<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Mer : la marine nationale face à la sécurisation des routes

17 mars 2025

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Mer : la marine nationale face à la sécurisation des routes

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Le transport maritime est l’objet de nombreuses menaces. Ce qui conduit à revoir également la place de la marine militaire dans le dispositif de protection des océans. 

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La sécurisation de l’économie maritime a été l’une des premières missions des marines de guerre. Au fil des siècles, les bergers se sont relayés pour veiller sur le troupeau des navires de commerce, comme l’illustre le livre The Good Shepherd de C.S. Forester, adapté au cinéma en 2020 avec Tom Hanks dans le rôle du commandant de la frégate USS Greyhound chargée de l’escorte d’un convoi allié en pleine bataille de l’Atlantique.

Ce rôle historique de sécurisation de l’économie maritime est aujourd’hui soumis à deux tendances qui compliquent considérablement la tâche du berger.

D’une part, le troupeau est de plus en plus difficile à sécuriser.

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Malgré l’impression de grande transparence donnée par la capacité à suivre la trace d’un navire civil sur son smartphone, la réalité est plus nuancée. Un porte-conteneur appartenant à plusieurs sociétés multinationales opaques, naviguant sous un pavillon de complaisance, servi par un équipage cosmopolite et transportant une cargaison qui change de propriétaire plusieurs fois durant sa traversée, peut brouiller les pistes sans difficulté, comme en témoigne l’activité de la « flotte fantôme » russe qui permet à Moscou de contourner une partie des sanctions internationales. Par ailleurs, la prolifération de systèmes d’information offre paradoxalement autant de possibilités de les pirater ou de les détourner de leur usage, rendant la vraie nature du troupeau difficile à appréhender.

Il est aussi plus difficile de distinguer le loup de l’agneau depuis que l’évolution technologique a accru la dualité des acteurs civils, comme le démontre la capacité de dissimuler des missiles antinavires dans des conteneurs civils proposée par des entreprises russes ou d’installer des kits de ravitaillement à la mer pour bâtiments de combat à bord de navires de commerce chinois. Ces mêmes pays n’hésitent pas à accroître encore cette ambiguïté en développant des flottes scientifiques clairement duales, comme la flotte hydrographique chinoise ou la flotte d’exploration sous-marine russe.

Pour ne rien arranger, l’économie maritime moderne est de plus en plus facile à cibler, car la plupart des nouveaux usages de la mer font appel à des installations fixes : plateformes offshore, câbles sous-marins, éoliennes, usines de désalinisation, sites d’extraction de sable, aquaculture… Pire encore, tous ces systèmes sont pilotés par des réseaux informatiques et des serveurs, également fixes. Enfin, ils génèrent parfois eux-mêmes des obstacles qui compliquent leur sécurisation : les champs d’éoliennes provoquent par exemple des dégradations des performances des radars de surveillance maritime.

D’autre part, le niveau de menace auquel doit faire face le berger a changé d’échelle.

Historiquement, protéger le commerce ne nécessitait pas toujours d’engager la fine fleur d’une flotte, qui était réservée avant tout aux batailles navales : le célèbre navire corsaire de Robert Surcouf n’était qu’une petite corvette, le raider allemand Emden qui terrifiait le Pacifique au début de la Première Guerre mondiale restait un modeste croiseur léger et les meutes de U-boots de la Seconde Guerre mondiale furent repoussées grâce à des moyens certes modernes, mais qui restaient composés en majorité de destroyers rudimentaires et d’avions à long rayon d’action peu complexes, les cuirassés de ligne et les porte-avions lourds étant réservés à la traque des forces de haute-mer de l’Axe.

La démocratisation des missiles, des drones et des systèmes spatiaux, conjuguée à l’accroissement de la vulnérabilité de l’écosystème maritime, a considérablement abaissé le seuil de nuisance envers l’économie maritime tout en augmentant le seuil de réponse minimale : protéger le commerce maritime contre des salves de missiles antinavires ou d’engins balistiques requiert désormais des radars et des missiles à la pointe de la technologie, tandis que la surveillance des câbles sous-marins exige des submersibles aptes à atteindre 6000m de fond dont peu de pays disposent.

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Est-il encore possible de concevoir des navires peu armés au prétexte qu’ils seront dédiés à la protection du commerce, comme la France le fit dans les années 1960 avec les avisos-escorteurs et dans les années 1990 avec les frégates de surveillance ? Rien n’est moins sûr, et le risque serait qu’ils connaissent le même sort que la frégate allemande Baden-Württemberg, contrainte d’éviter la mer Rouge et d’emprunter le cap de Bonne Espérance au retour d’un déploiement dans le Pacifique en octobre dernier parce que ses systèmes antiaériens étaient jugés inadaptés à la menace.

Le bâton du berger ne suffit plus, il lui faut désormais un fusil. Et un bon.

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François-Olivier Corman

François-Olivier Corman

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