Les visites des chefs d’État et de gouvernement sont réglées par un ordre protocolaire précis. Elles sont le signe des relations d’amitié et d’une tradition qui traverse les temps.
Article paru dans le no56 – Trump renverse la table
Les visites des souverains, des chefs d’État ou de gouvernement par leur faste, leur apparat, leurs cérémonies ont fréquemment fait la une de la presse people, comme aujourd’hui des réseaux sociaux. Elles donnent un éclat à la diplomatie et la hissent à des cimes qu’elle ne franchit pas toujours. En un sens, si ces visites officielles s’éloignent du sens originel, du mot visitare voulant dire « voir souvent », car elles sont plutôt uniques, elles s’en rapprochent pourtant en ce qu’elles veulent dire aussi « venir voir quelqu’un ». Car c’est le but de ces visites officielles que d’illustrer la proximité et les ententes entre les dirigeants et leur peuple. Jadis entourées d’un véritable prestige, parce que rares, ces visites ont tendance à se banaliser.
À différentes visites, différents traitements
« Grand organisateur de la République », c’est le protocole d’État qui prépare et garantit le bon déroulement des événements diplomatiques internationaux, comme les déplacements à l’étranger du président de la République et du Premier ministre, ainsi que les visites en France des chefs d’État et de gouvernement étranger. En France, comme c’est fréquemment le cas à l’étranger, le protocole est traditionnellement rattaché à la diplomatie. Le chef du protocole d’État assure le protocole du chef de l’État et son adjoint garantit celui du chef de gouvernement. Le directeur du protocole, introducteur des ambassadeurs, a lui-même rang d’ambassadeur. La direction du protocole d’État et des événements diplomatiques comprend une centaine d’agents polyvalents, dont l’expertise et le savoir-faire sont souvent sollicités.
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Comme le rappelle le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le protocole français distingue quatre types de visites : les visites d’État, les visites officielles, les visites de travail et les visites privées. De cette classification en découlent l’organisation et le type d’honneurs qui seront rendus au visiteur étranger. La visite d’État est sans conteste la plus importante dans la hiérarchie protocolaire. Voilà pourquoi, comme tout ce qui est rare est cher, seules trois à cinq visites de ce type sont programmées chaque année. En 2024, année des Jeux olympiques, Paris a accueilli le président chinois Xi Jiping du 5 au 7 mai, puis le roi Philippe de Belgique et la reine Mathilde le 14 octobre.
Seuls les chefs d’État sont reçus en visite d’État
Une visite d’État ne s’effectue qu’entre chefs d’État, à la différence des visites officielles qui peuvent impliquer des chefs de gouvernement, des ministres ou encore des diplomates de haut rang. Le chef d’État reçu en visite d’État a, au préalable, été invité par son homologue. Soit en réponse à une visite faite par le président de la République dans son pays, soit pour honorer son hôte dont on attend une attitude plus favorable aux intérêts de la France ou pour renforcer et rendre encore plus visible une coopération déjà existante. C’est ainsi que le colonel Kadhafi, Bachar al-Assad, Narendra Modi ou Donald Trump ont été invités lors de la célébration du 14 juillet. Le Premier ministre Modi a assisté au défilé du 14 juillet 2023 lors duquel trois Rafale indiens et environ 240 militaires des forces armées indiennes ont défilé.
Leur visite aura été organisée d’un commun accord, et des visites de repérage auront eu lieu en amont afin de fixer précisément son déroulé, heure par heure, minute par minute, ce qui exige un savoir-faire à toute épreuve.
