. Si l’Europe, comme toujours, du fait de ses mécanismes de décisions, a fini par réagir et à faire preuve de solidarité, face à la crise, si l’OMS a résisté à l’assaut américain visant à la déstabiliser, l’appel du Secrétaire Général de l’ONU en faveur d’une trêve de conflits est tombé à plat. En matière climatique, la COP 25 de Madrid a été un échec, et celle prévue en novembre de cette année à Glasgow a été repoussé. Certes les émissions de gaz à effet de serre auront baissé cette année de 8%, réconfort temporaire pour s’en tenir aux objectifs de l’accord de Paris sur le climat, lequel requiert une baisse des émissions de 7,8% par an d’ici 2030, on est donc loin du compte. La température moyenne à la surface du globe s’est établie à 1,1°C depuis l’ère industrielle (c’est dire que la marge pour rester en dessous de 2°C et si possible de 1,5°C est bien mince). Les années 2015 à 2019 ont été les plus chaudes, depuis qu’existent les relevés météorologiques. Le 20 juin, 38°C ont été mesurés en Sibérie ! L’OMC ne fonctionne quasiment plus, son Directeur Général a démissionné. La Chine renforce son emprise sur les routes de la Soie. Le rêve d’une mondialisation ordonnée est derrière nous. L’idée même du bien commun est oubliée, déplorent les auteurs.

A lire aussi: Quand les médias annonçaient le refroidissement climatique

A la mi-année 2020, au moment où l’on s’est remémoré l’appel du 18 juin, on peut reprendre la formule du général de Gaulle « la France a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre ». Le monde a peut -être perdu la bataille de l’économie, pour sauver celle de la santé, il lui reste à gagner la ou plutôt les guerres, nombreuses, multiformes, persistantes.

 

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest