L’industrie allemande est à la peine, étranglée par la hausse des prix de l’énergie. La politique de réarmement n’y changera rien : la priorité est d’arrêter le Green deal et de produire une énergie abondante et bon marché.
L’Allemagne, autrefois locomotive économique de l’UE, est aujourd’hui dans une impasse. L’industrie chimique allemande est en chute libre, et le secteur automobile, autrefois source de fierté nationale, vacille dangereusement. Face à cette débâcle, Friedrich Merz, avant même d’être chancelier, est contraint, sous la pression du monde industriel, de proposer des politiques contraires à ce qu’il a affirmé durant la récente campagne électorale. Le bras exécutif de l’Allemagne à Bruxelles, Ursula von der Leyen, obéit et propose de transformer nos industries moribondes en fabricants d’armes !
L’Allemagne revoit sa politique
La présidente de la Commission européenne a même désactivé la « clause de sauvegarde » du cadre budgétaire pour permettre aux États membres de dépasser le seuil des 3 % du PIB. Une générosité soudaine qui encourage même l’Allemagne de changer sa constitution, celle-là même qui a toujours été si rigide en matière de discipline budgétaire.
L’EnergieWende allemande a imposé la transition énergétique à l’ensemble de l’UE. Angela Merkel l’a orchestré, Ursula von der Leyen la met en œuvrer dans l’UE, et Friedrich Merz entend le conserver puisqu’il a obéi aux écologistes de promettre 100 milliards d’euros pour promouvoir l’énergie éolienne et solaire et à fermer ses centrales nucléaires pleinement opérationnelles. Les conséquences sont désastreuses pour toute l’UE.
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Le rapport Draghi de septembre dernier mettait en évidence la perte vertigineuse de la compétitivité européenne dont la principale cause est le coût exorbitant de l’énergie. Il a même souligné la nécessité de réfléchir à l’opportunité stratégique de maintenir toutes les politiques climatiques qui ont conduit à cette augmentation du prix de l’énergie.
Cette initiative de réarmement industriel s’inscrit dans la tradition keynésienne qui caractérise l’UE depuis plus de 70 ans. Cette approche connaît un regain d’intensité, avec une application inédite dans le domaine de la défense : le « keynésianisme de guerre ».
Le « keynésianisme de guerre »
Ces investissements dans le secteur de la défense génèreront quelques retombées positives sur l’ensemble de l’économie. Mais il faudra néanmoins rembourser l’argent engagé, qui ne servira les citoyens européens qu’à travers la création de ce que l’anthropologue américain David Graeber appelle des « emplois à la con ». Ces dépenses permettent de maintenir artificiellement l’emploi tout en donnant aujourd’hui l’apparence d’une politique industrielle, mais qui n’améliore pas la prospérité des citoyens ni leur qualité de vie ; ils ne vont pas subitement nous mettre à acheter des véhicules blindés…
Le paradoxe est frappant : Keynes, qui s’était fermement opposé aux mesures punitives du Traité de Versailles en 1919, dénonçant dans son livre écrit immédiatement après, Les Conséquences économiques de la paix, les dangers d’humilier l’Allemagne, voit aujourd’hui sa pensée économique invoquée inversement pour justifier un « keynésianisme de guerre ». L’ironie historique est profonde : celui qui plaidait pour la réconciliation et la reconstruction plutôt que pour la confrontation voit sa doctrine détournée pour financer une nouvelle course aux armements.
Reconnaitre l’échec du Green Deal
Au lieu de gaspiller des milliards en armements, l’UE devrait avoir l’honnêteté d’admettre l’échec du Green Deal et de revenir à des politiques énergétiques pragmatiques, comme celles qui ont précédé von der Leyen et l’Accord de Paris.
Pendant 64 ans, de la création de la CECA en 1952 jusqu’en 2016, l’UE a mené une politique énergétique tournée vers l’avenir, protégeant les citoyens et l’industrie, créant la prospérité pour tous, comme l’a fait la résolution de Messine, déclarant qu’il n’y aurait pas d’avenir pour l’Union sans une énergie abondante et bon marché.
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Mais au cours de la dernière décennie, sous l’influence de l’Allemagne et des ONG environnementales, les dirigeants européens ont fait des choix radicaux et destructeurs : éliminer les énergies fossiles d’ici 2050, interdire les véhicules thermiques d’ici 2035, subventionner massivement l’hydrogène (une aberration chimique que je décris dans mon livre sur l’utopie de l’hydrogène), tout en privant le nucléaire de tout soutien et même de s’opposer ouvertement au nucléaire pendant des années. Dans les conclusions du dernier Conseil européen du 20 mars, on lit : « rappelons les objectifs énergétiques convenus »… Il n’y a aucune remise en cause de la principale cause du désastre industriel.
Choisir la prospérité plutôt que les armes
Répéter sans cesse « si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre » ne résoudra rien. La vraie solution pour l’UE n’est pas le réarmement, mais l’abandon du Green Deal et le retour à une politique énergétique rationnelle. En revenant à une énergie abondante et bon marché, nous pourrions non seulement relancer notre industrie, mais aussi améliorer le pouvoir d’achat des Européens. Le retour à la compétitivité serait notre meilleure défense face aux défis géopolitiques actuels.
La réindustrialisation nécessaire, qu’elle soit liée à la défense ou non, demeure un mirage sans une énergie abondante, quel qu’en soit le coût. Pour y parvenir, il est impératif d’investir massivement dans des centrales pilotables (nucléaire ou au gaz naturel), un projet que l’on reporte depuis des années dans tous les États membres, qui comprennent bien que les énergies renouvelables seules ne permettront pas d’atteindre cet objectif. Cette réalité reste un tabou.
L’UE doit cesser de chercher des solutions complexes aux problèmes qu’elle a elle-même créés. La voie est claire : reconnaître l’échec stratégique du Green Deal et revenir à une politique énergétique pragmatique, basée sur la diversification des sources et l’indépendance énergétique, seule solution pour rétablir l’orgueil industriel.
Il reste toutefois un espoir. Les « États frugaux », comprenant notamment les Pays-Bas, le Danemark, l’Autriche et la Suède, rejettent catégoriquement l’idée d’émettre des Eurobonds pour financer la défense. Ces pays, traditionnellement réticents à l’endettement commun, craignent que cette approche ne les oblige à supporter le poids financier des États qu’ils jugent moins disciplinés budgétairement. Fait notable, l’Allemagne s’aligne sur la position des pays économes en préférant que Berlin s’appuie sur ses propres capacités de financement, la possibilité de dépasser le plafond lui suffit. Les pays économes s’opposent aussi aux prêts destinés à financer des subventions. Ils rejettent également l’idée de nouvelles ressources propres pour l’UE, les considérant comme un fardeau supplémentaire pour les contribuables nationaux.
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Le fait que le récent Conseil européen ait duré un jour au lieu du jour et demi prévu suggère que les discussions ont été particulièrement difficiles. Cette réduction de la durée du sommet pourrait indiquer que le plan de von der Leyen, soutenu par Emmanuel Macron, n’a pas reçu l’accueil escompté de la part des chefs d’État et de gouvernement. Peut-être que le bon sens reviendra ?