Accidents aériens en Inde : un coup dur pour son industrie

23 juin 2025

Temps de lecture : 4 minutes

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Accidents aériens en Inde : un coup dur pour son industrie

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Double tragédie aérienne en Inde : un crash de Boeing Dreamliner à Ahmedabad et un accident d’hélicoptère à Uttarakhand ont causé la mort de plusieurs centaines de personnes et ravivés les inquiétudes sur la sécurité aérienne indienne.

L’Inde est en deuil après deux tragédies aériennes survenues à quelques jours d’intervalle. Le crash d’un avion long-courrier à Ahmedabad et celui d’un hélicoptère dans les montagnes de l’Uttarakhand ont coûté la vie à près de 290 personnes et suscité un vif émoi dans le pays comme à l’international.

Le crash d’Air India 171 : un drame national

Le 12 juin, le vol Air India 171, un Boeing 787-8 Dreamliner à destination de Londres, s’est écrasé quelques secondes après son décollage de l’aéroport d’Ahmedabad. L’appareil, transportant 242 personnes, est tombé sur un bâtiment universitaire – le dortoir du B. J. Medical College – provoquant une série d’explosions et un incendie meurtrier.

Le bilan est tragique : 241 passagers et membres d’équipage ont péri, ainsi qu’au moins 39 personnes au sol. Seul un survivant, Vishwash Kumar Ramesh, étudiant de 26 ans assis près d’une issue de secours, a miraculeusement échappé à la mort. La place 11A qu’il occupait est devenue célèbre.

Les premières investigations font état du déploiement automatique de la turbine à air de secours (Ram Air Turbine), indiquant une potentielle défaillance critique du système électrique ou des deux moteurs. Une enquête a été ouverte par l’Aircraft Accident Investigation Bureau (AAIB), avec l’aide d’experts britanniques et américains.

Le gouvernement indien, qui a exprimé sa profonde tristesse, envisage désormais des mesures drastiques de suspension temporaire de vols sur certains modèles Boeing. Air India a déjà réduit près de 15 % de ses fréquences long-courrier.

Crash d’un hélicoptère à Uttarakhand : 8 morts, dont deux enfants

Trois jours plus tard, le 15 juin, un hélicoptère d’Aryan Aviation s’écrasait à proximité de Gaurikund, dans l’État montagneux de l’Uttarakhand. À bord se trouvaient cinq pèlerins – dont deux enfants – et deux membres d’équipage. Tous ont péri, ainsi qu’une personne au sol.

L’appareil volait dans des conditions météorologiques particulièrement défavorables, dans une région fréquentée en cette saison par des milliers de fidèles en route vers le sanctuaire hindou de Kedarnath. Le vol a été autorisé malgré la faible visibilité, un point sur lequel les autorités devront désormais s’expliquer.

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Face à ce nouveau drame, la Direction générale de l’aviation civile (DGCA) a suspendu les vols touristiques de la compagnie Aryan Aviation et annoncé une série d’audits de sécurité sur l’ensemble des opérateurs de transport héliporté dans la région.

Une aviation indienne sous pression

Ces deux accidents mettent en lumière les défis croissants auxquels fait face l’aviation indienne, en pleine expansion. Alors que le pays ambitionne de devenir l’un des principaux hubs aériens mondiaux, des manques en personnel qualifié, des infrastructures sous tension et des procédures de maintenance questionnées suscitent de nombreuses critiques.

L’émotion nationale est vive. Le Premier ministre Narendra Modi, dans un message publié sur les réseaux sociaux, a exprimé ses condoléances aux familles endeuillées et promis de « tirer toutes les leçons nécessaires de ces tragédies ».

Le récit poignant de survivants et de proches de victimes, comme celui de Ravi Thakor, père de famille ayant perdu sa femme, sa mère et son enfant dans l’accident d’Ahmedabad, a bouleversé le pays.

