Feux de forêt en Amazonie : pourquoi ?

26 novembre 2019

Temps de lecture : 6 minutes
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Feux de forêt en Amazonie : pourquoi ?

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Deux mois après l’émotion planétaire autour des violents incendies qui ravagèrent l’Amazonie, l’hystérie et les feux se sont apaisés, sans faire taire de nombreuses contre-vérités. L’opportunisme politique et la méconnaissance de ces territoires ont permis à beaucoup de s’exprimer et de condamner, sans toujours savoir ce qu’il s’y passait vraiment. Ces incendies ont souvent été manipulés à des fins politiques

L’Amazonie est une des plus vastes forêts tropicales du monde. Elle est aussi une des plus riches en biodiversité, et son rôle environnemental est incontestable, puisqu’elle concentre une riche biodiversité. C’est pour cela qu’on la présente comme un « patrimoine commun », une terre qui appartiendrait à l’ensemble de l’humanité. Cette immense forêt abrite également une multitude de populations et tribus autochtones, derniers vestiges de l’indigénisme. Pour toutes ces raisons, les incendies en Amazonie sont une terrible catastrophe. Les images des flammes qui s’emparent à une vitesse folle de la végétation choquent et provoquent l’émotion.

En France, la presse titre alors sur « Notre Poumon » qui brûle (Le Parisien, 24 août 2019), et tire à boulets rouges sur le tout désigné coupable : « Bolsonaro l’incendiaire » (Libération, 23 août 2019). En très peu de temps, c’est le président Emmanuel Macron qui s’empare de l’effervescence médiatique pour alerter à son tour, sur Twitter, sur les feux qui s’attaquent au « poumon de notre planète », photo de plus de 16 ans à l’appui, signé d’un mot-dièse aussi utile que francophone : « ActForTheAmazon ».

Et puisque l’Amazonie appartient au monde entier, mais que les seuls coupables sont brésiliens, c’est au G7, du 24 au 26 aout, à Biarritz, qu’on tentera de trouver des réponses à « cette urgence ». C’est à dire loin du Brésil, sans le Brésil.

État des feux en Amazonie

Chaque année, c’est l’ensemble des forêts tropicales mondiales qui est touché, l’été, par de violents incendies. La deuxième plus grande d’entre elles, celle du bassin forestier du Congo, en est la meilleure illustration, puisqu’elle est tous les ans le théâtre des feux les plus vastes et dévastateurs. À titre d’exemple, cette année, en un seul mois, on a dénombré près de 550 000 incendies, soit plus du double de ce qui a été recensé en Amazonie l’année la plus chaude, en 2004.

Dans les deux cas, ce sont des conditions climatiques et météorologiques qui en sont à l’origine. La chaleur et les vents chauds sont les raisons les plus évidentes des feux qui s’étendent sur des milliers d’hectares de forêts. Ensuite vient la main de l’homme et ses techniques, notamment agricoles. C’est ainsi que les « brulis » ont été montrés du doigt comme la principale cause des incendies. Mais si les brulis sont encore massivement pratiqués en Afrique, où ils sont, sans équivoque, responsables de la propagation des feux gigantesques, c’est désormais moins le cas au Brésil, où les agriculteurs pratiquent de moins en moins cette technique. L’idée phare de cet été de faire peser la responsabilité des incendies en Amazonie sur l’agro-industrie brésilienne, qui aurait, en plus, été favorisée par le nouveau président Bolsonaro, se heurte donc à une triple réalité. D’une part les feux sont d’abord un fait naturel, celui d’un climat chaud et venteux, particulièrement propice aux incendies, comme c’est d’ailleurs le cas tout le long de l’équateur, tous les ans. D’autre part, les incendies de 2019 qui ravagèrent une partie de l’Amazonie ne sont pas plus vastes que les années précédentes. Ainsi, s’il y eut, avec plus de 75 000 incendies en 2019, près de deux fois plus de feux que l’année précédente, on est loin des années 2017 ou 2016, où le nombre d’incendies avoisinait les 200 000, et bien loin du record de 2004 et ses plus de 270 000 feux la même année. On voit donc l’incohérence d’une certaine doxa médiatique à faire des incendies de l’été dernier le point culminant de la déforestation amazonienne, orchestrée par la complicité de Bolsonaro, qui n’était pas président lors des records de feux, avec la puissante industrie agro-alimentaire brésilienne.

En Europe, l’hypocrisie politique.

Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs dirigeants européens, au premier desquels Emmanuel Macron, ne se précipitent dans la condamnation et la communication autour de ces événements. Le feu médiatique s’est très vite emparé de l’Élysée, l’entraînant dans une posture hypocrite, comme n’ont pas manqué de le démontrer les responsables politiques et scientifiques brésiliens. Ainsi, le président français qui se félicitait encore quelques semaines auparavant de la signature d’un traité de libre-échange, cette fois-ci avec le Mercosur, et donc le Brésil, s’est empressé de condamner, par la suite, l’industrie alimentaire brésilienne, « responsable » du réchauffement climatique.

