La visite du Premier ministre indien pour renforcer le partenariat stratégique franco-indien

4 mai 2022

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Photo : Emmanuel Macron accueille le premier ministre indien Narendra Modi au château de Chantilly en août 2019 (c) SIPA AP22370195_000024
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La visite du Premier ministre indien pour renforcer le partenariat stratégique franco-indien

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Le Premier ministre Modi effectue sa première visite à l’étranger de l’année en Allemagne, au Danemark et en France du 2 au 4 mai 2022. L’accent sera mis sur la coopération dans des domaines tels que le commerce, la reprise économique postpandémie, le changement climatique, l’innovation et la technologie, les énergies renouvelables et l’évolution de la sécurité mondiale. Il s’agit de sa quatrième visite en France depuis 2015 et elle ne pouvait pas arriver à un moment plus opportun avec la réélection d’Emmanuel Macron pour un nouveau mandat présidentiel et dans le contexte du conflit en cours en Ukraine alors que la région est confrontée à de nombreux défis.

Traduit par la revue Conflits.

Le rapprochement croissante entre les deux nations, soutenue par la bonne équation personnelle entre Modi et Macron, contribue à cimenter le « partenariat stratégique » – le tout premier partenariat de ce type que l’Inde a signé avec un pays lors de la visite du président Jacques Chirac en 1998. Pour l’Inde, la France est un partenaire fiable depuis des décennies. Elle fut la seule grande puissance à ouvrir des discussions avec l’Inde après les essais nucléaires de mai 1998, lorsque l’Inde s’est déclarée État doté de l’arme nucléaire. Le président Chirac a décrit l’exclusion de l’Inde de l’ordre nucléaire mondial comme une anomalie qui devait être rectifiée. La France a également été l’un des premiers pays à soutenir la candidature de l’Inde à l’ONU pour le siège permanent au Conseil de sécurité. Dernièrement, la France a soutenu la position de l’Inde sur le Cachemire, tout en soutenant la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sanctionnant le terroriste pakistanais Masood Azhar, ainsi que les sanctions plus sévères du GAFI[1] contre le Pakistan. Plus récemment, les deux nations ont étendu leurs intérêts communs à la région indopacifique, la France considérant l’Inde comme l’un de ses principaux partenaires indopacifiques et un des acteurs majeurs de la région.

Ce partenariat multiforme s’étend sur plusieurs axes de coopération : nucléaire civil, défense, commerce et investissement, transport, lutte contre le terrorisme, espace, cybersécurité et numérique. Au fil des années, la coopération de l’Inde avec la France en matière de défense s’est accrue, cette dernière devenant le deuxième fournisseur d’armes de l’Inde (après la Russie). La fourniture de jets Rafale à l’Inde pendant les affrontements frontaliers avec la Chine et les possibilités croissantes de coopération accrue en matière de sécurité et de partage de renseignements entre les deux pays sont un signe de confiance mutuelle. Le 20 avril, le sixième et dernier sous-marin de la classe Scorpène de la marine indienne a été lancé. Il a été construit par le français Naval Group en collaboration avec Mazagon Dock Shipbuilders Limited. Il est désormais possible que la France propose son sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda dans le cadre du projet 75 Alpha de la marine indienne depuis la visite de la ministre française de la défense, Florence Parly, à New Delhi en décembre dernier. Ce signal intervient alors que l’Australie a brusquement annulé l’accord de 90 milliards de dollars conclu avec la France concernant les sous-marins à propulsion diesel et a choisi de poursuivre l’option des sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre du nouveau partenariat AUKUS (Australie, Royaume-Uni et États-Unis). Indépendamment du fait qu’il s’agisse d’un revers majeur pour la France, les analystes estiment que cela permettra de renforcer le partenariat de défense entre l’Inde et la France. La 20ème édition de « Varuna », un exercice naval de cinq jours entre les deux pays en mer d’Oman, qui s’est tenue récemment, reflète la convergence croissante de leur coopération en matière de sécurité maritime. Comme l’a indiqué M. Jaishankar, l’Inde considère la France comme un partenaire « de confiance » dans la lutte contre une myriade de défis sécuritaires, des fonds marins à l’espace et du cyberespace aux océans.