Ces événements relancent un débat crucial : comment garantir la sécurité dans un secteur en croissance exponentielle ? L’Inde doit désormais trouver un équilibre entre ambition économique, normes de sécurité rigoureuses et protection des passagers.

Les ambitions de l’industrie aéronautique indienne

Selon le cabinet Allied Market Research, le marché de l’aviation civile indienne était évalué à 14,47 milliards USD en 2024, et devrait atteindre 40,8 milliards USD d’ici 2033, avec une croissance annuelle moyenne de 12,2 %.

Plus largement, le secteur aéronautique indien (civile + défense) pèse 28,7 milliards USD actuellement et vise les 57 milliards USD d’ici 2034, avec un taux de croissance de 7 % par an. L’Inde ambitionne ainsi de devenir un acteur de premier plan de l’aéronautique mondiale.

Ce développement de l’industrie aéronautique s’inscrit dans la politique « Make in India », lancée par le gouvernement Modi. Les grands groupes internationaux comme Airbus, Boeing, Honeywell, Rolls-Royce et Safran ont accru leurs investissements en Inde pour bénéficier d’une main-d’œuvre qualifiée et de coûts réduits. Dassault Reliance Aerospace Limited (DRAL) fabrique désormais le Falcon 2000 LXS à Nagpur. Ce sera le premier jet d’affaires produit hors de France par Dassault, avec un objectif de livraison en 2028. Le groupe HAL (Hindustan Aeronautics Limited) produit en série les chasseurs Tejas Mk 1A et travaille sur le prototype du Tejas Mk 2, prévu pour 2025, avec une production en série attendue d’ici 2029. La coentreprise entre Safran et HAL produit également des pièces pour les moteurs LEAP, utilisés notamment dans les Airbus A320neo.

L’activité MRO (Maintenance, Repair and Overhaul) devrait atteindre 4 milliards USD d’ici 2025, selon la Fédération indienne des chambres de commerce. Le vice-président d’Airbus India déclarait ainsi : « D’ici 2030, l’Inde pourrait représenter 10 % de la chaîne mondiale de valeur aéronautique. Le potentiel est immense, et l’élan politique est là. »

Le tournant défense & spatial

Au-delà du civil, l’Inde mise également sur la technologie militaire et spatiale.

Le AMCA (Advanced Medium Combat Aircraft), chasseur furtif de 5e génération, est en phase de finalisation conceptuelle. La production est envisagée pour 2035. Le drone d’attaque hybride Rudrastra, conçu par le DRDO et testé avec succès en juin 2025, symbolise la volonté d’autonomie technologique dans les conflits modernes. Le secteur spatial privé explose, avec des startups comme Skyroot Aerospace (fusées Vikram) et Bellatrix Aerospace (propulsion non toxique) qui attirent des investissements internationaux.

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Malgré ces avancées, plusieurs freins persistent. D’abord un manque de certification internationale : les normes EASA et FAA restent difficiles à obtenir pour les acteurs locaux. Ensuite, une chaîne logistique vulnérable avec des dépendances à l’importation de certains matériaux et composants. Enfin, des besoins d’ingénieurs spécialisés : les talents locaux sont nombreux mais parfois sous-formés sur les technologies critiques.

Les deux accidents survenus récemment ont aussi démontré les limites de l’industrie aéronautique indienne avec des problèmes en matière de sécurité opérationnelle. Des accidents qui nuisent à l’image de l’Inde et à sa volonté de devenir une grande puissance industrielle aéronautique.

L’Inde nourrit de grandes ambitions dans le développement de son industrie aéronautique, tant civile que militaire. Mais les deux accidents survenus récemment ont fragilisé son image et démontré les limites de ce déploiement industriel. Au-delà des drames humains causés par ces accidents, c’est aussi une passe difficile pour l’industrie indienne.

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À propos de l’auteur
John Mackenzie

John Mackenzie

Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.

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