BRICS et le Sud global : un ordre mondial en recomposition ?

26 avril 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Les dirigeants des pays du BRICS lors du sommet du G20 de 2019 à Osaka au Japon. De gauche à droite : Xi Jinping, Vladimir Poutine, Jair Bolsonaro, Narendra Modi et Cyril Ramaphosa. c : Alan Santos / PR

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BRICS et le Sud global : un ordre mondial en recomposition ?

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À l’origine composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et rejoint ensuite par l’Afrique du Sud, le groupe BRICS a accueilli de nouveaux membres : l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, l’Indonésie et l’Iran. Il agit aujourd’hui comme un forum de coordination politique et diplomatique pour les pays du Sud global, intervenant dans des domaines variés.

Un profond bouleversement secoue la structure mondiale héritée de l’après-Seconde Guerre mondiale. Initialement une idée économique formulée par Goldman Sachs, le groupe BRICS s’est mué en un puissant bloc géopolitique.  À l’origine composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et rejoint ensuite par l’Afrique du Sud, le groupe a accueilli de nouveaux membres : l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, l’Indonésie et l’Iran. Il agit aujourd’hui comme un forum de coordination politique et diplomatique pour les pays du Sud global, intervenant dans des domaines variés.

Ensemble, ces onze nations représentent environ 45 % de la population mondiale, 35 % du PIB mondial et 30 % de la production mondiale de pétrole. De plus, la Chine et l’Inde – membres fondateurs – sont des pôles majeurs de la production manufacturière et des services à l’échelle mondiale. L’élargissement du groupe, passant de cinq à onze membres, traduit un mécontentement croissant des pays du Sud global face aux institutions dominées par l’Occident. Dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et le conflit Israël-Gaza, les BRICS incarnent un effort collectif pour réduire la dépendance à l’Occident. Mais une question cruciale demeure : ce groupe hétérogène peut-il véritablement remettre en cause la domination occidentale, ou ses divergences internes et les contre-mesures occidentales freineront-elles son essor ?

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Vers un monde multipolaire

Les BRICS ont dépassé leur rôle initial de concept d’investissement pour devenir un acteur défendant un ordre mondial multipolaire. Leurs piliers stratégiques – ressources énergétiques, réseaux commerciaux, technologies – se positionnent de plus en plus en concurrence avec l’influence occidentale. Plusieurs membres explorent des voies de « dé-dollarisation » afin de limiter leur dépendance au dollar pour les échanges et les réserves. Toutefois, l’Inde a déclaré qu’elle ne soutiendrait pas de mesures portant atteinte au dollar américain, révélant ainsi des divisions internes.

Malgré cela, la Nouvelle Banque de Développement des BRICS (NDB) se présente comme une alternative aux institutions financières occidentales, en offrant des prêts avec moins de conditions que la Banque mondiale ou le FMI. Les discussions autour de la création d’une monnaie commune ou d’échanges accrus en monnaies locales représentent une menace supplémentaire pour la suprématie du dollar. Ces initiatives témoignent d’un objectif commun d’autonomie financière accrue, mais aussi des divergences sur le rythme et la fermeté à adopter dans cette démarche.

Influence croissante, contradictions internes

Le groupe élargi détient d’importantes réserves pétrolières, des capacités agricoles et industrielles considérables. Ces atouts renforcent son poids mondial, mais les tensions régionales mettent en lumière des lignes de fracture. Le différend prolongé entre l’Égypte et l’Éthiopie sur le Nil en est un exemple. De même, malgré des efforts diplomatiques récents, les tensions frontalières entre l’Inde et la Chine restent vives, les deux pays revenant au statu quo d’avant 2020 sans résolution claire.

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Ces différends bilatéraux illustrent la complexité des relations internes aux BRICS, qui pourraient nuire à l’élaboration de politiques communes. Par ailleurs, l’isolement croissant de la Russie, accentué par sa guerre en Ukraine, crée un paradoxe au sein du groupe. Tandis que Moscou tente d’utiliser les BRICS pour contourner les sanctions occidentales, d’autres membres comme l’Inde et le Brésil maintiennent des liens économiques étroits avec l’Occident. Ce jeu d’équilibre révèle que les BRICS ont la taille critique pour influencer les normes mondiales, mais peut-être pas la cohésion nécessaire pour rivaliser avec des entités structurées comme l’Union européenne.

Contre-offensive ou coopération ? L’Occident s’ajuste

Les États-Unis et leurs alliés ont entamé des mesures pour contenir l’essor des BRICS. Récemment, Donald Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 100% aux pays BRICS s’ils tentent de créer ou soutenir une monnaie alternative au dollar. Il a exigé un engagement clair de ces pays à ne pas s’engager dans une telle initiative, faute de quoi ils s’exposeraient à de lourdes sanctions économiques. Une telle stratégie pourrait accentuer la polarisation mondiale. Reste à savoir si les États-Unis peuvent maintenir leur hégémonie économique par ces tactiques agressives, ou si celles-ci accéléreront la transition vers un ordre multipolaire.

L’Union européenne, de son côté, revoit sa stratégie pour renforcer ses relations avec le Sud global, prenant en compte le poids économique croissant des BRICS. Toutefois, ce processus est semé d’embûches. Les divergences sur les conflits internationaux – guerre en Ukraine, relations avec la Chine – révèlent des visions de sécurité différentes entre l’UE et les BRICS. Certains pays en développement jugent aussi l’approche européenne, axée sur la diffusion de normes et valeurs, comme paternaliste, appelant à un dialogue plus respectueux et équitable. L’UE mise désormais sur une approche bilatérale, adaptée aux spécificités de chaque pays BRICS.

Hégémonie occidentale vs ambitions des BRICS : entre cohésion et stratégie

Les BRICS construisent des systèmes parallèles – banques, réseaux de paiement – visant à concurrencer les structures financières dominées par l’Occident. Mais le groupe élargi fait face à des désaccords profonds : le refus de l’Inde de fragiliser le dollar, les sanctions pesant sur l’Iran… Ces éléments montrent que les BRICS disposent à la fois des ressources et de la volonté de remettre en cause l’ordre mondial actuel. Leur véritable défi : parvenir à parler d’une seule voix.

L’Occident, de son côté, s’appuiera sur la force du dollar pour diviser le groupe avant qu’il ne devienne une menace cohérente.

En définitive, une question majeure se pose : si les BRICS poursuivent leur expansion tout en peinant à maintenir leur unité, parviendront-ils à imposer un nouvel ordre mondial alternatif ou ne feront-ils que renforcer la fragmentation qu’ils cherchent justement à surmonter ?

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Auteurs : Dr Mohit Anand et Vedant Sanodiya

Dr Mohit Anand est professeur de commerce international et de stratégie à emlyon business school (France). Vedant Sanodiya est étudiant en Master Stratégie et Conseil à emlyon.

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Mohit Anand

Mohit Anand

Mohit Anand est professeur de commerce international et de stratégie à l'EM LYON, en France.

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