85 ans après la bataille de Stonne, les blindés de la gendarmerie défileront le 14 juillet. Dans cet entretien, le général Christophe Daniel, commandant du Groupement Blindé de la Gendarmerie Mobile (GBGM), revient sur l’héritage militaire issu de la bataille de 1940 et l’emploi des blindés dans la doctrine de la gendarmerie.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé
Commençons par un retour historique. Comment s’est construite la capacité blindée de la Gendarmerie ?
Général Christophe Daniel. Pour comprendre cet héritage, il faut remonter à 1933, date de la création à Satory d’une unité de maintien de l’ordre déjà équipée de véhicules blindés, comme le char Renault FT-17 et d’automitrailleuses blindées Panhard.
En octobre 1939, face à la menace grandissante de guerre, la direction de la Gendarmerie décide de créer une unité combattante. C’est ainsi que naît le 45e Bataillon de Chars de Combat de la Gendarmerie, une unité mixte unique composée à moitié de gardes et gendarmes de Satory et à moitié de soldats de l’armée de Terre.
La bataille de Stonne joue un rôle fondateur
Elle est confiée à un capitaine de gendarmerie, Martial Bézanger, et sera engagée dans la bataille de Stonne (15-25 mai 1940), un village des Ardennes qui présente une position géographique stratégique. Ce fut un affrontement extrêmement violent, parfois surnommé le « Verdun de 1940 », contre des unités allemandes d’élite, notamment la 10e Panzerdivision du général Guderian. Les pertes furent importantes, et plusieurs quartiers de Satory portent encore aujourd’hui les noms d’officiers et sous-officiers tombés au combat là-bas.
La bataille de Stonne est méconnue du grand public. C’est pourtant une bataille cruciale, où l’armée française a fait preuve de beaucoup de bravoure.
La bataille de Stonne débute le 15 mai 1940. C’est un tout petit village dans les Ardennes, situé sur une position stratégique, en hauteur. Il est situé sur une ligne de crête qui permet d’avoir une grande vision sur les débouchés des forces adverses. Dix jours durant, Français et Allemands ne vont cesser de se battre pour le contrôle du village.
Le 45e bataillon de chars de combat fait donc partie, au sein de la 3e division cuirassée d’un ensemble d’unités, d’infanterie, d’artillerie et de chars qui combattent dans ce secteur. Les pertes en chars sont nombreuses, tant du côté allemand que français. Les Allemands ont fait usage de l’aviation durant cette bataille, ce qui leur a donné une supériorité tactique. Le général allemand Paul Wagner, qui a combattu à Stonne, a dit qu’il y avait pour lui trois grandes batailles dans cette guerre : Stalingrad, Monte-Cassino et Stonne.
La mémoire du 45e est fortement entretenue à Satory : elle est présente au pied du mat des couleurs où un monument aux morts reprend la liste des disparus durant cette bataille. Elle vit également à travers la croix de guerre avec palme, accroché à l’étendard du GBGM.
Et après la Seconde Guerre mondiale ?
Après l’armistice, il n’y a plus d’unité blindée constituée dans la Gendarmerie jusqu’à la fin de la guerre. En 1945, les gendarmes de Satory reçoivent de nouveaux matériels blindés, notamment américains (sherman, half Track, auto-mitrailleuses AM8) .
En 1968, après les événements de mai, la Gendarmerie conçoit son propre véhicule : le VBRG (Véhicule Blindé à Roues de la Gendarmerie), adapté au maintien de l’ordre. Sa spécificité : un blindage protecteur, une lame pour dégager les axes, et des équipements non létaux. Ce véhicule bleu emblématique est encore en service, notamment en outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Mayotte…).
Le nouveau véhicule blindé polyvalent Centaure a une couleur spécifique (le bleu) et une silhouette propre, qui est adaptée aux terrains d’engagement et notamment au maintien de l’ordre.
Une lame est ainsi installée à l’avant. Quand on fait du maintien ou du rétablissement de l’ordre, de temps à autre ou régulièrement dans certains secteurs, les axes sont bloqués par des obstacles, donc il était important pour nous d’avoir un engin blindé, qui sert à amener une protection balistique de ses équipages et des troupes embarquées ou des troupes à pied qui se mettent derrière. Et derrière, cette lame va nous servir à dégager les axes pour que les troupes à pied puissent assurer les opérations de maintien de l’ordre. Donc, c’est le premier véhicule pensé, spécifique, pour le maintien de l’ordre.
