La détection acoustique est un moyen de lutte contre les drones. De plus en plus d’entreprises développent des systèmes au service des armées et des forces de sécurité.
L’essor rapide des drones, civils comme militaires, a bouleversé les doctrines de sécurité. Petits, mobiles, souvent silencieux, parfois autonomes, les drones posent des défis nouveaux à la détection et à l’interception. Dans ce contexte, une approche technologique discrète attire l’attention : la détection acoustique passive couplée à l’intelligence artificielle embarquée (Edge AI). Cette technologie propose de repérer les drones en analysant leur signature sonore, sans recourir à l’émission d’ondes radar ni à l’interception de signaux radio.
Détection acoustique
La détection acoustique n’est pas une idée nouvelle : dès l’entre-deux-guerres, des dispositifs « d’écoute » ont été utilisés pour repérer les avions. Ce qui change aujourd’hui, c’est la capacité à intégrer cette logique dans des dispositifs légers, autonomes, et dopés à l’intelligence artificielle. Grâce aux progrès de l’Edge AI, c’est-à-dire des algorithmes exécutés dans le système sans dépendance au cloud, il devient possible de détecter, classer et alerter en temps réel à partir d’un simple capteur audio.
Le principe repose sur l’identification de signatures sonores propres à chaque type de drone : fréquence des rotors, modulation du moteur, comportement vibratoire. Des bibliothèques sonores, alimentées par l’apprentissage supervisé, permettent aux systèmes d’identifier ces sons même dans des environnements bruités.
Parmi les principaux atouts de cette technologie figure d’abord sa passivité complète : ne générant aucune émission, elle demeure indétectable par l’adversaire et ne peut être neutralisée par des contre-mesures électroniques. Ce caractère, associé à une simplicité de déploiement – encombrement réduit, faible consommation énergétique, pas d’infrastructure lourde – en fait un outil particulièrement souple à mettre en œuvre. De plus, cette technologie fait preuve d’une résilience notable dans les environnements dégradés. Là où les radars peuvent être brouillés et les capteurs radiofréquence rendus inopérants, elle continue à fonctionner, tant qu’un minimum de propagation sonore est possible. Enfin, son coût maîtrisé par rapport aux systèmes radar multi-bandes ou optroniques de haute précision renforce son attractivité, en particulier pour les sites à sécuriser durablement sans mobiliser des ressources démesurées.
Moyen de surveillance
Ces qualités combinées en font un candidat naturel pour les dispositifs de surveillance distribuée, qu’il s’agisse de sécuriser des aéroports, des établissements pénitentiaires, des infrastructures critiques ou des zones d’opération militaires.
Malgré ses promesses, cette technologie présente plusieurs limites structurelles qui restreignent encore son déploiement massif. Elle demeure particulièrement sensible au bruit ambiant, qu’il provienne du vent, de la circulation, d’engins industriels ou d’activités humaines denses. Dans des environnements tels que les aéroports, les zones industrielles ou les théâtres d’opération militaire, les bruits de fond constants ou impulsifs – moteurs, tirs, explosions – peuvent masquer ou déformer les signatures sonores des drones. Même les conditions météorologiques influencent son efficacité : la pluie et la neige introduisent un bruit parasite, tandis que le vent perturbe la propagation des ondes sonores ou en détourne la trajectoire. Par ailleurs, la portée reste modeste : quelques centaines de mètres dans des conditions idéales, mais bien moins en milieu urbain ou bruyant. La localisation des cibles, quant à elle, est souvent approximative, sauf en présence d’un réseau dense de capteurs capables d’effectuer une triangulation. Enfin, le système reste vulnérable aux faux positifs, en particulier dans des environnements complexes où des sons comme ceux de ventilateurs, de tondeuses ou même de certains oiseaux peuvent être interprétés à tort comme des signatures de drones. Ces limitations rappellent que, si la détection acoustique passive dopée à l’IA constitue une solution élégante et discrète, elle ne peut fonctionner de manière isolée et doit être intégrée à une architecture multi-capteurs pour compenser ses angles morts. Ces obstacles imposent de considérer cette technologie non comme une solution autonome, mais comme un complément dans un écosystème multi-capteurs, aux côtés du radar, de la radiofréquence et de l’imagerie.
Les entreprises du secteur
Plusieurs acteurs développent ce type de technologie, parmi lesquels Askalon Industries, qui a conçu des dispositifs compacts et autonomes capables d’écouter en continu l’environnement aérien. Leur approche repose sur l’intégration directe d’algorithmes de classification sonore dans le capteur, sans recours au cloud. Bien que prometteurs, ces systèmes semblent encore en phase de validation ou de pré-déploiement, et aucune intégration massive dans des forces armées ou des infrastructures critiques n’a encore été documentée publiquement.
Cela ne remet pas en cause leur pertinence : La détection acoustique passive renforcée par l’Edge AI constitue une avancée technologique crédible et pertinente, qui exploite des ressources souvent négligées, le son, pour répondre à une menace difficilement traçable. Comme souvent dans le domaine de la défense, la transition du laboratoire au terrain prend du temps. Elle ne remplacera pas les autres capteurs, mais peut devenir un maillon d’une défense en profondeur contre les drones, notamment dans les milieux où la discrétion, la simplicité et la passivité sont des atouts.