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Beaucoup au Brésil se sont également indignés de l’hypocrisie de l’Europe, qui elle-même a eu moins de scrupule à déboiser son continent tout entier au profit de son économie. Ainsi, comme le rappelle le journaliste et universitaire Alexandre Garcia, une grande partie des États européens qui aujourd’hui s’empressent de sermonner le Brésil, comme l’Allemagne ou la France, ne s’est pas privée d’abattre ses forêts pour mieux développer son agriculture [simple_tooltip content=’En France, la déforestation a atteint son acmé durant la période médiévale. Puis il y a eu une période de reboisement à partir du XIXe siècle, si bien que la France dispose aujourd’hui d’un espace forestier plus étendu qu’il y a deux siècles.’](1)[/simple_tooltip]. Il rappelle également le nombre largement plus élevé d’espaces naturels protégés au Brésil qu’en Europe. Alors qu’en réalité, seuls 7,8% du territoire brésilien est dédié à l’agriculture et l’élevage, 60% de la nature brésilienne est préservée. Des chiffres méconnus, loin de ce qui a pu être dit dans la presse, au moment où la condamnation du Brésil faisait consensus.

Bolsonaro, un coupable idéal ?

Et c’est plus particulièrement la condamnation de son président, Jair Bolsonaro, qui fit l’unanimité. Un homme politique de droite, patriote et populaire, n’était-il pas une cible toute trouvée ? Le « Trump tropical » ne pouvait pas échapper au sort qu’a subi son homologue états-unien, celui du lynchage médiatique et du mépris de la classe politique française. Ainsi, que ce soit au travers des Unes des journaux ou des discours du président Macron, Bolsonaro était devenu l’assassin désigné de la biodiversité, à l’origine de la suffocation du monde et du réchauffement climatique. Pourtant, la vérité n’est pas de ce côté de l’Atlantique. Depuis le Brésil, Bolsonaro a rappelé, au travers de discours et de vidéos d’information, l’engagement de l’État dans la lutte contre les incendies. Dans son allocution du 23 août, au sujet des « queimadas », ces feux de forêt d’Amazonie, le président brésilien a martelé l’importance considérable de l’Amazonie, tant pour l’histoire que pour l’identité du pays, et son « profond amour et respect » pour cette région qu’il a lui-même habitée quand il était militaire. Il a également assuré que la protection de sa biodiversité et de ses « richesses incalculables » était un « devoir ». Il en est allé de même, un mois plus tard, lors de son discours à la tribune des Nations Unies, le 24 septembre. Bolsonaro a alors rappelé le principe de sa politique intérieure, celui du compromis entre la préservation de l’environnement, de la biodiversité, du respect des indigènes, et le développement de toutes les régions du Brésil, de façon égalitaire, « au profit du monde et des Brésiliens ».

Enfin la lutte contre les incendies ne s’est pas fait attendre. Très vite, ce sont des effectifs considérables de l’armée brésilienne qui furent déployés sur place, afin de contrôler les feux, régler la situation, aider les populations locales et arrêter les responsables. À ce titre, le président brésilien annonçait l’arrestation de plus d’une soixantaine de « criminels » qui auraient été les catalyseurs des incendies.

Au cœur de l’incendie amazonien, la question de la souveraineté ?

Très rarement évoquée en France, la question de la souveraineté est pourtant celle qui a le plus agité la société brésilienne lors de la prise de dimension internationale des queimadas d’Amazonie. Lors de son même discours à l’ONU, Bolsonaro a condamné les « attaques sensationnalistes » et la « désinformation » des ONG, des médias et des dirigeants étrangers, qui ne font « qu’exacerber le sentiment patriotique brésilien. » Car les critiques du monde entier et les menaces de sanctions internationales ont eu pour réel impact de régénérer deux « peurs » fondamentales au Brésil : celle du néo-colonialisme et celle de l’internationalisation de la forêt amazonienne. Le Brésil s’est beaucoup battu pour défendre sa liberté, son indépendance et son territoire. Particulièrement au nord-ouest, où l’État lutte encore pour intégrer ces régions, et permettre à sa population, plus de 20 millions de personnes, de vivre comme des citoyens à part entière et égaux au reste du pays. C’est la fameuse et très populaire formule du « poumon du monde » qui est montrée du doigt au Brésil. En plus d’être scientifiquement contestable, elle est considérée comme irrespectueuse et colonialiste.

Comme le rappelait Alexandre Garcia, l’internationalisation de l’Amazonie est une vieille menace qui pèse sur le pays. Al Gore, ancien vice-président des États-Unis, avait déjà déclaré que « l’Amazonie n’est pas brésilienne, elle est à tous. » Emmanuel Macron, l’été dernier, a lui-même repris la sémantique mitterrandienne de la « maison commune » pour parler de la forêt amazonienne. Ces remarques sont donc perçues comme des attaques à la souveraineté « sacrée » du Brésil dont parle son président Bolsonaro. C’est ainsi qu’il déplora la tournure que prit le sommet du G7 organisé à Biarritz du 24 au 26 aout derniers, qui, sous l’impulsion du président français, devint une cellule de réflexion sur l’Amazonie et décida des mesures à mettre en œuvre sans même prendre la peine d’inviter le pays concerné. Le général Villas Boas, ancien chef d’État-Major de l’armée de terre brésilienne, parlait alors des déclarations d’Emmanuel Macron comme une « atteinte à la souveraineté. » Bolsonaro rejeta donc l’aide financière proposée par ce G7, mais il accepta celle de Donald Trump qui affirmait comme nécessaire le « respect de la liberté et de la souveraineté » du Brésil.

À propos de l’auteur
Nathan Daligault

Nathan Daligault

Doctorant en science politique
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