Parlons du nouveau véhicule, le Centaure. Qu’est-ce qui le distingue de ses prédécesseurs ?
Le Centaure, c’est un engin du 21e siècle. Il est plus imposant que le VBRG, mais il reste très maniable. Il peut notamment atteindre 100 km/h. Son blindage est plus performant (niveau Stanag II), et il est conçu pour des opérations variées.
Il est doté de systèmes modernes : caméra thermique, vision nocturne, détecteur de tirs capables d’identifier la position du tireur et le calibre de l’arme utilisée. Il dispose aussi d’une tourelle téléopérée en 7.62 mm, de lanceurs de grenades lacrymogènes multi-coups, et d’un système de surpression avec filtres NRBC pour opérer en zone contaminée. Il peut ainsi intervenir sur un large spectre de mission, permettant par exemple, en cas de catastrophe industrielle, la protection des équipages aux risques NRBC.
À bord, on trouve trois membres d’équipage (pilote, chef d’engin, opérateur radio/tir) et jusqu’à sept personnels embarqués.
Combien de Centaures ont été acquis, et comment sont-ils répartis ?
Nous avons reçu 90 Centaures. Un tiers est à Satory, un tiers dans les groupements de provinces, et le dernier tiers est déployé outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Réunion, Antilles, Polynésie). Quatre sont aussi stationnés à Saint-Astier pour la formation des escadrons.
Il a été utilisé en Nouvelle-Calédonie lors des émeutes de mai 2024, mais aussi lors des violences urbaines de 2023, du cyclone à La Réunion ou pour dégager des axes à Mayotte. Il est aussi un outil de dissuasion psychologique, par exemple lors des mobilisations agricoles de 2024. Il est présent lors d’événements majeurs, comme les JO ou les commémorations du 80e anniversaire du Débarquement.
Pour la première fois, des Centaures participeront au défilé du 14 juillet.
Tout à fait. Nous avons eu la chance et la fierté d’être désignés pour le défilé de cette année. Le dernier défilé de la gendarmerie avec ses engins blindés mobile date de 2000, lors du retour d’un déploiement au Kosovo. Avant cela, il y avait eu 1988. 2025 sera donc un grand événement pour notre unité, et l’occasion de mettre en avant cette nouvelle composante blindée.
Comment est-il utilisé pour les opérations de maintien de l’ordre ?
Il convient de rappeler que cet engin blindé ne doit pas être banalisé. C’est pour cette raison que sa mise en œuvre est strictement encadrée. L’autorisation d’engagement relève ainsi du Premier ministre en ce qui concerne les opérations de maintien de l’ordre, et des préfets de zone de défense pour la définition des missions, avec un certain formalisme.
L’engament de ces moyens blindés est évidemment lié aux capacités qu’il prodigue, mais leur déploiement a également un effet psychologique. Il participe à la démonstration de l’autorité.
Rappelez-vous le mouvement de contestation agricole de début 2024, puis de fin 2024 et la remontée des tracteurs vers Paris. Très clairement, l’engagement des engins blindés, marquait la volonté politique et, sur un plan tactique, permettait de définir une ligne d’interdiction aux engins agricoles.
Je tiens surtout à dire que son utilisation, lors des émeutes qu‘a connues la Nouvelle-Calédonie, à compter du 13 mai 2024 et ce, pendant plusieurs mois, a permis de protéger les forces déployées,des nombreuses séquences de tirs par armes à feu qui ont caractérisé cette opération. C’est en effet une des premières vocations d’un engin blindé : assurer la protection balistique de ses équipages et des troupes embarquées.
Est-ce que le Centaure est aussi utilisé dans des opérations extérieures ?
Cela peut être envisageable, comme ce fut le cas avec le VBRG au Kosovo ou en Côte d’Ivoire. Pour l’opération conduite en Afghanistan, nous avions par exemple fait le choix d’acquérir auprès de nos camarades des armées le véhicule de l’avant blindé, (VAB). Le Centaure pourrait être projeté, mais évidemment après analyse et définition des missions qui seraient confiées à la gendarmerie. C’est à nos responsables politiques de nous en définir le cadre et bien sûr à la direction générale de la gendarmerie d’en assurer la déclinaison, en prenant en compte de nombreux paramètres.