Pourquoi l’Allemagne plonge dans la crise. Entretien avec Markus Kerber

11 janvier 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : A leur tour, les agriculteurs allemands manifestent. (Jens Kalaene/dpa via AP)/ELO101/24011351252806/GERMANY OUT; MANDATORY CREDIT/2401111101
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Pourquoi l’Allemagne plonge dans la crise. Entretien avec Markus Kerber

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Manifestations monstres à Berlin et en Allemagne, crise de l’énergie, fragilité de l’industrie, menaces de fermeture, de multiples crises touchent l’Allemagne. Quelle en est l’origine et comment le pays peut-il en sortir ? Entretien avec Markus Kerber.

Propos recueillis par Louis Juan

Les récents évènements en Allemagne nous apparaissent plutôt opaques de notre côté du Rhin. Qui manifeste et pourquoi ?

La France est habituée à la révolte régulière des agriculteurs. Cela fait partie du paysage politique d’un pays avec un secteur agricole très important et rebelle. En revanche, les agriculteurs allemands – en nombre très inférieur à ceux en France – se manifestent moins. Cette fois-ci, le cri de protestation devrait être entendu même en France et la grogne agricole allemande trouvera un écho en France. La France peut-elle enfin imaginer l’Allemagne révolutionnaire ?

Dans quelles régions ces protestations sont-elles les plus virulentes ?

Partout en Allemagne, les agriculteurs manifestent avec leurs tracteurs et immobilisent la circulation, et ce au moment d’une grève des chemins de fer qui oblige les gens à utiliser la voiture. La nouvelle confiance des agriculteurs et la renaissance de leur fierté sociale les a encouragés à boycotter le ministre de l’Économie, Monsieur Habeck, qui se voyait obligé de rester un peu plus de temps sur son ilot de vacances parce que les agriculteurs avaient empêché sa rentrée sur le continent.

Comment le gouvernement de Scholz accueille ces revendications ?

En stigmatisant les manifestants comme « gens d’extrême droite ». Cela rappelle le traitement des dissidents en RDA par le gouvernement communiste en 1989 : selon le bureau politique du PC tous les dissidents auraient été « revanchistes et fascistes ». De fait, le gouvernement Scholz s’est piégé : il n’a pas compris l’impact de l’annulation des subventions pour l’achat de gasoil, carburant indispensable pour le tracteur. Ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le verre.

Agriculteurs et conducteurs de train en grève, quels risques pour l’économie allemande ?

L’Allemagne s’enfonce dans la récession. Mais les effets politiques sont plus importants. Les gens en ont assez non seulement de ce gouvernement, mais de l’oligarchie des partis : le courrier qui n’arrive plus à sa destination, les trains en retard et tout le réseau ferroviaire en déroute, le harcèlement jacobin de la population par les Verts et des infractions incessantes en matière budgétaire. Trop c’est trop. Le système allemand est aux abois !

La tentative du compromis visant à amoindrir de façon progressive et non directe les subventions trouve-t-elle écho chez les agriculteurs ?

Bien sûr que non parce que le résultat inacceptable pour les agriculteurs restera le même. De plus, ils ne peuvent pas alimenter leurs tracteurs par l’électricité comme des automobilistes. Donc leur combat ne fait que commencer.

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On a entendu Christian Lindner, ministre des Finances allemand, qualifier ces protestations de « disproportionnées ». Croyez-vous que cette crise soit révélatrice d’un écart d’incompréhension entre le peuple allemand et ses élites ?

Le parti dit « libéral » de Monsieur Lindner qui est parvenu en politique après avoir raté sa carrière professionnelle comme « entrepreneur » a lâché toutes ses promesses : pacte de stabilité, rigueur budgétaire, baisse d’impôts et des cotisations sociales. C’est devenu le parti des promesses non tenues qui sera jugé par les électeurs comme il convient. Le plaisir d’être au pouvoir et de fréquenter les grands du monde les a totalement aveuglés. De plus, ce milieu libéral méprise le monde du travail soit dans l’industrie soit dans l’agriculture. Ils auront leur paquet.

En Allemagne, les taxes représentent environ 40% du coût total d’un litre de gazole. Les Allemands doivent-ils craindre une augmentation de celles-ci alors que le pays semble s’enliser dans une crise énergétique ?

Le prix du carburant aujourd’hui est comparable au prix du pain en 1789. L’Allemagne paye très cher les folies écologistes. Ce mouvement antimoderne de puristes jacobins se croit intronisé par l’Histoire afin de réduire les émissions de l’Allemagne à zéro. Rappelons que l’Allemagne est responsable pour 2,5% des émissions en CO2 à l’échelon mondial. C’est donc un défi mondial auquel il faut répondre mondialement.

Au vu de l’impératif du renouvelable manifesté par l’UE comme une rengaine, doit-on redouter des évènements similaires en France ou dans d’autres pays européens ?

Redouter, non, espérer oui.

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