États-Unis, Japon : une relation privilégiée en péril ?

5 avril 2025

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États-Unis, Japon : une relation privilégiée en péril ?

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L’annonce des droits de douane contre le Japon menace l’industrie de l’archipel. Mais c’est aussi la relation politique et militaire qui semble être remise en cause.

Le 29 mars 2025 se tenait à Iwo Jima une cérémonie marquant le 80e anniversaire de la bataille du même nom. À cette occasion, le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba a déclaré « vouloir porter l’alliance américano-japonaise vers de nouveaux sommets » tandis que Pete Hegseth, le secrétaire américain à la Défense, a salué « l’ennemi d’hier devenu l’ami d’aujourd’hui » et une alliance « demeurant la pierre angulaire de la sécurité dans la région indopacifique ».

L’actualité récente est toutefois moins rassurante quant à la pérennité de cette relation si particulière. Craignant les effets des politiques douanières unilatérales de l’administration Trump II, le Japon est surtout inquiet quant au sort de l’accord de protection liant l’archipel à la première puissance mondiale. En cela, l’attitude de Donald Trump vis-à-vis de l’Ukraine n’est pas de nature à rassurer les dirigeants nippons, en particulier au regard de la politique expansionniste de la Chine et de la menace que représente la Corée du Nord.

Le « Trump Shock » ou les effets néfastes des droits de douane

La coopération économique entre Washington et Tokyo ne s’est pas toujours déroulée sans heurts. Au début des années 1980, le président républicain Ronald Reagan, père spirituel de la doctrine « peace through strength » qu’il appliquait tant aux conflits militaires qu’aux différends commerciaux, avait imposé une limitation à l’import de voitures japonaises à 20% de ce que pouvait absorber le marché de l’automobile américain[1]. Le constructeur Toyota, particulièrement visé, s’était ainsi vu menacé d’éventuelles sanctions prises à son endroit par le Congrès.

Plus récemment, alors que le groupe japonais Nippon Steel avait annoncé un projet de fusion via l’acquisition de l’entreprise américaine US Steel, le président Biden s’y était opposé. D’abord au point mort, le deal a trouvé un nouveau souffle sous l’impulsion de Donald Trump, qui a amené les deux parties a privilégié un « gros investissement » plutôt qu’une acquisition[2].

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Ce jeudi 27 mars, l’administration Trump a imposé des droits de douane à hauteur de 25% sur toutes les importations automobiles, pièces comme véhicules. Le Japon, dont le secteur automobile est la première industrie, le marché américain représentant 30% de ses exportations en la matière[3], a aussitôt vu les actions de ses principaux constructeurs connaître des baisses inquiétantes à la bourse de Tokyo.

Le coup est rude pour les dirigeants japonais, d’autant que ces derniers s’étaient préalablement engagés à investir plus de 1 000 milliards de dollars aux États-Unis, selon le Japan News[4]. Le porte-parole du gouvernement japonais, Yoshimasa Hayashi, a estimé « extrêmement regrettable »[5] que le Japon ne bénéficie pas d’une exonération au regard des efforts consentis pour constituer un allié économique solide. Au-delà de mettre en péril un partenariat économique bilatéral historique, les conséquences sur le marché de l’emploi de l’archipel pourraient être considérables.

L’industrie touchée

Alors que plus de 5 millions d’emplois dépendent de l’industrie automobile au Japon, soit 8% de la population active[6], les économistes anticipent un manque à gagner pour les entreprises japonaises pouvant impacter le marché de l’emploi dans ce secteur. D’autant plus que Toyota a expliqué ne pas souhaiter répercuter la hausse des coûts sur le consommateur américain. Des interrogations se posent également pour des constructeurs en moins bonne santé financière, comme la société Nissan.

De plus, lors des annonces faites à l’occasion du Liberation Day, ce mercredi, le président américain a confirmé les craintes japonaises en annonçant des droits de douane à hauteur de 24% pour les importations en provenance de l’archipel. Donald Trump a justifié cette décision en arguant que « le Japon, nos amis, va jusqu’à 700%. C’est parce qu’ils veulent vendre leur riz et c’est normal, je les comprends »[7]. Sans démentir ce chiffre de 700%, le Japan Times estime toutefois qu’il ne concernait qu’une faible portion du riz importé[8].

Les craintes suscitées par les effets de ces droits de douane inattendus sont pourtant presque secondaires au regard des risques sécuritaires que pourrait impliquer la politique internationale du nouveau locataire de la Maison-Blanche.