Une visite d’État dure généralement trois jours, plus rarement quatre, ou encore davantage, ce qui est exceptionnel. On est bien loin aujourd’hui du voyage effectué en avril-mai 1717 par Pierre le Grand, dont le comte d’Haussonville décrit une partie du programme des visites du tsar russe : « Le jour même de sa réception aux Tuileries, il avait visité dès 8 heures du matin la place Royale, la place des Victoires, la place Vendôme. Le 12 mai, on le conduisit à l’Observatoire, aux Gobelins, au Jardin du Roi ; le 14 à la grande galerie du Louvre où on lui montra le plan des villes fortifiées ; le 16 aux Invalides où il goûta la soupe des soldats, but à leur santé, et, après avoir tâté le pouls à l’un d’eux qu’on tenait pour perdu, lui prédit qu’il en reviendrait (pronostic qui se vérifia) ; le 17 à Saint-Cloud ; le 18 à Issy ; le 21 au Luxembourg ; le 23 à Meudon ; le 24 aux Tuileries ; le 25 à Versailles ; le 26 à Marly… » (Revue des Deux Mondes, tome 137, 1896)
De nos jours, c’est un ministre ou, dans certains cas plus solennels, le président de la République, qui se déplace à l’aéroport pour accueillir la personnalité à la descente de l’avion. Tel fut le cas du général de Gaulle qui accueillit Nikita Khrouchtchev le 23 mars 1960 avec un : « Eh bien vous voilà ! »
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Puis le cortège se rend aux Invalides. Le trajet entre l’aéroport et Paris ne s’effectue en hélicoptère qu’avec l’accord du visiteur. Le cortège aéroporté est composé de trois appareils. Il est strictement réservé aux visites d’État. L’escorte qui l’accompagne jusqu’à l’hôtel de Marigny où est hébergé l’hôte de la France compte 28 motocyclistes de la Garde républicaine. L’escorte à cheval, encore de rigueur sous François Mitterrand, a été supprimée en son temps par Jacques Chirac.
Chaque visite d’État débute, après l’arrivée en France du chef d’État invité, par une cérémonie d’accueil. Le tapis rouge est déroulé. L’invité passe en revue les troupes françaises et reçoit les honneurs militaires. Généralement organisée aux Invalides, elle peut également avoir lieu à l’Arc de triomphe. Ce sera le cas pour Raúl Castro, comme cela l’avait été avec la reine d’Angleterre en 2014, où une gerbe avait été déposée sur la tombe du Soldat inconnu à l’occasion du 70e anniversaire du Débarquement. Des cérémonies d’accueil similaires peuvent être orchestrées lors de visites officielles. Dans le cas d’une visite d’État, cette cérémonie se tient cependant la plupart du temps en présence du président de la République. À ces occasions, l’avenue des Champs-Élysées est ornée du drapeau du pays du chef d’État invité.
Lors de son séjour, l’hôte sera reçu par le président de la République pour le dîner d’État où les toasts seront portés au début du repas, comme le veut la coutume en France. Les deux parties procèdent à l’échange de cadeaux qui peuvent être remis directement ou de protocole à protocole. Riche en décorum et convoité, le dîner d’État constitue le moment incontournable de toute visite d’État. Le chef des cuisines de l’Élysée et son équipe, déjà familiers d’un certain standing, enfilent alors les petits plats dans les grands pour satisfaire les membres de gouvernement, diplomates, personnalités et autres invités privilégiés, tous vêtus d’une tenue de gala. Rassemblant autour de 200 à 250 hôtes choisis par les deux chefs d’État, ces rendez-vous gastronomiques offrent aux convives un menu étayé gardé secret jusqu’au bout en l’honneur de l’invité et une dégustation des vins de l’Élysée. À titre d’exemple, le dîner d’État organisé en 2013 lors de la visite du président allemand Joachim Gauck était notamment composé de homard et de gelée aux couleurs allemandes, de turbot grillé, de gâteau de truffe et de marbré d’épinard, le tout arrosé de Montrachet, de Château Ausone et de Saint-Émilion.
Après une arrivée sur tapis rouge dans la cour de l’Élysée, les participants peuvent prendre un apéritif dans un salon. Ensuite, ils passent à table. Le plan de table est précis. On ne choisit pas. Il y a des tables rondes d’une dizaine de convives. Le tout est disposé en « U » avec la table d’honneur au bout. Le dîner dure au maximum une heure et demie. Ensuite, les participants ont la possibilité de prendre un café dans ce qu’on appelait autrefois le fumoir. Maintenant, on ne fume plus. Mais il y a un digestif si l’on veut. Vers 22 h 30, la soirée s’achève.