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La visite de Modi permettra de renforcer le partenariat stratégique franco-indien et d’échanger des points de vue sur les développements stratégiques, régionaux et mondiaux ; bien qu’elle intervienne à un moment où l’Inde et la France (et les pays de l’UE) ont des points de vue divergents sur le conflit en Ukraine. L’Inde, qui est la plus grande démocratie du monde, a été invitée à condamner l’agression russe et à se ranger du côté de ses partenaires occidentaux. Elle n’a pas encore condamné publiquement la Russie et a souligné sa position claire sur la question de l’Ukraine, appelant à la cessation des hostilités et à la résolution du conflit par le dialogue et la diplomatie. Contrairement à l’UE, qui a adopté une approche ferme et déliée vis-à-vis de la Russie, l’Inde a adopté une approche plus neutre, conforme à sa politique étrangère de non-alignement. Cela a créé une différence d’opinion et de posture des deux parties sur l’intervention russe. Il existe néanmoins une compréhension implicite de la position de l’Inde et de ses contraintes stratégiques vis-à-vis de la Russie. New Delhi et Moscou jouissent d’un partenariat profond et historique « tous temps » (all-weather), bien avant que le monde occidental ne s’engage de manière significative avec l’Inde. Par conséquent, le développement des relations de l’Inde avec la France et d’autres partenaires occidentaux ne doit pas se faire au détriment de ses relations avec la Russie. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’UE, le Royaume-Uni et même les États-Unis acceptent tacitement la position de l’Inde sur le conflit.

Malgré des points de vue opposés sur le conflit ukrainien, l’Inde et la France cherchent à se concentrer sur les domaines de convergence et d’intérêt mutuel en vue d’une collaboration. Dans ces circonstances difficiles, la société informatique française Atos a récemment transféré une partie de ses activités russes en Inde afin de fournir des services numériques essentiels à certains de ses clients internationaux. Cela crée des opportunités pour l’Inde, qui pourrait devenir une importante destination d’IDE pour les entreprises françaises qui envisagent de se diversifier. Ce point de vue a été repris par Franck Riester, ministre français du commerce extérieur et de l’attractivité économique, lors de sa visite à New Delhi en mars, suggérant que l’Inde jouera un rôle clé dans la mesure où l’Europe et la France cherchent à atteindre une autonomie stratégique dans leurs chaînes d’approvisionnement, sur fond de Covid-19 et de sanctions imposées à la Russie ces dernières semaines.

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Le partenariat économique et commercial entre les deux pays est également en hausse. La récente visite de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à New Delhi, a donné un nouvel élan à l’ambitieux accord de libre-échange entre l’Inde et l’Union européenne, qui devrait être conclu d’ici 2024. La France, en tant que présidente actuelle du Conseil de l’UE, fait pression pour atteindre cet objectif. Cela stimulera inévitablement le commerce et les investissements entre la France et l’Inde. De janvier à décembre 2021, le commerce bilatéral de marchandises entre l’Inde et la France (hors équipements militaires) s’est élevé à 13,3 milliards de dollars (+39,17% par rapport à la période correspondante de l’année précédente). Les exportations indiennes vers la France ont été évaluées à 7,1 milliards de dollars, soit une hausse de 39,36 % au cours de cette période. Les importations indiennes en provenance de France ont également augmenté de 38,98 % pour atteindre 6,2 milliards de dollars. Néanmoins, il existe un énorme potentiel de coopération accrue dans des domaines tels que l’innovation, l’éducation, les énergies renouvelables et le secteur technologique. Plus de 1 000 établissements français sont déjà présents en Inde, employant environ 300 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards de dollars. La France a un investissement cumulé de 10,06 milliards USD d’avril 2000 à décembre 2021. Simultanément, environ 200 filiales d’entreprises indiennes sont établies en France.

Alors que l’Inde et la France célèbrent les 75 ans de leurs relations diplomatiques, la visite du Premier ministre indien arrive à point nommé et sera l’occasion de poursuivre l’engagement de haut niveau entre les deux pays après les élections présidentielles françaises. Cela permettra de consolider davantage leurs relations bilatérales et de dégager des domaines de coopération plus larges pour relever les défis de l’économie mondiale.

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[1] Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

À propos de l’auteur
Mohit Anand

Mohit Anand

Mohit Anand est professeur de commerce international et de stratégie à l'EM LYON, en France.
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