Tokyo face à la jurisprudence ukrainienne

Le revirement de l’administration américaine dans le cadre du conflit opposant l’Ukraine à la Russie a eu des répercussions bien au-delà de l’Europe. Qu’il s’agisse d’un coup de bluff dont Donald Trump est friand afin de s’octroyer l’accès aux terres rares ukrainiennes, d’un choix clair dans la hiérarchie des priorités en vue de se focaliser sur la Chine, présentées comme l’ennemi numéro un depuis l’époque Obama, ou encore d’une faveur faite à Vladimir Poutine en raison d’une fascination réciproque, la préoccupation des alliés asiatiques des États-Unis n’en demeure pas moins vive.

Outre Taïwan, la Corée du Sud, Singapour ou encore les Philippines, le Japon fait partie des partenaires des États-Unis à craindre que le désengagement de ces derniers au détriment de Volodymyr Zelensky ne fasse jurisprudence et ne devienne un corollaire de la politique isolationniste du tenant de l’America First. Cela conduirait le Japon à se retrouver vulnérable face aux velléités expansionnistes de Pékin et au comportement imprévisible du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Pour le moment, le Japon se contente de faire part de ses inquiétudes en rappelant la nécessité de « maintenir l’unité du G7 » sans toutefois viser de manière trop frontale Donald Trump.

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Les récentes déclarations du président américain pourraient cependant contribuer à accroître ces inquiétudes. Ce dernier a en effet estimé que l’accord liant son pays au Japon était à sens unique : « Nous devons protéger le Japon, ils font des fortunes grâce à nous, mais en aucun cas le Japon n’a à nous protéger. Qui fait ces deals ? »[9]. Ces propos ont surpris au Japon, surtout si l’on tient compte des éloges qu’adresse fréquemment l’auteur de The Art of the Deal à cette nation ainsi que de l’amitié qui unissait Donald Trump à Shinzo Abe, ancien premier ministre nippon, dont la veuve Akie Abe a récemment été invitée à Mar-a-Lago[10].

Si la plupart des observateurs y voient un simple moyen de pression commerciale, côté japonais, on s’inquiète de la solidité d’un traité signé en 1951 et amendé en 1960. Lorsque ce traité fut signé, la Corée du Nord ne représentait pas encore une potentielle menace nucléaire. Dans ces conditions, le soutien de Washington serait perçu comme moins certain en cas de nécessité. S’ajoute à cela la crainte d’éventuels problèmes de coordination avec la Corée du Sud, autre partenaire des États-Unis, en cas de menace chinoise ou nord-coréenne. Des doutes qu’une déclaration tripartite[11] n’a pas tout à fait dissipés.

En plus d’avoir évoqué la mise en place d’un équivalent asiatique de l’OTAN, Shigeru Ishiba, avant de devenir Premier ministre, avait proposé « le partage des armes nucléaires américaines ou l’introduction d’armes nucléaires dans la région »[12]. De quoi pousser le Japon à développer sa propre défense nucléaire ? Cela n’est pas certain, l’opinion publique japonaise restant très largement opposée à cette option. Quoi qu’il en soit, les dirigeants nippons ont récemment envisagé le déploiement de missiles de longue portée sur l’île de Kyushu, qui se situe au sud de l’archipel.

[1] https://www.nytimes.com/1985/03/06/opinion/auto-quota-we-asked-for-it-president-reagan-s-decision-let-lapse-import-quota.html

[2] https://thediplomat.com/2025/02/the-strange-stability-of-the-japan-us-relationship/

[3] https://www.lefigaro.fr/societes/les-droits-de-douane-de-donald-trump-une-onde-de-choc-pour-l-industrie-automobile-japonaise-et-coreenne-20250327

[4] https://japannews.yomiuri.co.jp/politics/politics-government/20250208-237666/

[5] https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/us-tariffs-on-auto-imports-will-have-extremely-large-impact-on-japan-warns-premier-ishiba/3522311

[6] https://www.reuters.com/business/autos-transportation/trump-auto-tariffs-take-aim-pillar-asian-economies-national-pride-2025-03-27/

[7] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/taxes-de-20-sur-les-produits-europeens-rendre-l-amerique-riche-a-nouveau-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-de-trump-sur-les-droits-de-douane-20250402

[8] https://www.japantimes.co.jp/news/2025/03/12/japan/japan-rice-tariffs/

[9] https://www.nationalreview.com/corner/president-trump-on-japans-military-limits-who-makes-these-deals/

[10] https://www.spectator.co.uk/article/is-trump-going-to-rip-up-the-us-security-alliance-with-japan/

[11] https://www.defense.gov/News/Releases/Release/Article/3852146/japan-united-states-republic-of-korea-trilateral-ministerial-joint-press-statem/

[12] https://www.spectator.co.uk/article/does-japan-want-its-own-nuclear-weapons/

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À propos de l’auteur
Edouard Chaplault-Maestracci

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