Les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan sont tendues. Mais la crise au Cachemire conduit les deux pays à se rapprocher et à signer une coopération contrainte.
Auteurs
Dr Islomkhon Gafarov, docteur en sciences politiques, directeur du Centre d’études sur l’Afghanistan et l’Asie du Sud, Institut d’études internationales avancées (Tachkent, Ouzbékistan)
- Bositkhon Islamov, chercheur junior, Centre d’études sur l’Afghanistan et l’Asie du Sud, Institut d’études internationales avancées (Tachkent, Ouzbékistan)
Les relations afghano-pakistanaises, actuellement tendues, sont entrées dans une phase de « coopération forcée » à la suite de l’escalade de la crise au Cachemire (avril-mai 2025). Cette crise a démontré que le Pakistan est capable de résister efficacement à la pression indienne, à condition que la stabilité soit maintenue le long de ses frontières occidentales avec l’Afghanistan. Malgré les déclarations officielles d’Islamabad annonçant un succès tactique, les perspectives d’équilibre régional restent instables, en particulier dans l’éventualité d’un rapprochement entre Kaboul et New Delhi.
Les mesures préventives du Pakistan. En réponse, les dirigeants pakistanais prennent des mesures préventives visant à contrer l’influence indienne. Une mesure clé a été la déclaration du 30 mai 2025 du ministre pakistanais des Affaires étrangères, Ishaq Dar, annonçant l’élévation du statut diplomatique du représentant des talibans à celui d’ambassadeur. Cette décision, qui vise officiellement à renforcer les relations bilatérales, reflète en réalité les efforts du Pakistan pour sécuriser son flanc arrière en cas de nouvelle escalade avec New Delhi.
Médiation chinoise. La médiation de la Chine constitue un facteur de stabilisation supplémentaire. Le 21 mai 2025, Pékin a accueilli une réunion trilatérale informelle des ministres des Affaires étrangères de la Chine, de l’Afghanistan et du Pakistan, présidée par le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. D’une part, ce format diplomatique représente la tentative de Pékin de préserver la stabilité du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), qui reste vulnérable en raison de l’instabilité transfrontalière persistante. D’autre part, elle pourrait signaler une volonté de former un nouvel axe régional – Pékin-Kaboul-Islamabad – capable de servir de contrepoids géopolitique à l’Inde.
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Néanmoins, les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan restent complexes, avec des obstacles importants à la coopération.
Activités du TTP. L’un des facteurs les plus critiques est l’activité du groupe radical Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), qui vise à établir un État islamique au Pakistan sur le modèle du régime taliban en Afghanistan. Des rapports récents indiquent que le groupe a mis en place des camps d’entraînement dans les provinces afghanes de Kunar, Nangarhar, Khost et Paktika. Le TTP entretient des liens étroits avec Al-Qaïda. Plus alarmant encore, des preuves émergent d’une coordination entre le TTP et l’État islamique au Khorasan, ce qui accroît considérablement la menace non seulement pour le Pakistan, mais aussi pour toute la région.
Selon les données disponibles, en 2025, le TTP a perpétré environ 80 attentats terroristes au Pakistan, faisant au moins 218 morts. Pendant l’escalade du conflit au Cachemire, le TTP a intensifié ses attaques contre des cibles pakistanaises, démontrant ainsi sa capacité à exploiter la vulnérabilité du pays en période de tensions diplomatiques. Après la mort de 54 militants dans le nord du Waziristan, les attentats ont cessé, probablement à la suite d’un accord avec Kaboul.
Dans ce contexte, le ministre pakistanais de l’Information, Attaullah Tarar, a déclaré qu’Islamabad soupçonnait l’Inde d’utiliser des structures par procuration pour soutenir le TTP, dans le but de déstabiliser la frontière occidentale du Pakistan et de détourner l’attention du Cachemire.
Modification de la guerre. Le conflit entre l’Afghanistan et le Pakistan évolue progressivement vers une forme de guerre par procuration modifiée, avec l’utilisation de nouvelles technologies. Selon le Daily Mail, début juin 2025, des drones de combat dirigés par les talibans auraient été utilisés contre des positions frontalières pakistanaises.
