<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Timothy Brook, le Chapeau de Vermeer

3 février 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : "Vue de Delft", Johannes Vermeer, 1660-1661 (c) Wikipédia

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Timothy Brook, le Chapeau de Vermeer

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Montrer les liens qui unissent les territoires du monde au XVIIe siècle à partir des tableaux de Vermeer, telle est l’ambition de cet ouvrage publié en 2008 et devenu depuis un succès mondial.

Timothy Brook est un universitaire canadien, spécialiste de la Chine aux XVIe et XVIIe siècles. Il est un éminent représentant de la global history, un courant historiographique qui envisage une histoire du monde pris dans son ensemble et s’intéresse à l’interdépendance des histoires locales. Le succès académique du Chapeau de Vermeer s’inscrit dans le développement de ce champ de recherches, particulièrement en France, où l’ouvrage fut publié en même temps que l’Histoire du monde au XVIe siècle dirigée par Patrick Boucheron. Dans son livre, Brook met en place des méthodes qui seront largement reprises par les chercheurs de l’histoire globale. Quant au succès public, il s’explique notamment par le choix d’entrer dans cette histoire par les toiles du célèbre peintre de Delft : des œuvres familières qui accrochent et rassurent le lecteur tout en matérialisant clairement l’irruption du monde dans l’Europe du XVIIe siècle.

Le premier tableau, la Vue de Delft, permet à l’auteur de présenter les principaux protagonistes : la Compagnie hollandaise des Indes orientales, dont le bâtiment occupe la moitié gauche du tableau, et la Chine, qui se profile en toile de fond comme objet de convoitise. Le petit âge glaciaire est là aussi, qui fait parfois geler le port de Delft et mourir les orangers chinois.

C’est alors que commence le grand voyage. La circulation des objets et des personnes constitue un fil rouge tout au long de l’ouvrage et une démarche méthodologique commode répandue dans les travaux d’histoire globale. Dans L’Officier et la jeune fille riant, le chapeau de feutre du militaire nous emmène sur les traces de Samuel Champlain, à la rencontre des Amérindiens des Grands Lacs, à la découverte du commerce des peaux de castors et des arquebuses. La jatte de fruits de La Liseuse à la fenêtre est l’occasion d’aborder le commerce de la porcelaine chinoise et la piraterie européenne qui en découle. La Femme à la balance permet à Brook d’aborder la circulation monétaire, des mines de Potosí et du Japon jusqu’en Europe et en Chine, en passant par Manille, plaque tournante du commerce asiatique. C’est aussi l’occasion pour l’auteur de porter son attention sur les futurs non advenus : les projets de conquête militaire de la Chine refusés par le roi d’Espagne ou les hésitations des empereurs chinois quant à l’opportunité d’autoriser le commerce maritime. Dans les Joueurs de cartes du peintre hollandais Van der Burch, la présence d’un serviteur noir nous conduit aussi sur les traces des esclaves et des voyageurs qui parcourent le monde.

Avec la Chine et la Hollande, Brook cherche à produire une histoire à parts égales en nous offrant deux points de vue sur cette aube de la mondialisation. Toute la complexité des liens entre les deux espaces apparaît alors. Les potiers chinois élaborent des porcelaines d’une qualité moindre spécialement pour les Européens, avec des motifs adaptés. Les grands bols à soupe creux, si populaires en Hollande, n’ont aucune utilité en Chine où les soupes et l’étiquette sont différentes. Plus généralement, l’auteur rend compte des transformations culturelles engendrées par les contacts. Les motifs peints sur une contrefaçon hollandaise de porcelaine chinoise nous introduisent dans l’histoire mondiale du tabac : une appropriation culturelle multiple et irrésistible qui interroge aussi bien les autorités européennes que chinoises. À travers le récit de plusieurs naufrages, Brook décrit des rencontres cosmopolites et des perceptions diverses de « l’étranger ». La navigation reste une aventure périlleuse et, comme le laisse entendre la carte du Géographe, les renseignements cartographiques représentent désormais un immense enjeu.

Brook montre donc l’émergence du monde. Dans ce monde du XVIIe siècle, le pouvoir d’attraction de l’Empire du milieu demeure central. Vers 1630, l’espoir d’être reçu à la cour de l’empereur pousse un émissaire de Champlain à traverser le territoire huron avec une robe de cérémonie chinoise hors de prix. Le Chapeau de Vermeer confirme la permanence de la Chine comme pôle majeur de l’histoire mondiale.

A lire aussi : Art, ce que le monde doit aux Etats-Unis

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À propos de l’auteur
Laurent-Sébastien L'Huillier

Laurent-Sébastien L'Huillier

Agrégé d'histoire, professeur au lycée Jeanne d'Arc de Mazamet.

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