Des rendez-vous incontournables
Le lendemain, l’invité se rendra en fonction des emplois du temps et de leur présence à Paris à l’hôtel Matignon chez le Premier ministre, ainsi qu’à une réception à l’Hôtel de Ville de Paris en présence du maire de la ville. Une visite à l’Assemblée nationale ou au Sénat est également de mise, suivie d’un discours devant les députés. Ce dernier n’est toutefois pas absolument obligatoire, certains chefs d’État dérogeant à ces rencontres. Un dîner est parfois organisé au château de Versailles. Le reste de la visite d’État s’élabore en fonction des désirs de l’invité. Fidel Castro s’est ainsi rendu au musée de l’Homme à Paris le 2 février 1995, après une série d’entretien avec des personnalités politiques françaises.
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Le voyage se continue souvent en province avec la visite d’entreprises exportatrices (Airbus à Toulouse). Ainsi, le 7 mai 2024, Emmanuel Macron et Xi Jinping se sont rendus dans les Hautes-Pyrénées. Le président chinois a été invité à déjeuner chez un éleveur et restaurateur local au col du Tourmalet, dans un territoire à la symbolique personnelle pour le président Emmanuel Macron, tout comme l’était le moment que les deux dirigeants ont partagé à Canton lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine en 2023.
À la fin de la visite, l’invité est reconduit par le chef du protocole à l’aéroport, généralement à Paris. Les honneurs lui sont rendus.
Un programme pour les épouses est généralement mis sur pied et peut comprendre des visites dans les grandes maisons de couture parisiennes, des visites d’hôpitaux ou d’écoles, une exposition…
Avec la visite officielle, le protocole est simplifié
L’escorte de motards est réduite. Il n’y a pas de visite au maire de Paris. Elle peut durer de deux à trois jours. Les personnalités sont accueillies au salon d’honneur de l’aéroport. Pour une visite officielle, un chef d’État invité est accompagné de cinq motards de la préfecture de police et de trois motards pour les déplacements privés.
Les visites de travail sont des entrevues politiques suivies d’un déjeuner. Paris en accueille environ trois ou quatre par semaine. À l’arrivée de leur avion privé, les personnalités sont reçues au salon d’honneur de l’aéroport. Dans certains cas, ils prennent un repas avec le Premier ministre ou le président de la République. Dans d’autres cas, il n’y aura qu’un entretien avec quelques rafraîchissements. La tradition s’est instaurée entre la France et l’Allemagne selon laquelle le nouvel élu, président ou chancelier, effectue sa première visite – qui est de travail – chez son partenaire.
Enfin, la visite privée
Lors des visites privées, l’ambassade informe simplement le service du protocole pour faire ouvrir un salon d’honneur à l’aéroport. La sécurité, si nécessaire, sera assurée par le service de la protection (SDLP). Dans ces visites, l’État français est toujours avisé, ne serait-ce que pour l’autorisation de survol du territoire.
Les « mousquetaires de la République »
Le SDLP, service de la police nationale, est chargé de missions de protection rapprochée et d’accompagnement de sécurité au profit des dirigeants ou ex-dirigeants de la République française, de ses hôtes étrangers ou bien encore de personnes menacées. Son épopée a commencé en 1935 avec la création des VO, voyages officiels, mythique service créé après le double assassinat à Marseille du roi Alexandre de Yougoslavie et du ministre des Affaires étrangères Louis Barthou. Embryonnaire, l’unité commence à se structurer avec les « gorilles » du général de Gaulle, dont la garde rapprochée, issue de la France libre, est constituée de commandos marine et d’officiers parachutistes.
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Depuis sa montée en puissance en 1994, le SDLP met en œuvre les mesures nécessaires à l’organisation matérielle et à la sécurité des visites officielles en France et à l’étranger. Il emploie quelque 1 500 policiers triés sur le volet. Basé à Paris, rue de Miromesnil, il dispose également d’une antenne permanente à Strasbourg où siègent plusieurs institutions européennes, dont le Parlement européen, ainsi qu’en Corse. Le dispositif du SDLP est complété par le garage « police » qu’il gère à Pantin, où sont réparés et entretenus 2 600 voitures de la direction de la police nationale. Ces mécanos aux mains habiles font du cousu main dans l’habitacle pour y entreposer des armes discrètes.