Des sources indiquent que la production de drones a été lancée dans l’ancienne base américaine Camp Phoenix, près de Kaboul. De plus, des drones kamikazes sont en cours de développement dans la province de Logar, sur le site d’une ancienne base britannique du SAS. Le programme de drones des talibans serait soutenu par des experts techniques russes, chinois et iraniens. La base technologique des drones imite des modèles étrangers, notamment le MQ-9 Reaper américain et le Shahed-136 iranien.
Le facteur baloutche. Le mouvement séparatiste de la province pakistanaise du Baloutchistan, dirigé par l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA), reste un facteur de déstabilisation majeur qui complique les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan. Au cours de l’année écoulée, la BLA a mené environ 150 attaques, dont trois incidents très médiatisés entre mars et mai 2025 : la prise du train Jaffar Express dans la gorge de Bolan, l’attentat à la bombe contre un convoi militaire à Machh et l’explosion d’un bus scolaire à Khuzdar. Ces attaques visaient les forces de sécurité pakistanaises et les infrastructures de transport, en particulier les voies ferrées, mettant en évidence les vulnérabilités logistiques d’Islamabad en cas de conflit interne à grande échelle.
Les autorités pakistanaises ont publiquement accusé les talibans et l’Inde d’abriter et de soutenir les séparatistes baloutches, ce qui a déclenché une nouvelle vague de tensions diplomatiques. À leur tour, Kaboul et New Delhi ont qualifié les mesures anti-insurrectionnelles d’Islamabad d’« incidents terroristes ». Il est possible que la déstabilisation du Baloutchistan soit envisagée par des acteurs extérieurs comme un moyen d’influencer la politique étrangère du Pakistan. En particulier, le soutien aux groupes armés baloutches pourrait servir à affaiblir la position régionale d’Islamabad.
Les talibans du Cachemire. Selon des sources russes et indiennes, un nouveau groupe armé appelé « Tehrik-e-Taliban Kashmir » (TTK) est actif au Cachemire depuis le 1er juin 2025. Le groupe a déclaré que son objectif était l’indépendance totale du Cachemire vis-à-vis de l’Inde et du Pakistan, ainsi que l’instauration de la charia dans la région. Son chef serait Maulana Maqbool Dar. Selon certaines informations, il bénéficierait du soutien des talibans afghans, ce qui pourrait non seulement compromettre les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan, mais aussi tendre les relations entre les talibans et l’Inde et la Chine. L’activité croissante du TTK dans la région pourrait déclencher une nouvelle vague d’instabilité.
Facteur migratoire. La politique de déportation massive des Afghans menée par le Pakistan est un autre facteur de déstabilisation des relations bilatérales. En 2025, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a exprimé son inquiétude face à la nouvelle phase du « plan de rapatriement des étrangers en situation irrégulière » du Pakistan, qui vise à expulser près de 3 millions de ressortissants afghans. En avril 2025 seulement, plus de 80 000 Afghans ont été expulsés. Selon les estimations de l’OIM, le nombre total d’Afghans expulsés entre 2023 et 2025 dépasse 2,4 millions. Cela pourrait accroître les tensions sociales et le risque de marginalisation. De plus, cela crée un terrain fertile pour les groupes extrémistes, notamment l’EI-Khorasan et Al-Qaïda, qui peuvent recruter parmi les populations socialement vulnérables.
La réinstallation potentielle de certains expulsés dans les provinces du nord de l’Afghanistan, notamment dans les zones situées le long du canal de Qush-Tepa, où les infrastructures et les services sociaux sont limités et mal équipés pour faire face à un afflux important de population, est particulièrement préoccupante. Cela risque de surcharger le système humanitaire local et de compromettre la stabilité des régions frontalières, y compris les zones adjacentes de l’Asie centrale.
Guerre commerciale. L’analyse de la politique commerciale et économique du Pakistan à l’égard de l’Afghanistan indique une utilisation possible des postes-frontières comme levier politique. Plus précisément, le principal point de passage à Torkham a été fermé à plusieurs reprises au cours du premier semestre 2025. Ces fermetures ont eu un impact direct sur le volume des échanges bilatéraux. Selon le ministère pakistanais des Affaires étrangères, le volume des échanges commerciaux entre l’Afghanistan et le Pakistan en 2024 a dépassé 1,6 milliard de dollars. Cependant, les fermetures fréquentes des postes-frontières ont incité Kaboul à diversifier ses relations commerciales. De mars 2024 à mars 2025, le volume des échanges commerciaux entre l’Afghanistan et l’Inde a atteint près de 900 millions de dollars américains.
