Un nouveau numéro qui étudie les exhumations dans la France de la Libération
Revue historique des armées N° 316 – 2025. Exhumations dans la France de la Libération.
Ce numéro de la revue historique des armées traite essentiellement d’un sujet qui a été largement exploré pour la première guerre mondiale, mais qui a trouvé une certaine actualité à l’occasion de travaux sur les crimes de masse et génocides qui ont pu marquer la dernière décennie du XXe siècle. Nous pensons évidemment au Rwanda et à l’ex-Yougoslavie.
En réalité, si l’on se base sur l’introduction scientifique de ce numéro, l’analyse médicolégale a été prise en compte dès la guerre de Crimée, la guerre franco-prussienne de 1870. L’enjeu était essentiellement politique et mémoriel, les inhumations, les exhumations, les réinhumations se sont inscrites dans une lecture morale du passé en sortie de guerre.
Pour ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, au-delà des actions de guerre engageant des armées régulières, il existait un certain vide à propos de la recherche des combattants de la libération appartenant aux différents mouvements de résistance. Pour autant le service des anciens combattants, des 1945, s’est largement préoccupé de comptabiliser les victimes, notamment pour constater qu’il manquait 70 000 cadavres.
Au-delà des actions concernant les combattants de résistance, cette publication aborde également la question des victimes des bombardements massifs, alliés, et le traitement de leurs dépouilles. Des cimetières ont dû être réaménagés, parfois entièrement créés.
Retrouver, identifier et célébrer ses morts. Les corps des victimes de représailles dans le processus de deuil des communautés locales Par Raphaële Balu
Les victimes de représailles sont l’objet, dans leur communauté villageoise, d’un traitement particulier. Si les 642 victimes d’Oradour-sur-Glane, ainsi que les 99 civils pendus à Tulle, le 9 juin 1944, ont été largement commémorés, ce n’est pas forcément le cas de la commune de Bucheres dans l’Aube où le passage d’une unité de SS a fait 67 victimes de tous âges, dont 14 enfants, le 24 août 1944. Des dizaines de communes ont subi un traitement de même nature pendant cette période de l’été à l’automne 1944, sous le repli des troupes allemandes.
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Les lieux d’inhumation, monuments de la Résistance Par Déborah Sautel
Très rapidement les survivants ont souhaité honorer leurs morts, surtout lorsque l’occupant imposait comme à Tulle des inhumations dans une décharge. Pendant les derniers mois d’exercice du pouvoir par le régime de Vichy, l’attitude des autorités a été assez ambivalente, interdisant souvent de fleurir les sépultures.
L’ensemble de ce numéro est donc consacré à différentes trajectoires concernant les inhumations, les monuments commémoratifs, mais également le cas très particulier de dépouilles des victimes des bombardements, comme ceux du Havre en septembre 1944.
À la libération le ministère a d’ailleurs consacré un budget à la prise en charge des inhumations et des réinhumations des victimes des différents « faits de guerre ». Les familles des patriotes fusillés bénéficiaient d’ailleurs de frais pris en charge plus élevés que pour les autres victimes, ce qui correspondait bel et bien une volonté de mettre en valeur le sacrifice de la résistance.
Pierre Guérin (1923-1943). La trajectoire fulgurante d’un enfant de Villedieu-les-Poêles – Par Philippe Clairay
Cet article évoque la trajectoire fulgurante d’un enfant de Villedieu – les – Poêles, dans la Manche. Pierre Guérin s’engage dans la France libre début 1941 et quitte la zone occupée pour lutter contre l’occupant et poursuivre la bataille. Avec son camarade Gustave Sillard, et après avoir échoué à rejoindre Gibraltar, il s’engage au titre des équipages de la flotte qui, selon les conditions de l’armistice, restait sous l’autorité du gouvernement de Vichy. Après le sabordage de la flotte à Toulon le 27 novembre 1942, Pierre Guérin est démobilisé et très rapidement, après son retour dans la Manche, parvient rejoindre la résistance en Haute-Savoie en intégrant le camp Mont-Blanc à Bernex. Le 17 décembre 1943, le camp est attaqué, et malgré une résistance acharnée l’essentiel du groupe doit se rendre. Pierre Guérin est exécuté avec ses camarades. Les corps sont enterrés le samedi 18 décembre, le corps de Pierre Guérin sera exhumé en 1948 et inhumé à nouveau à Villedieu, ou un travail de mémoire a été largement poursuivi par sa commune natale. Une croix brisée rappelle cette courte vie de résistant.
On lira également avec profit cet article : Corps bombardés corps exhumés et corps déplacés. Les dépouilles des victimes des bombardements du Havre de septembre 1944 – Par Thomas Vaisset, qui aborde le sort des 2000 morts victimes des bombardements du Havre en septembre 1944. 10 000 t de bombes sont lâchées sur la ville qui rosé à 80 %.
Les autorités locales semblent avoir anticipé les conséquences de la position du Havre comme port stratégique du mur de l’Atlantique en demandant à toute personne se déplaçant de porter des papiers d’identité pour faciliter l’identification ! Très rapidement, pour des raisons sanitaires, les victimes sont inhumées à titre provisoire, mais paradoxalement le maire Pierre Courant mise en place par Vichy, révoqué à la libération parvient à défendre la thèse du « bouclier » pour les populations civiles et retrouve un siège de député et une carrière ministérielle sous la IVe République.
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Pour ce qui concerne les victimes, elles sont dispersées au hasard dans l’espace urbain, puis dans des cimetières provisoires, avant qu’une disposition réglementaire du début de l’année 1945 impose une réinhumation dans un périmètre de 50 km autour du lieu du décès.
La ville du Havre entretient, une certaine mémoire de ces bombardements, avec parfois des plaques commémoratives pour certaines victimes, mais il reste encore beaucoup à découvrir, notamment dans les archives privées de Pierre Courant aux archives municipales du Havre.
On lira également beaucoup de profits les autres articles de ce numéro :
Traces documentaires : le trajet du corps de Paul Bauer, Juif fusillé en France, de Simard à Romanswiller – Par Jean-Marc Dreyfus
Le corps de Georges Mandel (1944-2014…) – Par Bruno Bertherat