En conséquence, l’escalade des tensions commerciales et de transit avec le Pakistan a contraint l’Afghanistan à rechercher d’autres partenaires économiques. Les principales orientations sont désormais les États d’Asie centrale, l’Iran et l’Inde. La situation a également remis au centre des préoccupations les projets de transit alternatifs contournant le Pakistan, tels que la route transiranienne passant par le port de Chabahar. Par conséquent, la politique commerciale et de transit du Pakistan, qui vise à exercer une influence politique à court terme, compromet les perspectives à long terme d’intégration régionale et de connectivité entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud.
Les fleuves transfrontaliers. L’absence d’accord officiel sur la gestion des fleuves transfrontaliers, en particulier le fleuve Kaboul, constitue une autre source importante de tension dans les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan. Les projets de l’Afghanistan visant à accroître sa capacité d’irrigation et sa production d’énergie hydroélectrique grâce à la construction de barrages en amont, tels que les projets Shahtoot et Kama, ont suscité des inquiétudes au Pakistan quant à une éventuelle réduction du débit en aval, en particulier pendant les saisons sèches. Islamabad considère ces initiatives comme une menace pour sa sécurité hydrique et un instrument potentiel de pression régionale, compte tenu notamment du soutien financier et technique apporté par l’Inde au développement des infrastructures hydrauliques afghanes. La Chine a plaidé en faveur de la mise en place d’un mécanisme trilatéral de dialogue sur l’eau entre l’Afghanistan, le Pakistan et la Chine, mais aucun progrès tangible n’a encore été réalisé.
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En revanche, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan ont signé un accord bilatéral le 1er mai 2025 concernant la gestion conjointe du fleuve Amou Daria. Un accord similaire a également été signé entre l’Afghanistan et l’Iran. À ce jour, toutefois, aucun accord de ce type n’existe entre l’Afghanistan et le Pakistan.
Projets énergétiques et de transport en Asie centrale. Les données disponibles indiquent que le processus de négociation entre la Banque mondiale et les principaux bailleurs de fonds du projet CASA-1000 est arrivé à son terme. Les travaux de construction sur le tronçon afghan devraient être achevés d’ici la fin 2026. Le projet vise à transporter l’électricité du Kirghizistan et du Tadjikistan vers l’Afghanistan et le Pakistan, contribuant ainsi à la stabilité énergétique de la région.
Parallèlement, la mise en œuvre du gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI), destiné à transporter du gaz naturel du Turkménistan vers l’Inde en passant par l’Afghanistan et le Pakistan, se poursuit. Selon des sources officielles, les trois premiers kilomètres du gazoduc ont déjà été posés sur le territoire afghan.
Néanmoins, les tensions persistantes entre Islamabad et Kaboul font peser des risques directs sur la stabilité de ces projets. Les responsables pakistanais craignent que l’Afghanistan n’utilise sa participation à des initiatives d’infrastructure transfrontalières comme un moyen de pression politique. De tels scénarios entravent la planification stratégique et sapent la confiance dans les mécanismes de coopération régionale.
Ces facteurs affectent également les perspectives de développement du corridor de transport transafghan. La fermeture de points de contrôle commerciaux clés, l’expulsion massive de citoyens afghans du Pakistan et les attentats terroristes réguliers dans les zones frontalières et au Baloutchistan créent un climat d’instabilité qui pourrait entraver la mise en œuvre du projet. À court terme, le scénario le plus réaliste reste le développement de segments entre Termez et Kaboul, qui constituent une partie relativement stable et techniquement réalisable du corridor. Cependant, dans un contexte de tensions persistantes entre le Pakistan et l’Afghanistan, les États d’Asie centrale pourraient être de plus en plus enclins à considérer la route transiranienne via le port de Chabahar comme une voie d’accès moins vulnérable aux ports de l’océan Indien.
Conclusion
Ainsi, l’Afghanistan et le Pakistan, après le retour au pouvoir des talibans, s’orientent vers un consensus mutuel « forcé » sous la médiation de la Chine et dans le contexte du facteur indien. Cependant, les menaces croissantes posées par le TTP, qui s’est allié à l’EI-Khorasan, l’émergence des nouveaux « talibans du Cachemire » et l’intensification du séparatisme baloutche exacerbent les tensions bilatérales et compromettent la sécurité régionale et la connectivité interrégionale avec l’Asie centrale.